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Prenez un permis de chasse et chassez le Naturel, mes drôles. Vous pourrez constater qu’en effet il revient au galop.

Ainsi, je prends le cousin Hector. Sous ses nouvelles mines d’affranchi, ses airs d’énervé, son petit côté casseur d’assiette habillé par Cardin, il est resté pudibond dans ses intimes profondeurs. Sa période de fonctionnariat l’a tout de même marqué. C’est indélébile comme du crayon à bille sur le pelage d’un toutou blanc, ces choses-là. Trop d’années de brimades, d’échine arquée, de tisanes mal sucrées, de craintes professionnelles, de costars râpés, de virginité mal contrôlée, de petites jalousies, de gouttes nasales, d’acquiescements inconsidérés, de regards torves, de lustrine, de cocottes en papier bristol, d’onction, de notions et d’espoir de promotion. On ne fait pas pendant des lustres l’amour avec Cadum ou Monsavon sans conserver des stigmates, des effarouchements.

Quand il aperçoit miss Camille en train de s’arrimer un soutien-loloches noir (elle n’a qu’un sein d’enfourné, ça la fait ressembler à l’amoché d’Ayan) il tourne bride, le cousin. Aussi sec. A bout de tolérance vis-à-vis de l’olibrius qui l’a engagé et lui impose ses turpitudes. Il fait « Ooooh ! » et il se casse d’un élan fougueux, renversant même une chaise Directoire dans sa retraite indignée.

Tout à son extase, Gaumixte ne s’en rend seulement pas compte.

— Hein ? Hein ? il me trépigne après avoir relourdé. C’est pas du sujet surchoix, mirifique ? Vous la reconnaissez ? La nièce de mon bon, de mon cher, de mon estimé Achille ! Une saveur, un velouté, une science intuitive de l’amour. L’électricité déguisée en femme ! Je l’aime ! Je la vénère ! Je me prosterne à ses pieds ! Je baise ses ongles laqués. Je lèche ses chevilles, ses mollets, ses genoux… Ah la vertigineuse ascension ! L’éblouissement de mes jours ! Le grand soleil de ma vie, sa fontaine lumineuse, son Versailles, son gaullisme, sa saveur ! Son spasme ! Je veux demander sa main à Achille ! Lui annoncer que déjà j’ai mis le pied dans sa famille ! J’ai hâte de le serrer dans mes bras, de l’appeler Tonton ! Vous avez vu, ce corps, dites ? Ces cuisses, ces seins, ces hanches ! Vous voulez regarder encore ? Juste un petit coup, à la voyouse, à la voyeuse ?

— Pas la peine, coupé-je froidement, je connais déjà, je me la suis cognée bien avant vous, mon bon Gaumixte, et le soi-disant oncle Achille bien avant moi.

— Menteur ! Gredin ! Crapaud baveur ! Fiente putride ! hurle l’armateur, vous serez châtié ! Je vous traduirai devant les tribunaux pour diffamation. Comment osez-vous !

Ses éclats attirent la môme qui passe une tête inquiète dans l’encadrement de la lourde, m’avise et rugit.

— Ah te voilà, toi, mon salaud !

Elle bondit, en soutien-chplotz, mais sans culotte, pour me gifler.

— Tu me la copieras, espèce de butor ! Sagouin ! Partir sans me réveiller ! J’ai dû prendre un avion pour rattraper le bateau à l’escale de Malaga. Tu m’avais administré un somnifère, je parie ! Je n’ai pas l’habitude de pioncer comme douze gendarmes, moi ! Tu me le rembourseras, mon billet, sale mufle !

J’ai paré la tarte d’une légère manchette. Ecartée la panthère et je fais front à Oscar.

— Alors ? lui dis-je en goguenardant.

Il connaît ses classiques, le baladeur de feignasses. Le voici qui recule d’un pas, qui porte la main droite à sa poitrine :

— Percé jusque z’au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle, attaque-t-il.

Il s’arrête, ses yeux s’arrondissent, s’affûtent, me dardent.

— Et Achille aussi ? demande Gaumixte.

— Achille aussi ! Mademoiselle joue de l’homme comme d’autres du xylophone.

— Son oncle ! Elle fornique avec ce vilain bouc sans poils ! Elle pratique l’inceste sous ce chauve sénile ? Elle : se livre aux bas instincts de ce dindon redondant ? Elle s’abandonne aux fausses ardeurs de ce hardeur ? Elle se soumet, le cher ange, aux salacités de ce quasi-vieillard ? Elle subit les charges dérisoires de cet imberbe ? Elle se laisse profaner par cet hérétique ? Elle accepte les souillures de ce goret faisandé ? Elle héberge les lamentables attributs de ce chef flic ? Elle consent aux attouchements de ce taste-chair ? Elle ne s’insurge pas contre les abominables connections, les dépravations et les déprédations de ce vieux misérable en transe, contre ses chaleurs de refroidi, contre ses entreprises flasques ? Elle peut tolérer le gluant et le rance, belle comme je la vois là ? Elle joue les tantes avec son oncle, cette illumination de l’aube ? Cette floraison du printemps ? Cette source murmurante à laquelle j’abreuve ma quarantaine passée ? Cette eau miraculeuse dans laquelle je deviens pareil à une lame de Tolède ? Cette princesse que sa nudité habille mieux que l’hermine ? Non, non ! Mille, cent mille, trois cents milliards de millions de fois non ! Je ne veux pas ! Je refuse ! Je tuerai le malpropre ! L’émasculerai d’un coup de hachoir ! Lui ferai bouffer ses génitoires. Rayerai sa qualité de masculin sur ses papiers.

— Mais où est-il, ce putride, ce sanieux, ce croulant, ce coulant ? Allez me le chercher que je le désinceste ! Que je lui arrache le démon du corps avec les mêmes tenailles qui me permettront de lui extirper le sexe ! Vite, il me le faut ! Ce navire est contaminé par sa présence !

Il tombe les bras en croix sur le plumard. Il n’en peut presque plus. Il a craché tout son oxygène, vidé ses réserves, anticipé sur les respirations à venir. Il ronfle du poumon, Oscar. Ses bronches font la scie dans le nœud de bois. Ses dents (restantes) supérieures exécutent avec les inférieures ce geste que les gens réclamant de l’argent accomplissent avec le pouce et l’index. Il préfigure son agonie. Il s’encomate ! Camille hoche la tête, calmée par les outrances de son nouveau partenaire.

— T’es un peu brutal dans tes révélations, me dit-elle.

Je ne lui réponds pas. M’est avis que son arrivée à bord coïncide bien surprenamment avec la disparition du Vieux.

— Je veux Achille, vite, vite ! supplie Gaumixte. Je lui pardonnerai tout lorsqu’il m’aura accordé la main de Camille. Tout : ses lubricités, ses enniècements. Allez me le chercher, ça presse. Je veux guérir ma plaie au fer rouge ! Il me le faut, San-Antonio. De grâce, épargnez-moi des minutes d’attente qui sont autant de coups de poignard dans mon âme !

— C’est là que les choses se compliquent, mon bon Gaumixte !

— Comment ça ? fait-il dans un soupir en vrille.

— Je suis au regret, que dis-je : au désespoir, de vous apprendre que notre bon Achille vient d’allonger la liste des disparus.

Gaumixte reste un instant immobile. Puis il saute du lit et se met à chantonner en sautillant à cloche-pied dans la cabine : « ilé tétun pe tinavir re ilé tétun pe tinavir re… »

(S’arrêtant.)

— Vraiment disparu ? demande-t-il, affable.

— Hélas !

— Comme les autres, en somme ?

— Exactement comme eux, monsieur Gaumixte…

Oscar fait deux ou trois petites cabrioles en reprenant sa chanson enfantine : « Qui navéja ja jaména-vigué, qui navéja… »

(Nouvel arrêt.)

— Et il avait le chèque de la vente sur lui, n’est-ce pas ?

Tiens c’est vrai, je n’y avais pas encore repensé, à ce foutu chèque.

— Oui, il l’avait sur lui.

Gaumixte pousse un drôle de cri, très long, très modulé, suraigu. Un cri de bête de jungle, la nuit !

Puis il se courbe et, pointant son index sur le plancher, se met à glapir.

— Ici tout de suite ! Achille, ici tout de suite ! Je ne le répéterai pas deux fois : Achille, ici tout de suite ! Je vais me fâcher ! Ça va chier ! Le bateau va donner de la gîte ! Achille…

(Se redressant et croisant ses bras sur sa poitrine, dans une attitude très Mater dolorosa.)

— Oscar Gaumixte, pour un c… ? Vous n’y êtes pas ! Y a erreur ! Homonymie ! Confusion ! Ou alors c’est de l’humour décadent ! De la plaisanterie de garçon boucher ! Du canular pour fin de banquet d’anciens combattants 14–18 ! On se gausse encore ?

On joue avec les nerfs du PDG. ! Non ? Ah vraiment, non ? C’est sérieux ! Alors je tue ! Mon chèque ! Police ! Au secours, à moi ! Téléphonez dans tous les azimuts ! Bloquez les aérodromes de merde ! Cernez les ports, faites sauter les voies ferrées, mais arrêtez-le ! Il, me le faut ! Diffusez son hideux signalement ! Alertez les brigades fluviales ! Rameutez le Deuxième Bureau, l’intelligence Service, la CIA, la Guépéou ! Je veux la Gestapo ! La milice ! Maréchal nous voilà ! Prévenez toutes les polices ! La gendarmerie ! Qu’on mobilise les gardes champêtres aussi ! Barrez les routes, quoi, merde ! Faites donner les CRS. Ne m’abandonnez pas ! Mon chèque, mon chèque chéri ! Ah, je meurs ! Je crois en Dieu, le père tout-puissant ! Vite ! Son signalement, je vous dis ! Taille : un mètre… combien ? Mesurez-le, faites quelque chose ! Employez les gaz ! Mettez les chaloupes à la mer ! Faites sonner l’alerte. Branle-bas de combat ! Oh, le maudit maudit ! ! Oh le déchiqueteur d’anus ! Fumier ! Sale chauve ! Aviateur ! Mais il est de la Gestapo, ce type ? Il est d’Air France ! On l’a glissé sur mon chemin comme une peau de banane ! Il est venu couler ma flotte ! Il me veut à l’Armée du Salut ! Il va me contraindre au communisme ! Me faire embrasser les Chinois ! Il veut que je parte comme instructeur au Mali ! Il me prendra tout ! Il b… ra aussi ma tendre et vénérée épouse, si je n’y prends garde ! Il sodomisera mon cher enfant déjà major de sa promotion et bientôt licencié en tout. Il a juré ma perte, ce champignon mortel ! Il guigne mon âme chrétienne, ce suppôt de chambre du diable ! Objectif enfer ? Gaumixte ! Tiens, fume !

Que voulez-vous que je fasse de très raisonnable, en la conjoncture, mes petites biquettes ? J’ôte la bouteille de champ qui prend son bain de siège dans un seau à glace et je virgule le contenu de ce dernier à travers la margoule du Possédé.

Ça fait floâac. Gaumixte ouvre si grande sa bouche qu’on peut lire la marque de son slip.

La porte s’écarte sur un mousse, porteur d’un message. Le jeune homme pousse une vraie frime de mardi gras en découvrant la demoiselle à demi nue et le suprême boss de la Compagnie en petit calbard, venant de morfler un baquet de flotte en pleine poire.

— Je… J’ai frappé ! balbutie-t-il.

— Qu’est-ce que c’est ? je lui demande.

— Un câble pour M. Gaumixte.

— Merci, tu peux t’en aller sans frapper !

Je tends la grande enveloppe blanche et bleue aux armes de la Compagnie à l’aspergé.

— Lisez !

En claquant des (dernières) dents, il décachète le pli et jette un coup d’œil au texte.

— Le Conseil d’administration vient d’entériner la nomination du sieur Bérurier, bavoche Oscar.

— Donc, vous n’êtes plus PDG ? Alors ne nous faites plus tarter avec vos danses de Saint-Guy, vieux Croquant ! On va le retrouver, Achille ! Et votre chèque ! Et la clé du mystère !

— C’est vrai, vous croyez ?

— Je crois, que je crois !

Je me tourne vers Camille :

— Quant à toi, belle hétaïre, cache ton piano et suis-moi !

— Je sens que ça va être gai, fait la belle.

Gaumixte lève le doigt comme pour demander la permission d’aller cagoinsser.

— Ne me la gardez pas trop longtemps, implore-t-il, elle me manque déjà, cette adorable salope !

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