— Ça vous plaît, madame ?
La femme dans la glace était une inconnue. Une femme aux grands yeux vert doré, à la bouche rose et ourlée, au visage rayonnant. Une femme que je ne connaissais pas. Non, je ne l'avais jamais vue. Elle était belle. Belle comme je ne l'avais jamais été.
— Il faudrait penser à votre coiffure, vous avez des idées ?
Ses mains dans mes cheveux. Son sourire lent et sensuel.
Je ne voulais plus qu'elle me touche. Je ne voulais plus la regarder. Je ne la supportais plus, ni sa voix, ni son visage. Je ne voulais qu'une chose, sortir d'ici, retrouver mon calme, mes forces. Je n'aurais jamais dû venir ici, subir ce maquillage, rester une heure dans cette petite pièce étouffante, à sa merci. Je n'avais pas eu le courage de dire quoi que ce soit. Je n'avais pas eu le courage de lui dire qui j'étais, pourquoi j'étais là. J'étais pathétique. Malcolm, ta maman est pathétique. Ta maman n'est pas digne de toi.
Je suis partie à toute vitesse, j'ai payé en liquide, j'ai dit que c'était très joli, je ne l'ai pas regardée.
Une fois dehors, j'ai eu envie de pleurer. De pleurer de rage, d'énervement et de désespoir. J'ai marché longtemps, au hasard, au gré de mes pas. Tête basse, épaules voûtées. Tiédeur odorante des trottoirs, des « beignets abricot » qu'on vendait aux coins de rue, près de la Grande Plage. Les gens faisaient leurs courses, emmenaient leurs enfants se baigner. Tout le monde vaquait à sa vie. Sauf moi. Quelle vie ? Je n'avais plus de vie. Quelle était ma vie ? Jamais je ne me suis sentie aussi impuissante. Aussi vide. Aussi creuse.
Les hommes me dévisageaient. Je me demandais pourquoi. Puis j'ai compris que c'était le maquillage. Dans les devantures des magasins, je voyais mon reflet, celle de cette belle femme de tout à l'heure, celle de l'inconnue aux grands yeux jade, à la bouche rose et brillante. Le regard des hommes s'accrochait sur moi, comme des crochets dans les mailles d'un filet. Je n'avais pas l'habitude de cela. C'était nouveau pour moi. Je ne savais pas si j'aimais, ou pas. Je ne savais plus.
Onze heures du matin et la chaleur qui s'accentuait. Le maquillage picotait ma peau. J'avais envie de tout enlever, de tout frotter. Puisque je n'avais pas eu le courage de lui parler, pourquoi rester ? Pourquoi ne pas partir, tout de suite, prendre l'avion, laisser Arabella se débrouiller avec la petite, filer à l'hôpital, voir mon fils, mon fils qui avait encore ouvert les yeux ?
Le téléphone a vibré. Numéro masqué. J'ai hésité, puis j'ai répondu.
C'était Laurent, le flic. On entendait derrière lui des éclats de voix, le vrombissement des voitures.
— Vous êtes toujours à Biarritz ?
— Oui.
— Vous l'avez vue, la dame ?
— Oui.
Soupir.
— Je n'ai rien pu lui dire. Je n'ai rien dit.
— C'est bien. Écoutez, je suis à Biarritz, pour la journée. On peut se voir. Vous êtes d'accord ?
— Oui.
— On se retrouve du côté de la Grande Plage, près du Casino ? Vous pouvez ?
— Oui.
— Dans une demi-heure ?