DES TRANSPORTS… EN COMMUN

L’entreprise R. Marmelard Transports se situe à une intersection de rues. Cinq cents mètres carrés couverts, plus une esplanade d’égale dimension. Lorsqu’on pénètre dans cet univers empestant l’huile chaude et l’essence, on a l’impression d’entrer dans des studios de cinoche, tant c’est haut de plaftard. Des galeries courent le long des murs, sur deux niveaux différents. D’énormes camions halètent comme des monstres après l’effort ; leurs trépidations font frémir notre bidoche sur l’armature de notre squelette. On étouffe ! Les yeux piquent et une vague nausée vient vous faire déplorer les frites de midi.

Il y a des bureaux vitrés, à droite. Ils sont séparés par des cloisons, également de verre, à travers lesquelles on distingue des gens affairés sur des ordinateurs ou des machines à écrire.

Un haut-parleur nasillard domine le tumulte de toute cette camionnasse en effervescence : « Albert Chiron est attendu dans le bureau de M. Azzola ! »

Des conducteurs perchés dans leurs cabines inaccessibles nous considèrent avec indifférence. Un peu partout, on voit des élévators, des trucks, des ponts roulants. Les magasiniers en blouse grise ou en combinaison bleue s’agitent, des carnets à souches dans les mains.

Cette ambiance provoque une étrange et lourde ivresse.

— On ne dirait pas que le patron est dans un casier de la morgue, remarque M. Blanc ; c’est une ruche.

— Les transports sont faits pour rouler, dis-je (assez piètrement, mais je ferai mieux la prochaine fois, on ne peut pas avoir du génie 24 heures sur 24, ou alors on va se faire éditer à la N.R.F.).

D’un pas décidé, je pénètre dans les burlingues. Double vitrage pour l’insonorisation. On voit les bureaux à travers les cloisons de verre.

Une réceptionniste blonde et variqueuse, à la moustache brune, avec une variété infinie de verrues et autres excroissances en tout genre sur la gueule me regarde surviendre d’un œil rugueux.

— Police ! lui fais-je confidentiellement, pas trop perturber son retour d’âge en cours. J’aimerais parler au responsable de cette compagnie.

— C’était M. Marmelard.

— Je sais, mais il avait bien un collaborateur rapproché pour le seconder ?

— Oui, M. Azzola.

— Eh bien, il fera l’affaire.

Elle décroche son turlu. J’aperçois un mec qui en fait autant dans l’un des aquariums : un type au cheveu sombre et dru et à la forte moustache gallo-romaine. Il a la figure grêlée et le regard matois du père Dominici pendant la reconstitution du triple assassinat de Lurs.

Ce monsieur répond qu’il me reçoit tout de suite. Il raccroche et pousse l’obligeance jusqu’à venir nous accueillir dans l’entrée.

Il n’ose me tendre la dextre, ce qui me fait l’économie d’une poignée de main. On en gaspille tellement au cours d’une journée !

Tout de suite, le vif du sujet :

— Vous venez, naturellement, à propos de…

— Exactement.

— Nous sommes tous bouleversés.

— Je m’en doute.

On retourne dans son bureau. Là, il me désigne Jérémie :

— Monsieur est également de la police ?

— Oui : c’est un policier nègre.

Je laisse courir un silence. Azzola me regarde, je lui rends une prunellée évasive.

Et puis, me décidant :

— Bon, commençons par le début : que pensez-vous de ce meurtre, monsieur Azzola ?

— Il m’est impossible d’en penser quoi que ce soit, tant il est effarant, répond le moustachu-grêlé.

— Air connu : avait-il des ennemis ?

— Du tout !

— Il devait pourtant en avoir puisqu’on l’a tué ?

— Ne s’agirait-il pas de l’acte d’un déséquilibré ?

— Je ne le pense pas. Vous le connaissiez depuis longtemps ?

Il écarte ses deux bras, comme pour prendre son envol, mais reste au sol.

— Nous étions à la communale ensemble. Ensuite j’ai fait un apprentissage de mécanicien et Roger m’a fait entrer chez son père qui avait une petite entreprise. Je ne l’ai plus quitté depuis cette période. C’est pas un patron, mais mon meilleur ami que je perds !

Est-ce une larme qui brille dans son œil droit ? Il la « ravale » d’un battement de paupières.

— De quoi vous occupez-vous ici, monsieur Azzola ?

Catégorique, sans prétention marquée :

— De tout.

— Marmelard vous déléguait ses pouvoirs ?

— Pleinement.

— Il supervisait ?

— A peine.

— Comment marche votre compagnie de transports ?

— Je n’ai pas le cœur à faire des jeux de mots, mais je peux vous répondre qu’elle roule cahin-caha. Depuis la crise, une concurrence féroce s’est développée.

— Vous êtes au rouge, à la banque ?

— Dois-je répondre à cette question ?

— Ça m’épargnerait un coup de téléphone.

— Eh bien, en effet, nous devons faire face à une situation inquiétante.

— Marmelard en était affecté ?

— Moins que je l’aurais souhaité.

— Il aimait les femmes ? demande Jérémie en un brûle-pourpoint inattendu qui fait tressaillir notre terlocuteur.

Azzola considère d’un air choqué ce Noir indiscret.

— Réponse ? insisté-je.

— C’était son point faible, convient le directeur.

— Il avait une liaison ?

— Il n’aimait guère en parler, et quand j’ai essayé d’aborder le sujet, il m’a envoyé paître.

Je sors l’image montrant le défunt en train de tirer l’adolescente.

— Vous connaissez cette jeune fille ?

Tu me croiras si tu veux (et si tu ne veux pas, va te faire foutre), le bonhomme devient écarlate devant la crudité du cliché.

— Non ! répond-il. D’où sort cette photo ? Qui l’a prise ?

— J’espère le découvrir bientôt, monsieur Azzola. Sûr, la gamine ne vous rappelle rien ?

— Jamais vue ! Il y allait fort, ce pauvre Roger ! Cette fille a tout juste quinze ans, non ?

— A tout casser, mon cher. Parlez-moi de son épouse.

Il dépose à regret l’image scabreuse sur sa table.

— Christine ?

— Vous la connaissez bien ?

— Quand elle a des soucis, c’est moi qu’elle vient trouver.

— Quel genre de soucis ?

— Au début, elle acceptait mal les galipettes de Roger et je lui remontais le moral. Par la suite, elle avait des tracasseries d’argent car il lui laissait tirer la langue. Je l’aidais comme je pouvais.

— Pas fameux, comme époux, votre copain d’école, laissé-je tomber.

— Il était comme ça : insouciant. Bon type au demeurant, mais il avait la folie du jupon.

— Vous devez bien être au courant de certaines de ses liaisons ?

— Je préférais ne rien en connaître puisqu’il refusait mes reproches.

— Il y avait sûrement des femmes qui le relançaient ici, ne serait-ce que par téléphone ?

— Probable, mais demandez à Maryse, la standardiste, c’est elle qui se chargeait des messages. Il l’avait tirée et elle était sa complice. Attendez, je vous l’appelle.

Il tient sa promesse. Une fille pas mal, voire même jolie se pointe. Attention les yeux ! Elle fracasse de la prunelle, la mère ! Une môme authentiquement rousse, d’un roux qui fait songer à l’Irlande. De grands yeux innocents, mais qui reflètent des bites en bandaison, un maquillage qu’elle n’a pas appris à réaliser au rayon cosmétique des magasins de la Saint-Glinglin. Elle dégage une odeur sensuelle qui te défroisse la peau des roustons instantanément.

— Ces messieurs sont de la police, indique M. Azzola. Ils auraient besoin de renseignements concernant la vie privée du boss ; je pense que vous serez mieux à même que moi de les éclairer.

Elle acquiesce, me regarde droit au calbute, comprend que j’en possède une d’au moins vingt-deux centimètres et m’engage à la suivre.

— Monsieur Blanc, fais-je à Jérémie, j’aimerais que vous jetiez un œil au bureau de feu Marmelard pendant que je vais m’entretenir avec mademoiselle.

Il s’incline, tout en me virgulant l’œillade la plus éloquente qu’un homme de couleur ait jamais adressée à un homme blanc à l’aide d’yeux gros comme des cloches à fromage.


Dans Sa bienveillance infinie, le Seigneur a permis que la jolie Maryse possède la seule pièce qui ne soit pas vitrée, probablement à cause des fils et des consoles téléphoniques. Une chaise pivotante et qui se déplace sur des roulettes caoutchoutées accueille son adorable fessier à deux portes. Elle lui imprime une volte quatre-vingt-dix degrés, de manière à me faire face, et attend mon bon vouloir avec un sourire salivé.

Un banc de bois court le long de la cloison. Je m’y installe. Le local étant fort exigu, nous sommes à un mètre cinquante l’un de l’autre (ou l’une de moi). Je me penche en avant pour diminuer cette distance qui est infiniment courte lorsque tu te trouves en face d’une mitrailleuse, mais infiniment longue quand tu es face à une chatte rousse. Elle doit réaliser la chose car, obéissant au précepte de Coubertin, elle participe au rapprochement en « roulant » un tantisoit dans ma direction, jusqu’à ce que nos genoux se frôlent. On est beaucoup mieux ainsi pour parler.

J’y vais de mon laïus sur la vie forniqueuse de Roger Marmelard, dévoile que je subodore qu’elle soit à l’origine de son assassinat.

Elle m’écoute attentivement, en sentant bon la femme.

Je lui balance comme quoi elle était, selon Azzola, plus que la complice du mort, un peu sa confidente. Pour étayer, je produis derechef la photo de la petite fille enfilée levrette et lui demande si elle a une idée quant à l’identité de la perverse ado.

Elle opine.

— Ce doit être Marie-Catherine, la fille de son amie Mado, fait-elle. Il m’avait dit qu’il se tapait du blé en herbe, le cochon ! Mon Dieu, qu’il aimait « ça » !

Elle a soudain quelque chose de songeur sur sa physionomie. J’ai idée qu’il devait bouillaver comme un chef, Marmelard.

— J’aimerais avoir les coordonnées de cette amie Mado, mon lapin.

Je ponctue d’un effleurement discret de son genou gauche.

— Facile : elle l’appelait tous les jours et il lui envoyait des fleurs chaque lundi ; c’est moi qui les commandais.

Elle repivote pour cramponner un grand cahier à reliure spirale ; il est répertorié. Elle l’ouvre à la lettre « R ».

— Mme Madeleine Ravachol, dit-elle, 16, cité du Professeur Christian-Rouvidant, dans le 16e.

Je note dans mon cerveau à hémisphères cathédraux.

Elle me refile en suce le numéro de téléphone.

— Donc, pour nous résumer, côté braguette, c’était Divan-le-Terrible, murmuré-je.

— On peut le dire !

— Quelle perte, non ?

— Ah ça…

— Il se comportait comment avec son épouse ?

— Plutôt mal, mais elle avait des compensations.

— Azzola ?

— Comment le savez-vous ?

— Police, mon petit ! Nous savons tout. Par exemple, je sais que vous portez un minuscule slip blanc.

— Perdu ! Il est rose.

— Je n’en crois rien, montrez-le-moi !

Sans vergogne, elle se lève et remonte sa jupe serrée.

J’avance ma main pliée en tuile romaine et la glisse dans son entrejambe.

Combien de fois ai-je perpétré un tel geste ? Je ne m’en lasse pas, il est toujours neuf. Elle bombe le bas-ventre.

Pendant ce temps, y a des chiés de voyants qui s’allument sur ses putains de consoles.

Comme elle a suivi mon regard inquiet, elle murmure :

— J’ai bloqué le standard.

Donc, elle « savait » ce qui allait se passer…

Je fais glisser la mini-culotte sur ses jambes lisses. A table !


Du Mozart !

Je lui interprète « Cosi fan depute » à la menteuse sur coussin d’air, si ardemment qu’elle en défaille. Au plus pathétique, elle accompagne de deux doigts frénétiques et me racle le bout du nez de sa bague Agatha.

C’est une fille généreuse, d’une grande spontanéité sexuelle. Il ne lui faut pas quatre minutes pour dépollener de la marguerite. Ses jambes tremblent si fort, après son lâcher de bonheur, que je dois l’aider à se rasseoir sur son siège mobile. Il l’est trop, la chaise fuit sous elle et voilà Maryse qui s’étale au sol, les cannes ouvertes, avec sa robe remontée à la ceinture. Bien entendu, c’est le moment que choisit Azzola pour se pointer. Il en reste soufflé.

— Je venais voir si tout marchait bien, dit-il, mais je constate que mon inquiétude était superflue.

Il ajoute :

— Je pense que vous êtes bien le policier qui convient pour enquêter sur un type comme Roger.

Et puis, se retire.

— Il ne va pas vous appliquer des représailles ? m’inquiété-je.

Elle hausse les épaules.

— J’en serai quitte pour lui tailler une pipe, après la fermeture des bureaux. Il adore ça et il paraît que la mère Marmelard ne suce pas.

En somme, c’est la bonne maison, aux Transports Marmelard. Celle des transports en commun.

Tandis qu’elle se rajuste, je murmure :

— Il ne négligeait pas son épouse qu’au lit, dans la vie courante il la laissait aux prises avec des difficultés matérielles ?

Elle pouffe.

— Pensez-vous ! Certes, il y a eu une période difficile quand la crise s’est intensifiée, mais très vite, le boss a pris des dispositions pour redresser la barre. En tout cas, sa bonne femme ne manque de rien. Pas plus tard que le mois dernier, il lui a acheté une Saab décapotable rouge.

— Vous avez une idée sur la façon dont il s’y est pris pour « redresser la barre » ?

— Pas la moindre ; mais Roger était un type démerde.

Elle murmure, d’un ton changé :

— C’est inouï ce que vous m’avez fait jouir ; on se reverra ?

— Pourquoi pas.

— Je vous note mes coordonnées ?

— Ce serait bien, en effet, conviens-je en sachant déjà que je ne m’en servirai jamais.


Un instant plus tard, je retrouve Vendredi dans le salon d’attente.

— C’était bien ? me demande-t-il.

— Rapide et unilatéral, mais l’avenir reste ouvert à deux battants. De ton côté ?

— Une belle moisson de photos pornos ; j’attends que nous soyons dans la voiture pour te les montrer. C’était un viceloque, ton client, non ?

— Le cul constituait sa religion, en effet. Voire, quelque part, sa vraie famille. Cela dit, tout le monde semble porté sur le chibre, dans cette entreprise.


Les images sont vachettement hard, comme l’a précisé le Tout-Noir. Des dames en solo ou en groupe se mignardant la coquille Saint-Jacques. Des gros plans de son paf à lui qu’on est en train de fellationner d’importance. Une vieille blonde qui se livre à un numéro de gode à piles, en une posture assez difficile à prendre (et surtout à garder). Je note qu’aucun autre homme n’est impliqué dans ces élégantes démonstrations sexuelles. Les gerces lui suffisaient, au Marmelard.

— Où allons-nous ? questionne Jérémie.

— Dans le 16e, cité du Professeur Christian-Rouvidant ; c’est là qu’habite la maîtresse en titre de mon copain défunt.

* * *

Somptueux immeuble tricoté dans des matériaux nobles, par un architecte qui a dû peu édifier de cités dortoirs.

Jardins suspendus, je te prie, belles terrasses de deux cents mètres carrés par appartement, tu mords le style ? Les crésus qui crèchent là prennent peu le R.E.R. et moins encore le métro !

Une soubrette que j’ai dû déjà apercevoir dans des comédies de boulevard répond à mon coup de sonnette. Plein de jolis petits nichons, de gentil cul, de fossettes et de coups d’œil salaces.

Je lui montre la photo plastifiée sur ma carte professionnelle, celle où je regarde la France au fond des yeux.

— J’aimerais voir Mme Ravachol.

Mais bien sûr ! Elle court la prévenir. Revient illico pour m’annoncer que c’est bon : Madame m’attend !

Je te décris pas le majestueux appartement marbreux, immense, au meublage tendance Poléon III et toutes les tentures fanfrelucheuses, très bordéliques, les tableaux impressionnistes bien décalqués et une chiée de bibelots tellement inutiles et pas beaux qu’on se demande pourquoi des gonziers ont décidé de les fabriquer un jour, même qu’ils se seraient fait chier comme des rats malades.

La Ravachol est là. Le contraire de l’épouse : la maîtresse. Se croit obligée de porter le deuil, de ne plus se farder et de chougner comme une Cosette qui a perdu l’argent pour le raja de son dabe.

Je la retapisse d’emblée. C’est la dame qui se travaillait l’entre-deux au vibromasseur à tête ronde sur l’une des photos dégauchies par mon pote Bamboula.

— Je devine la raison de votre visite, me dit-elle en se prostrant dans un fauteuil crapaud. Votre venue était inévitable.

— Absolument inévitable, madame, renchéris-je.

— Voulez-vous vous asseoir ? propose-t-elle.

— C’est fait, réponds-je en lui montrant que je suis plié en trois sur le siège voisin.

Elle semble tellement « ailleurs », la vieille chérie. Abîmée dans son profond chagrin.

— Il y a combien de temps que vous étiez l’amie de Marmelard ?

— Trois ans. Mais n’allez pas imaginer des choses scabreuses, il s’agissait d’une amitié purement platonique.

— Madame, là n’est pas la question.

— Peut-être, mais je ne voudrais pas qu’on se fasse des idées sur la qualité de nos relations.

Je tire le paquet de photographies licencieuses de ma fouille et en sélectionne deux : celle ou elle s’interprète « Clito en flammes » à la torpille vibreuse, et celle où elle pompe goulûment le panais du transporteur.

— Quelles idées me ferais-je, en ayant ces documents sous les yeux, madame Ravachol ?

Elle voit et pousse un grand cri :

— Mais quelle horreur ! Où avez-vous trouvé ça ?

— Dans les affaires de Roger.

— Ce sont des montages, n’est-ce pas ?

— Il n’y a qu’une chose de montée, et de bien montée là-dessus, c’est votre malheureux ami, madame. Mais ne vous alarmez pas : dans notre métier, on connaît la vie, ses nécessités et ses misères. Il n’y a aucun mal à se masturber avec un godemiché électrique, non plus qu’à sucer platoniquement un ami. Maintenant, parlons.

A ma botte, la Mado ! Elle cause pas : elle coasse ! Regard chien battu, tu vois ? Oreilles basses, poils du cul qui se défrisent : soumise à mort. Jérémie lui mettrait sa grosse chopine dans la bouche, elle la tétinerait sans protester malgré son vieux fond raciste.

Elle répond du tac au tac à mes questions. Oui, Marmelard l’entretenait sur un grand pied. C’est lui qui lui a offert l’appartement de star, la Porsche 928, le Sisley du salon, la croisière aux Caraïbes et ses toilettes haute couture.

S’il était riche ? Naturellement ! Comment aurait-il pu assurer une pareille munificence à sa maîtresse, sinon ?

— Je croyais que son entreprise marchait mal ? je remarque.

Elle sourit fièrement.

— Avant ma venue dans son existence. Mais il a trouvé en moi l’énergie qu’il lui fallait pour redémarrer très fort.

Sur la réplique, une ravissante jeune fille surgit et je te donne exactement deux dixièmes de seconde pour découvrir que c’est l’adolescente vergée par Marmelard. Ça y est ? Bravo ! T’es beaucoup moins con que les gens ne l’assurent.

Elle est acidulée, la chérubine ! Assez grande, roulée sur une cuisse de cigarière, deux seins de rêve, en pleine éclosion, un petit cul que t’aimerais faire monter en porte-clés pour pouvoir le caresser en conduisant. Regard trou-de-pine, bouche Béatrice Dalle, l’air pervers, de longs doigts de branleuse. Un lot à emporter !

— Je vous présente Marie-Catherine, ma fille, déclare Mado.

Et à sa greluse :

— Des messieurs de la police.

La môme nous défrime rapidos, s’attardant davantage sur Jérémie chez qui sa qualité de colored lui fait subodorer une belle queue.

Mado ajoute :

— Nous parlions de Roger.

— Je m’en doute, fait la grenouille d’une voix de petite fille qui détonne avec son assurance arrogante.

— Je lui racontais combien il se montrait généreux avec moi.

— Avec nous, rectifie la perfide.

— Oui : avec nous, car c’était un véritable père pour Marie-Catherine. N’est-ce, ma chérie ?

La gonzesse répond, sans broncher le moindre :

— Tout à fait.

Je me gondole comme de la tôle ondulée parce que, entre nous, des papas comme ça, on en trouve plein les cours d’assises ou les chambres de correctionnelle.

— Puis-je vous entretenir en particulier, mademoiselle ? demandé-je à Marie-Catherine.

— Je n’ai rien à cacher à maman, dit la donzelle, effrontée.

— J’en suis convaincu. Mais il est d’usage, dans notre métier, de recueillir les témoignages en privé.

— Alors, allons dans ma chambre.

On s’y rend, après que j’aie fait signe à Jéjé de tenir compagnie à Mme Mado.

L’endroit est délicieux. Lit d’acajou, à baldaquin tendu de mousseline blanche. Des trompe-l’œil aux murs recréant l’univers « Paul et Virginie ». Des meubles anglais délicats. Tout baigne dans une fraîcheur printanière.

On demeure un bout silencieux. Gênée, la môme déclare :

— Vous êtes intimidant pour un beau gosse.

— Parce que vous êtes au courant de ma profession, sinon vous n’y prendriez pas garde.

— Vous voulez me dire quoi ?

— Moi, rien. C’est vous qui allez parler.

Et je dépose « la fameuse photo » sur le couvre-lit.

Marie-Catherine se penche sur elle et reste bouche ouverte, le visage pareil à celui d’un homard plongé dans un chaudron d’eau bouillante alors qu’il croyait qu’on l’emmenait aux bains de mer.

— Bon éducateur, votre papa de remplacement, noté-je d’une voix légère.

— Qu’est-ce que c’est que cette photo, articule-t-elle comme une qui, par erreur, tente d’avaler une pomme de terre cuite au four à la place de sa pilule contraceptive.

— Elle est éloquente, réponds-je, et débordante de la tendresse que ce pauvre Roger vous portait.

— Qui l’a prise ?

— C’est ce que je me proposais de vous demander, mignonne.

— Mais comment voulez-vous que je le sache ?

— Personne n’assistait à vos ébats ?

— Vous pensez bien que non !

— Je ne pense rien, je constate les faits.

Je reprends le cliché afin de le regarder attentivement.

— Elle a été exécutée ici ! décidé-je. On aperçoit, en bordure d’image, le coin de ce scriban et aussi la garniture du lit. Il venait vous faire l’amour à la maison ?

— Pendant que ma mère se rendait au fitness.

— La domestique ?

— Je l’envoyais en courses avant son arrivée.

— Croyez-vous qu’elle était dupe ? Cette fille semble plutôt dégourdie.

— Elle l’est. Mais elle n’a pu prendre cette photo car, après la venue de Roger, je mettais la chaîne de sûreté à la porte d’entrée et à celle du service.

Je romps l’entretien pour aller ouvrir la porte fenêtre de la chambre qui donne sur la terrasse. Je sors un instant.

— Agenouillez-vous sur le lit ! lancé-je.

Elle.

Je compare avec mon cliché. Aucun doute : ça a été pris depuis ici, au téléobjectif, probablement.

Retour dans la chambre où flotte une douce odeur de fraises des bois et de jouvencelle.

— Quelqu’un se tenait sur la terrasse pour assurer le reportage, fais-je. Il n’est pas difficile, depuis cet endroit, de gagner la terrasse supérieure, voire l’inférieure, pour peu qu’on se soit assuré de l’absence des locataires.

— Qui avait intérêt à agir ainsi ? demande Marie-Catherine.

— Quelqu’un désireux de se constituer du matériel de chantage, ma petite chérie.

— Vous allez la montrer à ma mère ?

— Flic, pas indicateur ! la rassuré-je.

— Comment avez-vous eu cette photo ?

— Secret de l’enquête.

— Vous ne pensez pas que ça pourrait venir de « sa femme » ?

— Vous parlez de Mme Marmelard ?

— Si elle comptait divorcer, c’était du tout cuit.

Ses petits yeux malins ne me quittent pas.

Je pense qu’effectivement la photographie se trouvait dans un tiroir de « la veuve ». J’ai du pain sur la planche.

— Il y a longtemps que ça durait, Roger et vous ?

— Ça a commencé tout de suite après qu’il a eu séduit maman.

— Quel âge avez-vous ?

— Quinze.

— Vous aviez donc une douzaine d’années lors qu’il vous a prise ! Pour être une fille précoce, vous êtes une fille précoce !

— Et il n’était pas le premier ! me jette-t-elle hardiment, vous vous croyez encore au siècle dernier ?

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