Ensuite ils restèrent allongés côte à côte, par terre au beau milieu de la pièce. Sitôt leurs ébats terminés, Caroline était allée prendre des oreillers et une couverture dans un placard du couloir et leur avait improvisé un lit. Russell était allongé sur le dos, les yeux au plafond, et Caroline dormait la tête posée sur sa poitrine. Russell avait essayé de se dégager mais elle avait poussé un grognement, s’était redressée puis de nouveau effondrée sur lui, et alors il avait décidé de laisser tomber. De se laisser aller, de dormir un peu et de suivre le cours des choses, et le lendemain matin il verrait bien de quelle trempe elle était vraiment faite. Mais le sommeil ne vint pas, et il rassembla son courage pour tenter une nouvelle fois de se dégager, trouver ses vêtements et s’en aller. Cette nuit avait été un cadeau, et il voulait en conserver le souvenir intact — la pénombre, le flou de l’ivresse, le bonheur de l’irresponsabilité. La lumière du jour effacerait tout cela. L’effet de la bière s’était déjà dissipé et il sentait monter la migraine, il fallait qu’il se lève et qu’il fume la cigarette qui empêcherait la douleur de le frapper de plein fouet.
Il bougea un peu sur sa gauche. Elle ne réagit pas. De sa main libre, il attrapa l’oreiller derrière sa tête et le posa sur celui de Caroline pour qu’elle ne s’affaisse pas trop. Puis il pivota autant que possible sur le côté, la fit basculer doucement sur le dos et sa tête roula sans heurt de son épaule à l’oreiller. Elle marmonna, puis remonta la couverture sur elle et se tourna sur le côté, face à lui. Il resta assis là, à la regarder, imaginant son corps nu sous la couverture, tel qu’il le connaissait désormais.
Il se releva avec précaution et chercha ses vêtements à tâtons dans le noir. Il fut soulagé de trouver d’abord son pantalon et il l’enfila, puis il mit la main sur sa chemise, ses chaussures, et une chaussette. Ses habits en boule au creux d’un bras, il tendit l’autre et commença à chercher à l’aveugle la chaussette orpheline et son caleçon, mais quand il entendit Caroline renifler et se retourner, il se dit oh et puis merde, tant pis, et il se contenta de mettre ce qu’il avait pu retrouver. Son portefeuille était resté sagement enfoncé dans la poche arrière de son jean, et il se rappela qu’il avait laissé les clés du pick-up sur le contact. Il sentait qu’il lui restait quelque chose à faire avant de s’éclipser. Laisser un mot. Lui déposer un baiser sur la joue. Quelque chose. Mais il ne fit rien, à part jeter un dernier regard à ses épaules. Puis il gagna la porte sur la pointe des pieds et tourna la poignée d’un geste furtif, comme un voleur. Il l’ouvrit juste assez pour pouvoir se glisser dans l’entrebâillement et partit sans se rendre compte que, dans le noir, Caroline avait les yeux grands ouverts.