LA NUIT VA FINIR (suite attenante)

— Venez, monsieur Azzola. Vous êtes apparenté au célèbre accordéoniste ?

— Pas à ma connaissance.

— Ne vous appelle-t-on pas Zozo ?

— Des amis, parfois.

— Montons au premier.

Il gravit à ma suite les degrés de bois. Il a, cette nuit, une bouille de révolutionnaire sud-américain. Ça provient de sa moustache panchovilienne et de sa frime grêlée.

Je le fais pénétrer dans ma piaule. Il cabre en apercevant Maria-la-Polonaise. Une véritable surprise est infiniment difficile à surmonter. Peu d’êtres, même parmi les endurcis, parviennent à conserver leur impassibilité quand ils sont télescopés par l’inattendu.

— Bonjour, Zozo, fait la « convoyeuse d’explosifs ».

— Je vous demande pardon, madame, mais je ne vous connais pas, riposte Azzola qui vient de récupérer.

La femme, qui n’est plus shootée au sérum de vérité, comprend qu’elle déconne et qu’il y a danger, aussi fait-elle marche arrière en cata.

— Vous ressemblez à quelqu’un que je connais, dit-elle. Sur l’instant, je vous ai pris pour lui, mais il est évident que je me trompais.

— Y a pas de mal, répond Azzola.

Fumeux, comme ambiance. Je feins d’avaler ces couleuvres grosses comme des boas constructeurs (Béru dixit).

— Cette personne est unijambiste, fais-je à Azzola. Voici sa prothèse au pied du lit.

Il a un coup d’œil indifférent sur le désagréable objet, il attend la suite.

— Certains services pensent que Mme Samanski utilise sa fausse jambe pour passer en fraude des denrées interdites. Mais cette prothèse est aussi vide qu’une coquille d’escargot dont on a consommé le pensionnaire.

Je me saisis du membre artificiel et montre l’ouverture au transporteur.

— Une corne d’abondance pillée, mon cher… Zozo.

Alors qu’il ne s’attendait à rien de tel, je la lui fourre dans les bras.

— Voyez l’épaisseur du talon ! dis-je. Si ce machin-là recèle un élément douteux, ce ne peut être que dans le talon. Soyez gentil : tenez-moi la jambe, si j’ose dire.

Je vais prendre dans le tiroir du bas de ma commode une élégante trousse à outils qui me reste d’une des bagnoles grand prestige que j’ai eues. J’aime les beaux objets et je me résolvais plus facilement à abandonner la voiture que cette trousse hyper-chic. J’en sors une forte pince aux mâchoires de caïman. L’instrument est chromé, avec le sigle de l’auto gravé en bonne place.

— Tenez bon, surtout ! dis-je en approchant l’outil béant.

— Non ! crie Maria Samanski !

— Non ! fait en écho le grêlé.

Et il dépose précautionneusement la jambe sur le tapis.

— C’est le Vulgagrossium 18 qui vous fout les jetons, Zozo ? Vous avez peur d’être réduit en morve par cet explosif ?

Il est égaré, pour le coup. Se sent complètement perdu.

— Allons, mec, lui dis-je, ta gonzesse, la mère Christine m’a tout balancé, il ne me reste plus qu’à recouper sa déclaration avec la tienne. Simple travail de police. La routine, mon vieux ; on n’y échappe pas.

Загрузка...