« Putain, c’est pas vrai », dit Ned en levant les yeux par-dessus les lunettes posées au bout de son nez.
Il était assis à l’extrémité du comptoir devant une tasse de café et le journal qu’il avait attendu toute la journée de pouvoir lire. Le sol avait été balayé comme il l’avait demandé et la vaisselle faite comme il l’avait demandé et il ne restait qu’une table encore occupée. Trois vieilles dames qui fumaient et planchaient sur leurs mots croisés. Il avait à peine eu le temps de jeter un œil à la une quand il aperçut les deux filles qui traversaient le parking. Une blanche. Une noire. Les deux mêmes qu’il avait déjà dû signaler avant.
Il descendit de son tabouret, se dirigea vers le téléphone près de la caisse et composa le numéro du bureau du shérif.
« Bonsoir, dit-il à la standardiste. C’est Ned, du relais. Ça recommence, j’ai deux filles en maraude qui font le tour des camions.
— Compris, Ned. Elles arrêtent jamais, hein ?
— Faut croire. Vous les gardez jamais au frais ou quoi ?
— Pour quoi faire ?
— Je sais pas. Leur foutre la trouille ?
— Ces filles-là sont pas du genre trouillardes. On t’envoie quelqu’un.
— D’accord. »
Il raccrocha. Regarda les filles repérer les camions. Il aurait pu sortir et les faire déguerpir lui-même, mais elles se seraient éloignées de trois pas sur la route et puis elles auraient rappliqué aussi sec dès qu’il serait rentré à l’intérieur. De toute façon, pour ce que je suis payé, je vais pas non plus me fouler, se dit-il. Il alla se rasseoir au bout du comptoir et tourna le dos à la vitre et rouvrit le journal qui d’ici une heure serait déjà celui de la veille.