Chapitre 20

Comme il était séduisant et plein de jeunesse, le maître de Gouldsboro, avec son pas hardi, un peu inégal, mais plein d'allant, et l'élégance de son grand manteau qu'il savait porter de façon inégalable, flottant au vent !

De loin, elle voyait briller la blancheur de son sourire. Il leva les mains en signe d'accueil.

– Bienvenue, père, cria-t-il avec affabilité dès qu'il fut à portée de voix.

– Ça ! Par exemple, murmura le père de Vernon, presque malgré lui.

Car la malice du sort voulait que Joffrey de Peyrac avançât, étroitement encadré de tous les ecclésiastiques qui étaient actuellement les hôtes de Gouldsboro et qui, anxieux de se présenter chacun le premier au Jésuite annoncé, l'avaient suivi hâtivement.

Ainsi le maître de Gouldsboro, réputé à Québec comme loin des choses de la foi, se présentait-il mieux escorté qu'un évêque. Il ne manquait point de s'en amuser.

– Eh oui ! fit-il en abordant cordialement le nouveau venu, comme vous le voyez, mon père, encore un peu et je pourrai tenir couvent. On n'attendait plus que vous, pour représenter en ces lieux tous les Ordres qui se dévouent avec tant de courage au salut spirituel de la Nouvelle-France.

I see ! I see ! grommela le marinier Jack Merwin en promenant son regard le plus mercurien sur cette assemblée de bures et de soutanes ; sulpicien, oratorien, récollet et capucin, rien n'y manque. En effet ! C'est presque un concile. Mais comment faites-vous donc, monsieur de Peyrac ? s'exclama-t-il, décidant de prendre la chose avec humour.

– Comment je fais... pour quoi ? Pour attirer les plus saints personnages du pays en mon repaire ?... Ma foi, je n'en sais rien. Interrogez-vous en votre particulier, père, sur les raisons qui vous ont poussé à venir nous visiter et, peut-être, trouverez-vous la réponse ?...

Plus gravement il ajouta en aparté, désirant être entendu du seul Jésuite :

– Quelles qu'elles soient, je m'en réjouis, car je sais que je vous dois la vie d'une personne qui m'est très chère, et je suis heureux de pouvoir vous exprimer de vive voix ma reconnaissance.

D'un signe de tête, Vernon marqua qu'il entendait le propos.

– Je désirais m'informer de la bonne issue du voyage de Mme de Peyrac, dit-il d'un ton léger. Ayant eu l'heur de l'escorter quelques jours parmi de grands dangers, j'ai été informé du tourment qu'elle éprouvait à être séparée de vous, monsieur, et de l'impatience qu'elle avait de vous rejoindre. C'est donc pour moi aussi une grande satisfaction de vous voir tous deux heureusement réunis, en votre domaine.

Angélique bénit le tact du Jésuite. Il venait de dire exactement ce qu'il fallait dire pour effacer entre elle et Joffrey les derniers nuages. Elle le regarda avec affection. Ils continuèrent à descendre vers la place centrale, parmi la curiosité un peu réticente des habitants.

Colin Paturel se présenta à son tour, entouré de ses pirates repentis.

– Je gage que vous aurez des pénitents, ce soir, mon père, si vous tenez confessionnal.

Le père de Vernon aperçut le gouverneur de l'Acadie française.

– Vous ici, monsieur de Villedavray ?

– Et pourquoi n'y serais-je pas comme tout le monde... et comme vous-même, rétorqua le marquis en pointant le nez d'un air bravache.

Angélique s'échappa un instant et courut jusqu'à la maison des Filles du roi, où elle trouva la duchesse de Maudribourg qui, pour une fois, n'était pas en prière.

– Venez vite, lui jeta-t-elle, cette fois j'ai votre ecclésiastique de haut rang pour vos confessions. Un authentique Jésuite, de noble lignée. Le père Louis-Paul Maraicher de Vernon.

La duchesse se laissait brosser les cheveux par ses suivantes. Elle avait l'air plongée dans une rêverie mélancolique. Mais lorsqu'elle eut compris, elle éclata de rire.

– Vous êtes adorable, s'écria-t-elle, et si bonne ! Vous cherchez toujours à donner à tous ce qui peut leur faire du bien. Pourtant je sais que vous m'avez jugée ridicule avec mes exigences ?

– Mais non ! Je n'ignore pas que la vie est dure aux émigrants. Il faut aider chacun à trouver son confort matériel et moral.

– Vous êtes adorable, répéta la duchesse avec attendrissement. Un vrai Jésuite ! Quelle merveille !

Ambroisine de Maudribourg se leva. De sa chevelure soigneusement lissée émanait ce parfum spécial qui avait frappé Angélique lorsqu'elle l'avait soignée le premier jour. C'était un parfum d'une délicatesse envoûtante et qui semblait s'adapter si bien à la personnalité de la duchesse que celle-ci en était comme exaltée et que l'on ne pouvait s'empêcher d'être attiré et charmé par sa fragilité et sa beauté.

– Comment se fait-il ?..., commença Angélique.

Mais la suite de sa question lui échappa, elle ne sut pourquoi.

La duchesse lui prit le bras spontanément et elles se mirent en route. En chemin, une petite ombre qui semblait progresser en trébuchant de pierre en pierre attira leur attention.

– Oh ! Votre chat ! s'exclama la duchesse.

– Mais que fait-il là, le petit fripon ? s'écria Angélique découvrant son protégé qui la considérait de ses yeux immenses, sa petite queue dressée toute droite vers le ciel. Je l'enferme à double tour. Je ne sais comment il réussit à s'échapper.

L'audace avec laquelle le petit chat se lançait dans ce vaste monde redoutable, à seule fin de la suivre et de la retrouver, forçait son admiration et sa tendresse.

– Il finira par lui arriver quelque chose, monologua-t-elle en le ramassant d'une main. Il est si petit, microscopique. Et pourtant, il me semble que je n'ai jamais vu une créature humaine si pleine de vie et de passion. Écoutez comme il se met à ronronner quand je le prends contre moi...

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