Mes journées se découpaient entre l'hôpital, chaque matin, puis le retour à la maison, Georgia, et le soir, la traduction. Andrew n'avait plus vraiment sa place dans ce nouvel emploi du temps. Il passait voir Malcolm en début de soirée. On se retrouvait pour le dîner avec la petite. Puis je m'installais devant mon ordinateur, et lui devant la télévision, dans la chambre. On se parlait peu. Juste des échanges sur l'état de notre fils ce jour-là. Ou parfois un commentaire sur une infirmière du matin qu'on préférait à celle du soir, sur le médecin et ce qu'il avait pu nous dire, à l'un ou à l'autre.

Andrew ne posait jamais de questions sur l'enquête de la police. Je ne comprenais pas pourquoi. Il semblait se contenter de cet état de fait. Il leur faisait confiance. Cela me mettait hors de moi. Sa passivité me donnait envie de hurler. Parfois, je devais lui tourner le dos, ou regarder autre part pour ne pas lui dévoiler mon écœurement. J'avais besoin de parler. De partager avec lui cette peur qui me vrillait le ventre. D'envisager le pire. De lui dire ces mots si difficiles à prononcer. Mais je ne pouvais pas. Il se fermait. Il ne voulait pas m'entendre. Il se protégeait. Alors je parlais à mes amies. Je leur parlais des soirées, des nuits entières. Elles m'écoutaient. Elles me donnaient ce qu'Andrew ne me donnait pas. Leur soutien, leur empathie. Souvent, après le dîner, après une heure ou deux passées sur la traduction, je filais. Je le laissais devant sa télévision, avec Georgia endormie dans sa chambre. J'allais retrouver Laure, Catherine ou Valérie, dans un des bars du quartier. Dans le bruit et la fumée, dans la nuit qui avançait, dans la chaleur de leur amitié, je me sentais revivre.

C'était un court répit. Sur le chemin du retour, le poids s'installait à nouveau sur ma poitrine. J'avais du mal à respirer. À avancer. Quelqu'un m'avait dit, il y a longtemps, que c'était dans l'épreuve qu'un couple se révélait. Dans la douleur. C'était ainsi qu'un couple tenait, ou pas. Soir après soir, dans notre salon, où l'absence de Malcolm se faisait de plus en plus criante, je sentais Andrew s'éloigner.

Il était dans la même pièce que moi pourtant, à quelques mètres. Mais je le sentais partir. Et je ne faisais rien pour le retenir.

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