IV
J'ai pris un café au bar de l'hôtel moderne qui donnait sur la plage.
— Vous êtes bien matinale, m'a dit le serveur.
Je devais avoir une de ces têtes. Ébouriffée, fripée. À quelle heure ouvrait « son » magasin ? Dix heures, certainement. J'avais le temps de rentrer chez Candida, de me doucher, de me changer. En partant, j'ai refait le numéro de la maison, puis le portable d'Andrew. Pas de réponse. Je n'ai pas laissé de message. J'ai appelé l'hôpital, pour avoir des nouvelles de mon fils. « État stable. » Rien de nouveau.
En marchant vers la plage du Miramar, une angoisse soudaine m'a enserré le ventre. Qu'étais-je venue faire ici ? À quoi cela servait-il ? J'étais folle d'espérer quoi que ce soit, d'être là, d'être entrée chez « elle ». Pourquoi la rencontrer ? Pourquoi l'affronter ? Cela n'allait rien changer, rien enlever à ma souffrance. Cela n'allait pas m'aider, n'allait ni me faire avancer, ni me sauver. Ni nous sauver, Andrew et moi. Cela ne servait à rien. Envie de m'effondrer sur le sable mouillé. Puis j'ai entendu la voix d'Arabella, comme si elle était à côté de moi.
— Pick yourself up, girl.
Son ton autoritaire, riche d'humour, de dérision. Je me suis redressée, le dos droit, comme elle. Omoplates basses, menton haut. Démarche d'autruche fière et élégante. « Je sais pourquoi vous êtes ici, Djoustine. Je vous comprends. Je pense que j'aurais fait exactement la même chose, si j'étais à votre place. » Étrange de constater que dans ces moments si solitaires, si douloureux, c'était à ma belle-mère que je pensais. Pas à ma mère, pas à ma sœur. Mais à Arabella et ses silences. Ses souffrances. Ses secrets.
En passant sur la Grande Plage déserte, j'ai eu l'envie de me baigner. Mon soutien-gorge et ma culotte, noirs, pourraient faire office de maillot. De toute façon, il n'y avait personne à cette heure-ci. L'eau était fraîche à couper le souffle. Je n'avais pas nagé dans la mer depuis l'Italie, depuis l'été dernier. Les vagues étaient grosses, mousseuses. Assez puissantes.
J'ai nagé loin, puis je me suis retournée pour admirer la vue. Le Palais. Les villas. Les immeubles modernes. Le phare blanc. J'ai regardé vers le nord, au-delà du phare, vers Malcolm, vers Andrew. Le courant me tirait loin de la côte, j'ai lutté contre lui, puis j'ai rejoint le bord, hors d'haleine. J'avais froid. Rien pour m'essuyer.
Un homme était assis sur le sable, vêtu d'un maillot. Il me regardait. Puis il m'a tendu une serviette-éponge. J'ai hésité, mais j'ai pris la serviette. Je me suis frottée énergiquement. Ses yeux se baladaient sur ma peau hérissée par la chair de poule. Cela faisait longtemps qu'un homme ne m'avait pas regardée ainsi. Je ne savais pas si cela me faisait plaisir ou me gênait. Je n'avais pas envie d'y penser. Mon soutien-gorge et ma culotte, fripés, malmenés par le sel et la houle, ne cachaient plus grand-chose de mon corps.
L'homme souriait, les yeux rêveurs.
— Vous êtes belle.
Je lui ai rendu la serviette.
— Merci.
— Vous êtes très matinale, aussi.
L'accent du coin. Il devait avoir mon âge, un peu moins. Petit, brun, les yeux sombres. Musclé. J'ai remis mes vêtements, toujours sous son regard amusé, admiratif. Il est resté silencieux, souriant. Je me suis éloignée.
— Au revoir. À demain matin, peut-être ? J'ai souri.
— Au revoir.