Le coma de Malcolm avait évolué pendant la nuit. Stade 1 Glascow 10. Il n'était plus sous respiration artificielle. Son visage semblait plus rose. Mais le médecin nous a dit qu'il fallait rester prudents. Le traumatisme crânien était sévère. Il n'allait pas se réveiller tout de suite. Nous devions rester patients. Puis le médecin nous a demandé si on avait des nouvelles de l'enquête. Ce mot m'a surpris. L'enquête ? Des nouvelles pour retrouver celui qui avait renversé notre fils et qui avait pris la fuite. Andrew a dit que la police n'avait qu'une plaque incomplète. Alors il allait falloir ne pas les lâcher, a dit le médecin. Délit de fuite sur mineur, avec des blessures pareilles, ça pouvait aller chercher loin. Le type en prendrait pour son grade. Si on le retrouvait… Il y en avait qu'on ne retrouvait jamais. Andrew m'a dit qu'il passerait la matinée avec Malcolm. Il s'était organisé avec son bureau. Ce n'était pas la peine qu'on soit tous les deux à son chevet. Je n'avais qu'à rentrer travailler, finir cette traduction si importante. Mais je me sentais privée de mon fils. J'avais besoin de sa présence, aussi. Je suis restée un peu avec lui, avec Andrew. Une infirmière est passée vérifier les sondes, les poches de liquide. Elle était discrète, souriante. Je lui ai dit : « Comment on va faire pour la verrue de mon fils ? » Elle m'a regardée, étonnée. Andrew s'est redressé, les yeux ronds. J'ai senti le rouge me monter aux joues. J'ai bredouillé : « Mais oui, sa verrue, Malcolm a une verrue plantaire, il faut la gratter tous les soirs avec une petite lame, et mettre un produit spécial dessus. Il a attrapé ça à la piscine, c'est long comme traitement. » L'infirmière a murmuré quelque chose que je n'ai pas saisi. Puis elle est sortie rapidement. Andrew me regardait avec exaspération. Comme toujours, quand il était énervé, sa langue maternelle reprenait le dessus. Sait-on seulement à quel point la langue anglaise peut-être cinglante ?

— For God's sake, Justine. How pathetic can you get !

J'ai levé la main, j'ai montré notre fils, j'ai chuchoté qu'il ne fallait pas qu'on s'engueule devant lui. Andrew s'est tu. Au bout de quelques minutes, je suis partie. Je ne supportais plus ni l'immobilité de mon fils, ni l'agacement de mon mari. Je suis rentrée.

Devant l'ordinateur, les mots que je devais traduire n'avaient plus aucun sens. Ni en anglais, ni en français. J'ai arrêté de les contempler au bout d'un moment. J'ai pris le téléphone et j'ai appelé le commissariat où Andrew et moi étions allés hier. On m'a passée de service en service. Puis j'ai enfin reconnu la voix un peu traînante du flic aux yeux clairs.

— Ah ! oui, le délit de fuite sur mineur. Le mari anglais.

J'ai dit :

— Avez-vous des nouvelles, s'il vous plaît ?

Claquement d'un briquet à l'autre bout du fil. J'ai presque entendu ses épaules se hausser.

— Ça va être long, vous savez. Une plaque incomplète… c'est long. Puis on est débordés ici. Y a pas que vous, madame.

J'ai senti l'exaspération, l'impuissance monter en moi.

— Mais vous n'avez pas d'ordinateurs, des logiciels, je ne sais pas, moi, une façon ou une autre de retrouver cette foutue plaque ?

Longue bouffée de tabac.

— Vous n'êtes pas dans une série américaine, madame. Ça ne se passe pas comme ça, ici.

— Alors ça se passe comment ? Vous faites comment ?

Ma voix devenait stridente, elle raclait ma gorge.

— On a en effet un fichier informatisé qui s'appelle le STIC. Toutes les cartes grises y sont enregistrées. Mais ce n'est pas automatique. Il faut tout vérifier, les numéros, la marque de la voiture. Page par page. C'est pour ça que c'est long, madame.

J'ai failli raccrocher. J'avais envie de pleurer. Je n'ai rien dit, recroquevillée devant le téléphone, le ventre noué, les mains tremblantes.

Il a dû avoir pitié de moi. Il a murmuré :

— Comment il va, le gamin ?

— Un peu mieux, je crois. Mais il est toujours dans le coma.

— On le retrouvera, madame. Ça mettra du temps, mais on le retrouvera.

J'ai raccroché. Je suis allée dans la cuisine boire un verre de vin. Ce n'était pas l'heure, mais tant pis. J'en avais besoin. Puis je me suis dit que je devais appeler mes amies pour leur dire. Je n'en ai pas eu le courage. J'ai envoyé quelques e-mails, sans trop rentrer dans les détails.

Le téléphone a sonné. Le numéro de maman s'est affiché. Je n'avais pas le courage de lui parler non plus. Sa voix a résonné dans la pièce après le bip sonore.

— Chérie, c'est moi. J'ai eu Andrew, il m'a donné les dernières nouvelles. Ta fille est à l'école. Elle a bien dormi. Elle sait que tu viens la chercher tout à l'heure, mais si tu as encore besoin de moi, n'hésite pas. Ton père est dans un état affreux. Il est effondré. J'ai parlé à ton frère, à ta sœur. Je sais qu'ils t'on t appelée. On est là, ma chérie. Je suis là, ma Justine, tu peux compter sur moi.

J'ai essayé de me concentrer sur mon travail. Impossible. Sur l'écran, je ne voyais que le visage immobile de Malcolm.

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