Chapitre 16

Et brusquement le silence fut rompu par des cris, une bousculade puis il y eut des éclats de rire.

Le glouton Wolverines dévalant la pente comme un boulet noir creusait son sillage dans la foule ; renversant tous ceux qui se trouvaient sur son passage, avant de s'immobiliser devant Angélique, sa superbe queue en panache dressée, sa petite face de rongeur au ras du sol, tandis qu'il dardait sur elle ses yeux immenses où se reflétaient des lueurs rouges du ciel.

La duchesse de Maudribourg avait reculé avec un cri. Elle avait de la peine à ne pas trembler.

– Qu'est-ce que ce monstre ? s'écria-t-elle, terrifiée. Angélique, je vous en prie, sauvez-moi.

– Ce n'est qu'un glouton. Il n'est pas dangereux. Il est apprivoisé.

Angélique s'agenouillait pour caresser la bête. Elle était très heureuse tout à coup de l'apparition de Wolverines. Elle éprouvait une sorte de soulagement.

– Il cherche Cantor. Il est comme fou depuis que celui-ci est parti.

– Votre fils aurait mieux fait de l'emmener, cria Mme Manigault qui s'était retrouvée assise sur son ample séant, heureusement sans dommage.

– Mais il l'a cherché, expliqua Martial Berne. Nous l'avons cherché tous les deux au moment du départ. Mais Wolverines était allé folâtrer dans la forêt avec l'ours. Cantor a dû s'embarquer sans l'avoir trouvé.

– Il est très ami avec l'ours, fit remarquer la petite Anglaise Rose-Ann.

– Ah ! Voici l'ours, dit quelqu'un.

Élie Kempton entrait dans le cercle, suivi de son énorme compagnon.

– Je vous amène Mr Willoagby, déclara-t-il avec solennité au comte de Peyrac. Je l'ai mis au courant de ce que vous attendiez de lui et il ne voit pas d'objections à vous accompagner au fond de la Baie Française, encore qu'il se plaise beaucoup à Gouldsboro et qu'il n'aime pas tellement naviguer. Mais c'est une question de prestige pour l'Angleterre et il le comprend.

– Je remercie ce loyal sujet du roi d'Angleterre, dit Peyrac qui adressa à l'ours quelques mots en anglais.

Celui-ci, en effet, avait prospéré à Gouldsboro, où il se gavait de myrtilles, de noisettes et de miel. Il paraissait deux fois plus gros que lorsqu'il avait débarqué. Il se mit à flairer dans toutes les directions comme s'il cherchait parmi les personnes présentes un visage de connaissance, puis, se dressant sur les pattes de derrière, il se dirigea en se dandinant et en grommelant vers Angélique.

Dressé, il la dominait d'une tête et c'était assez impressionnant.

La duchesse poussa un nouveau cri, étouffé, et faillit défaillir. Les plus proches se reculèrent précipitamment. Joffrey de Peyrac et Colin Paturel eurent, malgré eux, un mouvement en direction de l'animal. Mais de quelques mots en anglais Angélique obtenait de l'ours qu'il se remît sur ses quatre pattes. Et elle le caressa à son tour en lui prodiguant toutes sortes de paroles amicales.

– La Belle et la Bête, exulta le marquis de Villedavray. Vraiment, quel spectacle extraordinaire !...

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