Le blondinet n’aimait pas ce bar, il avait hâte d’en partir, et dès que la musique s’arrêta et que les guitares furent débranchées, il dit au revoir à Heather sans cérémonie et se dirigea vers la sortie. Il ne voyait pas où était le problème avec la côte du Golfe ou La Nouvelle-Orléans ou Hattiesburg, ou ces millions d’autres endroits où un homme et une femme mariée pouvaient se retrouver et faire ce qui leur chantait. Mais Heather lui avait dit ne fais pas ta chochotte. Restons en terrain familier, histoire que je puisse montrer aux filles le gros lot que j’ai décroché. Cette ville était trop petite, elle ne lui plaisait pas et il avait passé toute la soirée à se demander pourquoi il avait dit d’accord.
Dehors, il croisa un homme et une femme qui se tenaient par la main. Le type le salua d’un hochement de tête et le blondinet piocha ses clés de voiture dans la poche de son pantalon froissé. Il tourna au coin de la rue et se dirigea vers le parking à côté de la voie ferrée, un pâté de maisons plus loin. Il faisait plus sombre là-bas, aucun réverbère, rien que la faible lueur flottante des rues éclairées dans son dos. Son ombre fut avalée par l’obscurité et il se hâta de regagner sa voiture.
Il entendit un bruit de pas précipités, et quand il se retourna et vit les deux hommes qui fonçaient sur lui, il se demanda d’où ils sortaient. Il voulut dire quelque chose mais n’en eut pas le temps, ils fondirent sur lui comme une tornade. Le nez cassé au premier coup de poing et il tomba à la renverse sur le capot d’une voiture. Ils l’immobilisèrent et une grêle de coups s’abattit sur sa tête et son visage. Il essaya de se protéger mais ils étaient plus forts et ils étaient acharnés et ils le plaquaient contre le véhicule sans la moindre difficulté, et la douleur qui lui cisaillait les sinus comme une lame lui montait jusqu’au cerveau et il sentit qu’il perdait connaissance. Il était au bord de l’évanouissement quand l’un des types lui cloua les bras au capot tandis que l’autre lui écarta les jambes et se mit à lui rouer la bite de coups de poing, comme pour bien lui faire comprendre qu’on ne touche pas à la femme d’un autre homme. Le sang ruisselait sur son visage et dans son cou et les quatre poings qui le martelaient sans relâche étaient recouverts du même sang. Il était incapable de bouger et à deux doigts de tourner de l’œil, crucifié sur le capot de la voiture.
Les deux frères firent un pas en arrière et regardèrent autour d’eux. Quelques autres clients avaient quitté le bar et se dirigeaient vers le parking. Larry s’essuya le nez du revers de la main et vit qu’il saignait lui aussi, ayant dans la mêlée pris quelques coups de son frère. On se taille, dit Walt. Y a du monde.
Larry tira de la poche arrière de son pantalon une enveloppe contenant des photos où on voyait le blondinet, à présent ensanglanté, en train de s’en donner à cœur joie avec Heather. Il fourra l’enveloppe dans la poche avant du pantalon du type. Se pencha tout près de son visage, l’écouta batailler pour reprendre son souffle, puis d’une main il lui serra les joues l’une contre l’autre et lui dit voilà ce qui se passe quand on me cherche des emmerdes.
Puis les deux frères disparurent dans le noir au fond du parking. Ils remontèrent à bord de leur pick-up, roulèrent cent mètres et s’arrêtèrent. Guettèrent. Deux femmes qui regagnaient leur voiture aperçurent le blondinet amoché et un cri étouffé jaillit dans la nuit. Les deux femmes retournèrent en courant à l’intérieur du bar et Larry et Walt attendirent que Heather sorte voir ce qui se passait. Elle déboula la première, suivie de ses copines, et elles tournèrent le coin de la rue, traversèrent la chaussée et leurs silhouettes se transformèrent en ombres indistinctes tandis qu’elles passaient entre les voitures garées. Larry les imagina rassemblées en cercle autour de la victime, ne sachant pas quoi faire, et le regard affolé de Heather en voyant son petit joujou démantibulé sur le capot de la bagnole. Il s’adressa à lui-même un sourire en coin dans le rétroviseur, puis se retourna vers le parking. De là où il était, il ne pouvait pas entendre Heather dire à ses copines d’aider le blondinet à se relever et de l’installer dans la voiture. Ne pouvait pas les voir déplacer avec difficulté son corps inerte et les entendre demander s’il ne fallait pas appeler la police, et Heather qui leur répondait mais vous êtes sourdes ou quoi je vous dis de le mettre dans la voiture, c’est tout. Il ne pouvait ni les voir ni les entendre, mais il savait que lorsqu’elle aurait emmené le blondinet en lieu sûr et essuyé son sang sur ses mains et sa robe et qu’elle trouverait les photos fourrées dans sa poche, tout près de cette partie de son corps qu’elle connaissait si bien, alors elle comprendrait que ce serait bientôt son tour de ramper.