Le vieux Guitou passe sa main blanche, agrémentée d’un camée qui représente Mercure, sur la nuque de son ami Fernand quand nous déboulons au château de Bézenville. Ils sont joliment assis sur une « conversation ». Le châtelain en costume de velours noir gansé de bleu ciel, chemise blanche à jabot ; son empétardeur, très smart dans du tweed de chasse couleur feuille morte.
On les entrevoit depuis l’entrée.
— Ceux-là, je vais les traiter au gaz, me chuchote Mathias. Tu feras mine de te moucher et garderas plaqué sur ton visage le mouchoir que je t’ai préparé.
Cela, il me l’a déjà dit, mais il méticule tout le temps, Xavier. S’il avait été peintre, il aurait fait du pointillisme.
Nous avons pris rendez-vous auprès de Fernand Déplez, chef steward à Air France, et comme il bénéficie d’un congé de quatre jours avant de se réenvoler pour Bangkok, c’est chez son birbe qu’il nous reçoit. Là, pas d’embrouilles. Nous avons décidé (moi du moins, et à l’unanimité), d’étaler les cartes sur le tapis vert. Présentations sous nos titres et qualités (qui sont nombreux). Le Fernand est un blond d’une quarante-huitaine d’années, teint et soufflé, au regard pervenche des mers du Sud. Voix douce, bien timbrée, lèvres molles de suceur de pafs, gestes onctueux de serveur de champagne.
Il nous octroie une poignée de main aussi énergique que celle d’un escargot de Bourgogne et nous présente M. de Bézenville.
— Puis-je savoir ce qui vous amène ? questionne le vieillard dont le dentier est monté sur coussin d’air, comme un hydroglisseur.
— Messieurs, attaqué-je, vous arrive-t-il de lire les faits divers ?
Le sire de Bézenville répond, en extrayant un fin mouchoir de marquise de sa manche :
— Fernande est presque toujours en voyage, et quand elle ne l’est pas, elle a d’autres chats à fouetter que l’actualité à sensation. Pour ma part, c’est une lecture que je n’ai jamais pratiquée.
Voilà. Mise en place effectuée.
— En ce cas, dis-je, je vais suppléer les gazettes en vous apprenant qu’un certain Roger Marmelard, transporteur, a été assassiné à la terrasse d’un café dans des circonstances troublantes. Or, votre nom, M. Déplez, figure dans l’agenda trouvé sur Marmelard d’où nous induisons que vous le connaissiez ?
Stupeur de l’interrogé. Il ouvre grands les yeux, la bouche et (très probablement) l’anus. Regarde son compagnon de tribulations plumardières en dénéguant du chef.
— Jamais de la vie ! dit-il. Répétez ce nom, pour voir ?
— Marmelard Roger.
— Je vous donne ma parole que j’ignore tout de ce monsieur !
— Et Fernand est la franchise même, assure le châtelain misé. Sa parole vaut de l’or. Car tu donnes ta parole d’honneur, mon Nanan ?
Mathias tousse : c’est le signal dont nous sommes convenus.
Je feins d’éternuer et tire mon mouchoir imbibé de chpoutzbrock laudifié.
Le Rouillé écarte sa veste dont une poche est trouée et vaporise le contenu d’une capsule magique en direction des deux hommes.
Marrant de suivre leur changement d’expression. C’est ultrarapide. Le regard devient autre, modifiant du coup les traits dominants.
Pendant que Mathias s’éloigne de la zone contaminée, le steward bougonne :
— Arrête de m’appeler Nanan devant le monde, vieux con !
— Pourquoi, tu me dis que tu adores, biquet bleu !
— Je te dis ça pour t’en jouer un air, crème de gland ! Si tu savais ce que j’en ai marre de tes manières ! Et de te pomper le nœud alors ! Depuis que tu ne bandes plus, j’ai l’impression de mâcher de la gum !
— Tu es méchante.
— Heureusement que je me rattrape avec les petites jeunes des équipages. J’en ai une, Maurice, si tu savais ce que j’adore la fourrer !
Bon, cet étalage ne faisant pas mon blot, je l’interromps :
— Dites, Fernand, revenons à Marmelard.
— Dis, tu m’emmerdes, toi, le grand ! Je te répète que je ne le connais pas. Si tu continues, je te fais une pipe devant tout le monde !
Il rit.
— Vous arrive-t-il de rapporter à Paris certains paquets clandestins, lors de vos voyages au long cours ?
— Non, mais tu me cherches, voyou ! Ai-je une tête de contrebandier ? Tu me prends pour qui ?
Un instant, je me dis que la camelote du Rouque est éventée. Pour tester, je risque :
— Tu me montres ta bistougnette, Fernand ?
— S’il n’y a que ça pour te faire plaisir, grand filou !
Et de me déballer un petit colifichet, du genre pendeloque, pour sous-officier de carrière qui ferait chialer de pitié un premier communiant italien.
— Elle te tente, beau mec ? demande-t-il d’un ton gourmand. Tu sais que je ferais des folies pour ta jolie gueule ?
Ce qu’entendant, le vieux rameute, me traite de tout et d’autres choses encore moins jolies, puis nous chasse. Comme nous n’avons plus rien à faire au château de Bézenville, nous battons en tu sais quoi ? Oui : retraite.
Sur le chemin du retour écœurant, Mathias et moi épiloguons sur le côté rigoureusement négatif de notre enquête.
Si réellement le sérum de vérité du Flamboyant est opérationnel, nous devons conclure que ces gens de la navigation aérienne n’ont rien à voir avec Roger Marmelard.
En ce cas, que fichent-ils dans son agenda ?