LE GRAND JEU EN PLUSIEURS PARTIES 1

Belle fille. La jument fringante. La croupe haute, le regard provocant, une poitrine qui peut sortir en ville sans soutif. Pour la grimper, vaut mieux l’allonger, sinon en levrette tu risques un problème de taille. Ou alors deux Bottin avec un pied sur chaque. Mais les Bottin d’aujourd’hui ne sont plus ce qu’ils étaient. Format réduit, épaisseur réduite : papier bible ou pelure ? La dimension des noms fait la fortune d’Afflelou, tellement qu’on les imprime mignards.

On miniaturise tout. Le jour viendra où les mecs auront des petites bistounes de sapajous.

Le monde décade, déglingue. T’as vu les nouveaux billets de banque français ? Des coupures pour pays moyen-oriental en faillite. Les mecs qui ont composé ça, je les voue au lynch ! Les billets de banque sont représentatifs d’un pays. C’est enchiotter la France que de la représenter par ce morceau de faf bariolé, faux format, couleurs de merde, bande anti-contrefaçon pareille au liseré permettant l’ouverture d’un paquet de sèches ou d’une boîte de Vache-qui-rit. Mais qui porte la responsabilité d’un tel sacrilège, nom de Dieu ? Qui l’a choisi ? Approuvé ? Pauvre Saint-Exupéry qui a inauguré la série. Pauvre Saint Exaspéré ! Lui qui n’a pas eu besoin de redescendre sur la terre pour mourir, qu’est-ce qu’il doit penser, là-haut, dans sa résidence céleste ? Des écrivains-héros, on en a pas chouchouïe, pourtant ! Comme quoi, la postérité ne préserve pas : au contraire, elle crée des risques !

On en revient à l’hôtesse hennissante qui distribue ses plateaux en regardant au fond de ta prunelle si t’as ou non une chouette bite.

Elle me détronche mouillé.

— Besoin de quelque chose ? me demande-t-elle.

Et moi, du tac tac :

— Devinez ?

Moins salope, elle rougirait de ma manière, mais elle a franchi le point de non-retour des confusions. Tout ce qu’elle fait, c’est de sourire en connivence.

— C’est bon, tu as le ticket, me murmure Mathias.

L’avion se rend à Rome et nous aussi, par la même occase.

Je sais que cette demoiselle Maryse Montrouh va y dormir et ne rentrera que domani. Lorsqu’elle repasse pour retirer ma coupe de champagne vide, je susurre :

— Vous faites la rotation dans la journée ?

— Non, je reviens avec le vol de demain après-midi.

J’extrais mon calepin-papa de ma fouille. Papier jauni, vu l’importance du stock réalisé par mon défunt père. Même si je bats le record de longévité d’Antoine Pinay, j’arriverai pas à l’épuiser.

Je rédige :

Je sais où l’on mange la meilleure salade de fruits de mer de Roma. Calories zéro. Ça vous dit ?

Je profite de ce qu’elle vient disposer une petite nappe sur ma tablette pour lui fourrer le billet dans le jeu de paume.

Elle l’engourdit sans broncher.

Lorsqu’elle repasse, elle a un battement de cils et dit :

— C’est gentil.

Pas plus duraille que je te l’annonce.

— A quel hôtel descendez-vous ? m’enquiers-je.

— Le Colosseum.

— Via Sforza ?

— Si.

— On dit vingt heures ?

— D’accord. Votre boîte n’est pas trop chic ? Je n’ai rien de très habillé avec moi.

— Moins vous le serez, plus j’apprécierai, réponds-je. Qui devrai-je demander ?

— Maryse Montrouh !

— J’y suis déjà par la pensée. Si vous pouviez voir ce qui se passe sous cette tablette, vous largueriez votre service pour vous asseoir dessus !

Ainsi ai-je décarré. A neuf cents à l’heure, pour ainsi dire.

* * *

Je n’ai pas besoin de la demander, elle est déjà au bar qui m’attend devant un bloody-mary. J’apprécie les gonzesses qui ne te font pas poireauter cent piges. On dit que le désir s’accroît quand l’effet se recule ; il arrive aussi qu’il se refroidisse à trop attendre. Je me rappelle une déesse que je convoitais comme un malade avec un tire-fond en iridium. Elle m’a laissé l’attendre près de deux plombes dans un bar ; quand elle s’est pointée, je devais faire de grandes enjambées pour ne pas marcher sur ma queue et je me suis cassé, la laissant en rideau avec ses harnais putassiers et sa moule parfumée au 5 de Chanel.

Là, au moins, c’est du bonnard.

Je drive l’hôtesse au Stromboli, un chouette restau intime, classe, où l’on bouffe des denrées fraîches et boit ce vin rouge légèrement champagnisé qui met le cœur en liesse.

On bavasse. Les Américains ont toujours une main sous la table pendant qu’ils mangent. Bien sûr, c’est ni plus ni moins qu’un manque de savoir-vivre, mais la légende prétend que ça remonte au temps où, toujours sur le qui-vive, ils gardaient un revolver à la main. Pour une fois, je les imite, mais au lieu d’une crosse gaufrée, c’est la toison d’une chatte soyeuse que je caresse.

Tout en clapant, je narre de manière détaillée à ma compagne, ce que je lui ferais pour peu qu’elle m’accorde les honneurs de sa chambre d’abord, ceux de sa personne ensuite. La grande broutille tyrolienne, je lui commencerais. Pile et face : langue de velours, feuille de rose ; bien maîtrisée, la recette donne d’excellents résultats. Pour suivre : un complet avec baise ad libitum, jusqu’à ce qu’elle m’implore d’arrêter.

Ce grand cœur qui paraît au discours que je tiens, ne laisse pas que de l’émouvoir, tu parles !

Merde, j’allais omettre de te signaler qu’elle ne porte pas de culotte ; c’est osé, hein ? A deux pas du Vatican !

Après l’exquise salade de fruits de mer, elle se commande une chaste sole grillée, et moi des seiches à l’encre accompagnées de cubes de polenta meunière. Je raffole les céréaux : riz, maïs, blé noir (pour la jaffe ruskoff), je m’en claperais même si je me trouvais attablé avec un gonzier rongé par un chancre ! Même si j’étais en face de la mère Thatcher, c’est te dire !

On s’expédie deux bouteilles de mousseux rouge (ça coule tout seul, comme l’eau dans un chéneau) et c’est le retour triomphal au Colosseum Hotel. Et moi, un colosseum, j’en coltine un dans mon bénoche gros comme une courgette.

Une fois dans sa chambre, on attaque « Le Lac des cygnes ». Décarpillage simultané pour ne plus perdre de temps, le repas nous ayant servi de hors-d’œuvre, si je puis dire.

En bonne citoyenne, avant le début des fêtes du couronnement, mam’zelle passe à la salle de bains, histoire de se conditionner le centre d’hébergement.

J’en profite pour glisser sous un oreiller le menu matériel dont je vais avoir besoin d’ici pas longtemps. Il se résume en une espèce de grosse chevalière dont le dessus est cylindrique. Invention de Xavier Mathias. Tu la passes à ton doigt, la fais tourner de manière à ce que le chaton se trouve à l’intérieur de la main. Pendant qu’on est seulâbres, faut que je te précise que le chaton fait piston, ou plutôt seringue. Tu saisis ton « client » (j’aime pas parler de victime) par un bras, par exemple, et tu presses. Une minuscule aiguille sort alors d’un infime orifice de la bague et pénètre la chair de l’intéressé(e). Ce dernier (ou cette dernière) sent à peine la douleur, surtout si, conjointement, tu lui dégustes le grognard. En quelques secondes, l’inoculé bascule dans une délirade effrénée et se met à jacter à tort et à travers, te racontant tout ce qu’il a pour habitude de tenir secret. J’ai déjà utilisé ce merveilleux sérum à Istanbul, au cours d’une enquête épique, et j’ai été surpris par l’efficacité du produit. Quand je pense à Mathias, je me dis qu’il y a des Prix Nobel qui se perdent !

Maryse revient, les tétons dressés, le tablier de sapeur épilé du pourtour et géométrique comme la coupe de cheveux d’un punk.

Cas de conscience san-antonien.

La traité-je « avant » ou « à la place » ? Tout mon lard me pousse à la jouissance, mais ma conscience (réputée bonne conseillère, cette conne) me dit qu’il n’est pas fair-play de tirer une sœur qu’on se propose de médicamenter. C’est vraiment vouloir le beurre et l’argent du beurre. Si tu ne te comportes pas en chevalier, dans la vie, ne t’étonne pas qu’il y ait tant et tant de paltoquets glaireux autour de toi. Commence par donner l’exemple, Antoine.

Elle s’allonge en travers du lit, décrivant une admirable croix de Saint-André. Je m’agenouille là où la vue est imprenable sur la grande vorace. Ah ! la douce chaleur qui en émane ! Ce souffle tiède qui va stimuler mes rognons les plus enfouis !

Je dois la faire pâmader avant de lui pratiquer la piquouzette.

Ma bouche se joint à celle de ses quartiers sud, parallèlement ma main se faufile sous l’oreiller. La bague ! Je la passe avec précaution. Tu ne vois pas que, par maladresse, je m’autopique !

Que non ! Trop habile dans l’action, le Sana joli. Nerfs d’acier (trempé, et comme !). Elle ne tarde pas à ronronner, à geindre, à trémulser des meules. Je la luzerne tout à la menteuse : le Comtat Venaissin, le Languedoc-Roussillon, la Beauce et la Brie, la forêt ardennaise… Son cul devient battoir de lavandière portugaise (ces chéries qui tombent si souvent parce qu’elles se marchent sur les poils !). Il frappe le matelas en cadence. J’ai la tronche qui fait « oui oui », d’à force. Dur d’assurer la minette fourrée dans ces conditions d’instabilité. Elle va me faire contracter un goitre, la Maryse chérie. Quand vraiment je torticole de trop, je la pique. Dans le prose. Au paravent, j’enfonce bien mes ongles dans son joufflu, et plouf ! l’aiguille sous roche in the fignedé. Ne sent rien, la mémé, dans sa sexuelle frénésie. Court au panoche. Le prend en beauté. Se détend, apaisée. Sourit l’ange. Heureuse.

Elle caresse ma tête, me révèle que ce fut merveilleux. Qu’un bouffeur de chattes de ma classe, non, franchement, elle l’imaginait pas. Ça tient du sortilège. Un don, en tout cas !

Et puis la voilà qui débigoche. Me parle de son papa qui est mort jeune et de l’amant de sa mère qui l’a fourrée alors qu’elle avait dix ans. Une bite longue et fine, en arc de cercle, qu’elle pompait en se retenant de gerber. Ses avatars amoureux de la suite. Elle a un protecteur qui possède un grand bureau d’assurances et qu’elle voit de temps à autre. Il la comble de cadeaux : bagnoles, toilettes, bijoux. Il se prénomme Hervé. Ne bande pas, mais veut faire croire que. Ça arrive. Tout ce qu’il lui demande, c’est de sortir avec lui dans des endroits classes : Lasserre, La Tour d’argent, Maxim’s, en jouant la chatte enamourée sur un foie gras brûlant. Paraître, quoi. Etre envié des autres convives.

Au bout d’un long moment de jacte éperdue, j’appelle le concierge et lui demande de faire monter le monsieur roux, avec une chemise verte et une cravate jaune, qui attend dans le hall.

Mathias se pointe. Maryse ne s’étonne pas de sa venue. Il lui examine le fond de l’œil, puis dialogue avec elle à propos de son joli métier. Ses vols, ses escales, ses pays préférés. Il l’amène insidieusement où nous l’attendons. Un trafic. Rapporte-t-elle « certaines choses » de pays lointains, ou, au contraire, en emporte-t-elle ?

Et alors là, piqués, nous sommes. La môme assure que non. On a beau, elle bat à Niort, ce sur un ton de parfaite innocence.

Je chope le Rouquemoute à l’écart.

— La dose n’est peut-être pas suffisante ? suggéré-je.

— Penses-tu, je l’ai réglée au dixième de milligramme !

— Pourquoi nie-t-elle, alors ?

— Pour la simple raison qu’elle n’a rien à dire, répond catégoriquement Poil-de-Carotte.

— Dis, ça fausse complètement nos hypothèses ?

— C’est ainsi.

Je retourne à la frivole qui est déjà en train de se suractiver le clam avec deux doigts.

Je la seconde dans cette délicate manœuvre.

— Maryse darling, connaissez-vous un ami à moi qui se nomme Roger Marmelard ?

— Non.

— Jamais entendu parler de lui ?

— Jamais.

Elle soupire :

— Prenez-moi.

Et tu vas pas me croire, mais tout à ma déconvenue, j’ai pas la moindre envie de l’emplâtrer. On n’y peut rien.

— Une autre fois, promets-je sans conviction.

C’est alors que Mathias intervient :

— Si mademoiselle n’y voit pas d’inconvénient et si tu veux bien m’attendre dans le salon de l’hôtel, je pourrais peut-être essayer de la satisfaire ?

— Voui ! Voui ! Vouiiii ! dit la bonne hôtesse. Je les laisse[13].

Загрузка...