Chapitre 4

Quand il se retrouvait sur les rivages, Enrico se reprenait à désigner son maître du titre du Rescator.

Angélique le suivit, le cœur battant, partagée entre l'appréhension et le soulagement. Ainsi « Il » l'avait quand même fait mander.

Elle se hâtait derrière le Maltais. Ils étaient sortis du fort et montaient en direction des arbres. Comme ils parvenaient à l'extrémité du village dont la dernière maison se trouvait un peu en retrait, Angélique entendit le ressac frapper contre les récifs, et il lui revint le souvenir d'une parole semblable qui l'avait entraînée dans un piège. C'était quelques soirs auparavant lorsqu'un matelot inconnu au teint pâle et aux yeux étranges était venu lui dire : « M. de Peyrac vous demande », et l'avait attirée dans l'îlot du Vieux-Navire.

D'instinct, elle porta les mains à sa ceinture. Elle avait oublié ses pistolets. Quelle sottise ! Tournée vers le Maltais, elle s'écria malgré elle :

– Est-ce bien M. de Peyrac qui t'envoie ? Toi aussi me trahis-tu ?

– Que se passe-t-il ?

Le comte se tenait sur le seuil de la dernière maison de bois. Sa haute silhouette se détachait sur la lumière d'un feu flambant dans la rustique cheminée de galets.

Angélique poussa un soupir de soulagement.

– Ah ! J'ai craint de tomber encore dans un piège, la dernière fois c'était un démon blanc qui était venu de la mer...

– Un démon blanc ?

Peyrac la regarda d'un air intrigué.

Il descendit à sa rencontre et la prit par le bras pour lui faire franchir le seuil de pierre.

D'un geste il congédia le Maltais et referma la porte dont le grossier vantail de bois étouffa le fracas des Ilots.

Le craquement du feu, seul, emplit la petite pièce. Angélique s'approcha de l'âtre et tendit ses mains à la flamme. Sous le coup de l'émotion, elle grelottait. Le comte l'observait.

– Comme vous êtes nerveuse ! fit-il avec douceur.

Elle tourna vers lui son beau regard que l'anxiété et le tourment assombrissaient jusqu'à donner à ses prunelles une teinte d'eau marine agitée par la tempête.

– On le serait à moins après ces journées terribles. Et je craignais que vous n'ayez oublié ce que nous nous étions dit ce matin.

– Comment pourrais-je l'oublier, surtout lorsque vous me regardez avec de si beaux yeux !

Sa voix familière, aux tendres inflexions, la traversa toute, et elle le considéra éperdument, ne pouvant croire à son entière rémission.

Il sourit.

– Ça, mon cœur, expliquons-nous, fit-il avec gentillesse, il en est temps et nous n'avons que trop tardé. Asseyez-vous.

Il lui désignait un des deux escabeaux qui, avec une table grossière, un bat-flanc et des objets de pêche, composaient l'ameublement de la cabane.

Lui-même s'assit de l'autre côté de la table. Il l'examinait avec attention et un sentiment passionné faisait briller son regard sombre tandis qu'il détaillait sur ses traits, qu'encadrait la somptueuse chevelure d'or pâle, les traces que le chagrin y avait laissées et celles du coup qui l'avait meurtrie. Le souvenir de sa propre violence le bouleversa.

– Oh ! Ma bien-aimée ! murmura-t-il d'une voix sourde. Oui, vous avez raison ; ne laissons pas nos ennemis prévaloir contre nous. Aucune offense ne mérite de voir détruire entre nous ce qui nous lie.

– Je ne vous ai pas offensé, balbutia-t-elle..., ou à peine.

– J'aime la restriction, dit Peyrac.

Et il éclata de rire.

– Ma chérie, vous êtes merveilleuse. Vous m'avez toujours égayé, ravi par votre spontanéité. Asseyez-vous donc.

Elle ne savait s'il se moquait, mais la chaleur de sa voix apaisa la tension qui la faisait souffrir.

Elle s'assit comme il le lui intimait. Déjà sous son regard amoureux tout s'effaçait de sa peur et de cette horrible impression de l'avoir perdu et d'être à nouveau seule au monde.

– Peut-être avons-nous été trop longtemps solitaires ? fit-il comme répondant à son impression secrète. Peut-être, jadis, lorsque l'ostracisme du roi nous a séparés, n'avions-nous pas assez mesuré la force de notre amour, et peut-être, nous retrouvant, n'avons-nous pas assez mesuré la profondeur de nos blessures ? Vous avez été longtemps accoutumée à vous défendre, seule, à vous défier de tous, à craindre la malignité du sort qui vous avait déjà une fois accablée si terriblement.

– Oh ! Oui, dit-elle dans une sorte de sanglot. J'avais dix-huit ans. Vous étiez mon ciel, ma vie, et je vous avais perdu à jamais. Comment ai-je pu survivre à cela ?...

– Oui, pauvre petite fille ! J'ai mésestimé la puissance des sentiments que vous m'aviez inspirés, et surtout la valeur de ceux que vous me portiez. Je voulais croire qu'une fois disparu vous m'oublieriez.

– Cela vous arrangeait pour rejoindre votre première maîtresse, la Science... Oh ! Je vous connaissais... Vous étiez capable d'accepter de mourir pour savoir si la Terre tournait et, séparé de moi, vous avez pu survivre, mordre à tous les plaisirs de votre vie aventureuse...

– Oui, vous avez raison... Cependant, écoutez, voici ce que j'ai découvert au cours de ces derniers jours, au cours de cette tempête qui vient de nous secouer, tous deux. Certes, vous m'avez séduit jadis, et j'étais fou de vous, cependant, comme vous venez de le dire, j'ai pu survivre. Mais aujourd'hui je ne le pourrais plus. Voilà ce que vous avez fait de moi, madame, et certes, un tel aveu ne m'est pas facile.

Il sourit, mais sur ces traits burinés, que la vie avait marqués de son sceau cruel par les grandes cicatrices qui pâlissaient son hâle, elle voyait transparaître la force du sentiment authentique qu'il lui dédiait. Son regard brûlant s'attachait à elle avec une sorte d'étonnement.

– C'est une chose étrange que l'Amour, reprit-il comme se parlant à lui-même, une plante surprenante. La jeunesse croit la cueillir dans son épanouissement et que son destin sera de s'étioler ensuite. Alors qu'il ne s'agit, en vérité, que des prémices d'un fruit plus savoureux qui n'est donné qu'à la constance, à la ferveur, à la connaissance mutuelle. Bien des fois, au cours de ces derniers jours, je vous ai revue arrivant à Toulouse, belle, fière, neuve, à la fois enfantine et sagace. Peut-être en ce temps-là ai-je voulu ignorer que votre fraîche personnalité me fascinait plus encore que votre beauté. Sait-on ce qu'on aime dans ce premier regard qui lie deux êtres l'un à autre ? Souvent sans le savoir, les richesses cachées, les forces contenues, et que seul l'avenir révélera... ce que les puissants de ce monde ne m'ont pas laissé le temps de découvrir en vous... Même en ce temps-là je restais sur la défensive. Je pensais : elle changera, elle deviendra comme les autres, elle perdra cette intransigeance exquise, cette ardeur de vivre, cette finesse intelligente... et puis non... je vous ai retrouvée, vous et, en même temps, autre... Ne me regardez pas avec ce regard-là, mon amour. Je ne sais où vous allez chercher sa séduction, mais il me bouleverse jusqu'aux moelles.

« Ce sont vos yeux, ce regard nouveau, inconnu que vous m'avez révélé à La Rochelle, lorsque vous avez surgi de la nuit et de la tempête pour venir me demander de sauver vos amis huguenots3 – c'est de là que vient tout le mal, c'est ce regard qui a fait de moi un homme que je ne reconnais plus. Ah ! je crains d'avoir trop d'attachement pour vous. Vous me rendez faible. Différent de moi-même... Oui, c'est de là que mon mal est né. Vos yeux au regard inconnu, dont je ne parviens pas encore à percer le secret. Savez-vous ce qui est arrivé, mon cœur, lorsque vous êtes venue me trouver cette nuit-là, à La Rochelle, savez-vous ce qui est arrivé ?... Eh bien, je suis tombé amoureux de vous, Amoureux fou. Amoureux éperdu, et d'autant plus que je n'ai pas voulu comprendre, sachant qui vous étiez, ce qui arrivait. C'était une confusion, et ce fut souvent une torture.

« Sentiment étrange, vraiment ! Quand je vous voyais sur le Gouldsboro, votre petite fille rousse dans les bras, parmi vos amis huguenots, j'oubliais que vous étiez cette épouse que j'avais reçue jadis en mariage. Vous n'étiez plus que cette femme presque étrangère que je venais de rencontrer par les hasards de la vie et qui me fascinait, me séduisait jusqu'à la moelle des os et qui me tourmentait par sa beauté, sa tristesse, le charme de ses rares sourires, une femme mystérieuse et qui m'échappait, et qu'il me fallait conquérir à tout prix.

« Ainsi, dans ma situation ambiguë d'époux tombé amoureux fou de sa propre femme, essayai-je de me raccrocher à ce que j'avais connu de vous dans le passé, pour vous amener jusqu'à moi, vous exiger plus proche, et si je me suis senti parfois maladroit de brandir mon titre de mari, pour vous enchaîner à moi, c'est que je voulais vous avoir à ma merci, près de moi, ma maîtresse, ma passion, vous, ma femme qui pour la seconde fois, mais par des artifices nouveaux et inattendus, m'enchaînait sous son joug. Alors je commençai à craindre la découverte amère de votre désaffection pour moi, de discerner en votre cœur l'indifférence et l'oubli pour un époux depuis trop longtemps banni, et dans l'appréhension où je me trouvais de tout cet inconnu qu'il y avait en vous – ah ! Que vous étiez insaisissable et difficile à captiver, ma petite mère abbesse ! – peut-être n'ai-je pas su mener à bien ma conquête. Je commençais à comprendre que j'avais pris trop légèrement la vie en ce qui concernait les femmes et vous en particulier, mon épouse. Et quel bien précieux j'avais négligé !

Angélique l'écoutait, retenant son souffle ; elle l'écoutait avidement et chaque mot lui rendait vie. Elle était devant lui comme l'oiseau captif devant l'oiseleur qui use de son pouvoir pour retenir près de lui par la fascination ou le sentiment un être fragile près de lui échapper. Non, elle ne voulait pas lui échapper. La caresse de sa voix sourde, de son regard brûlant, de sa présence, valait bien, pour elle, le sacrifice de toutes les libertés. Qu'était l'envol solitaire dans le danger de l'espace désert, près de la chaude certitude d'avoir atteint son havre près de lui. Cela elle l'avait toujours su, mais il lui restait à en prendre conscience, et ce monologue, cette sorte de confession qu'il osait ainsi devant elle, par amour, lui révélait, par son analyse à la fois subtile et sincère, combien elle régnait sur son cœur. Il n'avait jamais cessé de penser à elle, essayant de la comprendre afin de mieux la rejoindre.

– Votre indépendance fantaisiste me causait mille tourments, car ne sachant quelle idée pourrait vous passer par la tête, la peur de vous perdre une fois encore dominait mes soucis, et j'y voyais aussi le signe que vous n'apparteniez qu'à vous-même. La sagesse me soufflait qu'on ne guérit pas si facilement de blessures si profondes, telles que celles dont vous aviez été atteinte loin de moi, qu'il me fallait prendre patience, mais cette crainte demeurait en moi, oppressante, et c'est ce qui a éclaté lorsque tout à coup... Angélique, mon amour, dites-moi, pourquoi êtes-vous partie ainsi d'Uoussnock pour le village anglais sans m'avertir ?

– Mais... c'est vous qui m'en avez donné l'ordre ! s'écria-t-elle.

Il fronça les sourcils.

– Comment cela ?

Angélique passa la main sur son front.

– Je ne me souviens plus exactement comment les choses se sont passées, mais ce dont je suis sûre c'est que c'est sur votre ordre pertinent que je me suis mise en chemin pour reconduire Rose-Ann chez ses grands-parents. J'étais même assez contrariée de ne pouvoir faire ce voyage en votre compagnie.

Il réfléchissait. Elle le vit serrer les poings et murmurer entre les dents.

– Alors ce serait donc « eux » encore qui auraient manigancé cela ?

– Que voulez-vous dire ?...

– Rien... Ou plutôt, si, je commence à comprendre bien des choses. Vous m'avez ouvert les yeux ce matin lorsque vous m'avez dit : « Nos ennemis veulent nous séparer. Les laisserons-nous triompher ?... » Voici encore un de vos pouvoirs nouveaux qui m'attachent à vous de façon si exclusive. La façon dont vous me portez aide dans les embûches et les difficultés qui nous assaillent, avec une habileté, une diversité qui n'appartiennent qu'à vous – ce morceau de sucre que vous avez donné au petit Canadien devant Katarunk et qui nous a tous sauvés du carnage !... – mais aussi une prescience exacte qui m'émerveille. J ai pris goût à ce sentiment nouveau : une femme à mes côtés qui partage tout de ma vie.

« Alors votre absence, votre disparition, le soupçon de votre infidélité !... Comment supporter cela désormais ! Je retournerais plus volontiers au chevalet du bourreau. Pardonnez-moi, mon amour, la colère qui m'a saisi.

« Mais considérez, mon cœur, en quel état la passion que vous m'inspirez m'a jeté, jusqu'à me faire perdre ce sens d'équité que j'essaye de maintenir parmi les vicissitudes de mes charges. Vous m'avez jeté dans la colère, l'injustice, et même à votre égard dans le désir de vous atteindre et de vous faire pâtir, vous, mon seul amour, ma femme... Certes, il n'est pas facile de découvrir une vérité à laquelle le comte de Peyrac n'aurait pas adhéré facilement jadis : la douleur de l'amour. Mais vous me l'avez imposée par le pouvoir de votre charme sur tout mon être. Voyez ce que l'Angélique de jadis, si délicieuse et inconsciente séductrice qu'elle fût, n'avait pas éveillé en moi, eh bien ! celle que j'ai retrouvée à La Rochelle, avec son âme nouvelle, sa science de la vie, ses contrastes – ce mélange en vous de douceur et de violence, comment se défendre de cela ? – cette Angélique presque étrangère qui est venue à moi me demander secours pour des êtres menacés, l'a réussi.

Il s'interrompit, resta songeur un instant. Revoyait-il la scène qui s'était jouée en cette nuit tempétueuse, alors que son navire-pirate le Gouldsboro se lançait à l'ancre dans une crique cachée, aux abords de La Rochelle4.

– Vous souvenez-vous ? Tout était étrange, inattendu, mystérieux, cette nuit-là. Le destin nous poussait l'un vers l'autre sans que nous le soupçonnions.

« J'étais seul dans ma cabine, et je pensais à vous. Je faisais des plans, je me disais : « Je suis sous les murs de La Rochelle, mais comment la retrouver maintenant ? » Je n'avais pour piste que les quelques mots que m'avait lancés Rochat dans un port espagnol : « La Française... vous savez... que vous aviez achetée à Candie et qui s'est enfuie, eh bien ! Je l'ai rencontrée à La Rochelle ! » Et, tout à coup, Jason, mon second, est entré et m'a dit de cet air froid qui lui était habituel – pauvre Jason ! – « la femme française que vous avez achetée à Candie est là et vous demande ! ». J'ai cru devenir fou. Fou de joie, d'émerveillement, et aussi... d'effroi.

« L'homme est stupide ! Le bonheur lui fait plus peur que la douleur et le combat. Craint-il en la joie un piège qui aura raison de lui plus facilement que l'adversité ?... Je ne sais !

« En l'occurrence je n'ai pas échappé à la règle commune. Pour aborder cet instant inimaginable, je me suis bardé de tous mes doutes, de toutes mes rancœurs, mes craintes, mes amertumes, mes défiances...

Angélique eut un sourire.

– Il est vrai que je n'étais guère une femme séduisante à retrouver, reconnut-elle. Vous aviez gardé d'autres souvenirs. En quel état étais-je cette nuit-là ? Trempée, boueuse, échevelée, j'étais tombée en courant sur la lande.

– Vous étiez... ah ! Que dire ? murmura-t-il. Mon cœur s'est brisé... C'était comme si j'avais vu surgir devant moi l'image de ce que vous avait infligé l'injustice du sort, de ce que la cruauté des hommes – et la mienne aussi inconsciente peut-être —avait fait de vous... Je me suis senti glacé, incapable par des mots de renouer le lien qui, au delà d'une telle catastrophe, nous unissait. À Candie, cela aurait été plus facile... Mais, à La Rochelle, j'ai senti que vous n'apparteniez plus à notre passé commun, vous étiez devenue l'autre. Et, en même temps, il arrivait ce que je vous expliquais tout à l'heure. De cette autre femme, si différente, si bouleversante, qui m'expliquait sans prendre garde à son triste état, à son sang qui coulait, à l'eau glacée qui la trempait, qu'il fallait sauver ses amis, de cette femme qui ne vous ressemblait plus et qui vous ressemblait encore, j'étais en train de tomber éperdument amoureux. Un coup de foudre où tout se mêlait : l'admiration, le goût, le charme inexplicable, la pitié, la tendresse, la volonté de protection, la peur de perdre, de laisser échapper un tel trésor, l'incertitude de l'instant...

– Dois-je vous croire ? Ne m'avez-vous pas déclaré avec cynisme : « Par quel phénomène une captive payée par moi une fortune est-elle devenue une femme dont je ne donnerais pas aujourd'hui cent piastres !... »

– J'essayais de dissimuler sous l'ironie des émotions inhabituelles. Oui ! L'homme est stupide. La vérité ?... Vous m'avez brûlé, ce soir-là. Mais j'avais perdu, dans une certaine mesure, l'habitude du sentiment, la possibilité de l'exprimer. Il me fallait mettre de l'ordre dans tout cela, et l'instant, vous le reconnaissez, ce que vous exigiez de moi avec tant de ferveur, ne m'en laissait guère le temps.

« Peu à peu j'ai réfléchi, vu plus clair, je vous l'ai dit déjà : Vous étiez restée en moi un souvenir taraudant certes, mais comme une image qui se faisait imprécise, car la petite comtesse charmante qui avait été ma femme, je ne la voyais pas à mes côtés dans cette vie d'aventurier, jetée sur tous les océans, qui était devenue la mienne.

« Vous étiez aussi celle dont j'avais essayé de bannir le souvenir lorsque j'avais appris son remariage avec le marquis de Plessis-Bellière, celle que j accusais obscurément d'abandon envers mes fils, d'inconséquence dans ses folles pérégrinations en Méditerranée.

« Et, bien que je vous recherchasse, ne pouvant briser le lien qui nous unissait, votre image en moi s'était faite imprécise. Et, je vous retrouvais, une autre femme et vous pourtant, vous surpreniez mon cœur engourdi, l'arrachiez à sa léthargie. Il revivait, retrouvant avec un nouvel amour les délices des tourments et des espérances. Cela n'a pas été facile de vous conquérir à nouveau dans les hasards qui nous opposaient sur le Gouldsboro. J'ai pu enfin vous garder jalousement près de moi à Wapassou, mais parfois, même au cours de cet hiver, la crainte que l'épreuve n'outrepassât vos forces et aussi que la méconnaissance que j'avais de vous ne m'entraînât à vous blesser, me laissait dans le doute à votre égard. Car votre force de silence et d'acceptation m'effrayait, je ne savais comment dénouer cette habitude que vous aviez contractée de vous taire dans la difficulté et la souffrance, sachant que là pourrait se situer l'écueil de notre entente, que tant que vous vous protégeriez si jalousement de chercher secours près de moi, vous m'échapperiez, une partie de vous-même restant attachée à cette partie de votre vie que vous avez vécue loin de moi et que vous étiez encore susceptible d'en subir le pouvoir. Et de cela je tremblais parfois... sans trouver d'autres remèdes que la patience et le verdict du temps...

« Voilà, je crois, où nous en étions, lorsque, il y a quelques semaines, nous avons rejoint Houssnock, sur le Kennebec... et que tout à coup vous avez disparu...

Il fit une pause, ébaucha une grimace, puis il lui dédia un sourire caustique, mais qui n'effaçait as la chaude passion brillant dans ses yeux sombres.

– Certes, ce n'est pas une situation confortable que de se trouver subitement cocu à la face du monde, fit-il, mais ce n'est pas à ce titre-là que j'ai le plus cruellement souffert... Quoiqu'il fallût que l'événement ne désarçonnât pas nos gens... Mais là vous m'avez aidé... Oui, sur ce point, dans cette tempête, vous ne m'avez pas déçu... Vous avez été vraiment... ce qu'il fallait être et jusque dans ma colère, vous forciez mon admiration, ma passion... ah ! Quel sentiment terrible ! Car c'est en homme jaloux que j'ai souffert. Jaloux, est-ce le mot ? Plutôt en homme amoureux et qui n'a pas encore achevé sa conquête et qui la voit lui échapper avant qu'il ait pu atteindre ce point de rencontre incommunicable de l'Amour : la certitude. La certitude mutuelle. Tant qu'on tremble, la douleur est prête à surgir, et le doute, et la crainte que tout s'achève avant... avant qu'on se soit atteint pour cette rencontre sans nom qui vous communique joie, force, pérennité.

Par-delà la table de gros bois, Angélique n'avait cessé de le fixer ardemment. Elle oubliait tout du monde extérieur. Il n'y avait plus que lui sur la terre et leur vie à tous deux qu'évoquaient les mots prononcés et qui faisaient lever des images, des souvenirs, même du temps où ils étaient séparés.

Il se trompa sur son silence.

– Vous m'en voulez encore ! dit-il. De ce qui s'est passé ces jours derniers... Je vous ai meurtrie !... Allons, dites-moi ce qui vous a blessée le plus durement de mon inqualifiable conduite. Plaignez-vous un peu, ma chérie, que je vous connaisse mieux...

– Me plaindre, murmura-t-elle, de vous, vous à qui je dois tout ?... Non, ce n'est pas cela... Disons qu'il y a des choses que je n'ai pas comprises, parce que, moi aussi, je ne vous connais pas assez...

– Par exemple ?

Elle ne savait plus. Ses griefs soudain fondaient au soleil d'un amour si tendre et si profond.

– Eh bien... vous avez nommé Colin gouverneur.

– Auriez-vous souhaité que je le pende ?

– Non, mais...

Il lui sourit avec indulgence.

– Oui je comprends !... Cette alliance de deux hommes entre eux alors qu'ils devraient être ennemis pour la beauté d'Hélène de Troie, c'est assez exécrable !... Vous avez souffert de cela, vous ?...

– Un peu... n'est-ce pas féminin ?

– J'en conviens... et vous êtes adorable, répliqua-t-il. Quoi donc encore ?

– Vous m'avez obligée à lui donner le bras lorsque nous nous sommes rendus à la salle du festin...

– Je reconnais que c'était parfaitement odieux. Pardonnez-moi, mon cœur. Il y a des moments où, lorsqu'on lutte farouchement pour quelque chose, on administre quelques coups maladroits. Je voulais, trop peut-être, effacer à mes yeux, oublier...

– Et vous flirtiez avec cette Inès !

– Quelle Inès ? demanda-t-il.

– Mais, la maîtresse espagnole de Vanereike... pendant le festin...

– Ah ! Oui, j'y suis... Devoir d'hôte ! Ne devais-je pas consoler cette charmante jeune personne de l'attention que vous portait notre Dunkerquois. Lorsqu'on souffre soi-même du poison de la jalousie, on éprouve quelque pitié pour ceux qui partagent les mêmes tourments...

Angélique baissa la tête. Avec la mémoire, la douleur revenait.

– Il y a quelque chose de plus grave, murmura-t-elle.

– Quoi donc ?

– Ce piège dans l'île du Vieux-Navire ! Nous avoir attirés ainsi, Colin et moi, ce n'est pas de vous cela !

La physionomie du comte de Peyrac s'assombrit.

– En effet... Ce n'est pas de moi.

Il tira de son pourpoint un bout de papier froissé qu'il lui tendit. Elle déchiffra ces mots tracés par une écriture grossière.

Votre épouse est dans l'îlot du Vieux-Navire avec Barbe d'Or. Abordez par le côté nord afin qu'ils ne vous voient point survenir. Vous pourrez ainsi les surprendre dans les bras l'un de l'autre.

Un frisson secoua Angélique. La terreur inconditionnelle qui s'était parfois emparée d'elle au cours des derniers jours l'envahit à nouveau et la glaça.

– Mais qui... qui a pu écrire cela ?... balbutia-t-elle. De qui tenez-vous ce billet ?

– Un matelot de l'équipage de Vanereike, qui ne servait que d'intermédiaire, me l'a remis. Avec lui, j'essayai de retrouver l'individu qui lui avait passé ce message avec charge de me le transmettre, mais en vain. « Ils » agissent ainsi. « Ils » profitent du débarquement des équipages et du mouvement créé dans un port pour se glisser parmi nous et agir, puis « ils » s'évanouissent comme des fantômes.

– « Ils », quels « ils » ?

Peyrac restait soucieux.

– Il y a des inconnus dans la Baie, fit-il enfin, qui rôdent et qui, j'en ai acquis la certitude, se préoccupent de nous de façon excessive.

– Des Français, des Anglais ?...

– Je l'ignore. Des Français, plutôt, mais qui ne relèvent d'aucun pavillon et dont le but serait de créer le désordre parmi nous.

– L'homme au teint pâle qui est venu m'avertir que vous me demandiez dans l'île serait-il des leurs ?

– Sans doute. Et aussi l'homme qui, sur le chemin de Houssnock, m'a prévenu faussement que vous vous étiez sauvée et que vous voguiez sur Le Rochelais vers Gouldsboro...

Il lui conta comment, rassuré sur son sort par cette rencontre, il avait décidé de suivre Saint-Castine jusqu'à Pentagoët, sur le chemin de Gouldsboro, après avoir récompensé l'homme qui l'avait averti.

– Je lui ai donné des perles de lambi.

– Mais... qui peuvent-« ils » être ?... Qui les envoie ?

– Impossible de le déterminer encore. Ce qui est certain c'est qu'« ils » étaient bien informés de nos faits et gestes et qu'« ils » ne reculent devant rien, car transmettre de fausses nouvelles dans le monde des marins est une infamie plus grave que de commettre un crime. Même entre ennemis, il y a une solidarité des hommes de la mer que seuls des êtres abjects ou de francs bandits peuvent se permettre de trahir. Ceux-là sont de la pire espèce, je le pressens.

– Ainsi j'avais donc raison, murmura-t-elle, de craindre je ne sais quelle entreprise... diabolique qui s'est mise en marche contre nous...

– Alors je vous ai vue dans l'île avec Barbe d'Or. Et voici qu'il survenait un fait inconnu de nos ennemis, quelque chose qu'ils ne pouvaient pas savoir, c'est que Barbe d'Or c'était Colin. Et cela changeait tout. Colin Paturel, le roi des Esclaves de Miquenez, presque un ami pour moi aussi, pour le moins un homme que j'estimais fort car sa réputation était grande en Méditerranée. Oui, cela changeait beaucoup de choses pour moi. Colin !... un homme auquel il n'était pas déshonorant que vous ayez accordé, disons... votre amitié... Mais je devais m'assurer de la personne de Barbe d'Or. J'ai renvoyé Yann chercher du renfort avec ordre de ne revenir par le chenal qu'à l'heure où la marée se retirerait.

– Et vous êtes resté.

– Je suis resté.

– Vous vouliez savoir qui j'étais ? interrogea-t-elle en le regardant en face.

– Je l'ai su.

– Vous auriez pu avoir d'amères révélations.

– J'en ai eu de merveilleuses et qui ont fortifié mon cœur.

– Toujours vos gageures insensées !

– Il n'y a pas que cela. Il n'y a pas eu dans ma décision de rester dans l'île et de m'y tenir caché jusqu'au retour de mes gens, que le goût d'en savoir plus long sur ma belle inconnue d'épouse. Certes, l'occasion s'offrait ; il y a beaucoup à apprendre, pour un mari, sur une jolie femme qui devise avec un homme qui ne lui fut pas indifférent jadis et dont elle sait qu'il l'aime encore. Mais la seule curiosité n'aurait pas suffi à m'engager dans un si pénible défi, si je ne m'y étais trouvé contraint par la situation même. Considérez, mon cœur, qu'elle était délicate, disons epineuse à plus d'un titre. Si je m'étais présenté seul à vous, croyez-vous que Colin se serait laissé persuader facilement de mes intentions pacifiques en tant que mari. Et qu'en tant que pirate méritant d'être pendu haut et court, il se serait laissé appréhender facilement par le maître de Gouldsboro. Vous m'accusez de relever trop facilement de folles gageures, mais celle de l'affronter en combat singulier sur cette plage, sans autre témoin que vous-même et les loups-marins, avec comme conclusion certaine sa mort ou la mienne, ne m'a pas paru saine et profitable à quiconque. Votre Colin n'a jamais eu la réputation d'être un personnage facile à manier. Allez le demander à Moulay Ismaël, qui parlait de lui avec respect et presque de l'effroi, et pourtant ce n'était qu'un esclave aux mains nues devant ce roi intraitable et cruel.

– Vous avez pourtant réussi à convaincre cet intraitable de vous servir, vous avez réussi à le faire tomber en votre pouvoir fascinateur.

– Parce qu'on me l'a amené enchaîné entre quatre hommes en armes. Il n'en était pas de même sur l'île du Vieux-Navire.

« Ceci posé, qu'avais-je d'autre à faire là-bas que de demeurer le témoin invisible de votre rencontre ? Au demeurant, fortuite et involontaire comme j'ai pu le savoir plus tard. Là encore nos ennemis jouaient gagnants en nous réunissant tous trois sur cette île. Tous les éléments étaient en place pour que nous forgions nous-mêmes notre propre perte. La seule parade à de telles combinaisons diaboliques c'est d'y opposer un comportement contraire à celui envisagé. Dieu merci, nous avons reçu tous trois la force morale de résister.

– Diabolique ! répéta Angélique.

– Ne vous effrayez pas. Je saurai déjouer leurs plans et, quels qu'ils soient, les écarter. Tant que nous ne soupçonnions pas leurs présences, nous avons trébuché dans leurs pièges et il semble que vous en avez été la première victime, à Houssnock et à Brunschwick-Falls où vous avez failli perdre votre liberté et peut-être la vie. Cette attaque au village anglais par les Abénakis, et qui était destinée à vous capturer, entrait-elle aussi dans des plans occultes ?... Je ne sais. Mais déjà lorsque j'ai reçu ce billet, au soir de la bataille navale contre Barbe d'Or, une méfiance s'était éveillée en moi. Je savais qu'un jour ou l'autre « ils » prendraient contact. J'avais cru un instant qu'il s'agissait de Barbe d'Or, mais en l'occurrence je recevais la preuve du contraire. Je me suis rendu dans l'île, par le chenal, avec une barque et un seul homme, mais je restais désormais sur la défensive de l'inconnu et... de moi-même, car ce pouvait être une fausse dénonciation pour m'attirer moi aussi dans un piège, ou ce pouvait être vrai et l'« on » comptait sur ma colère pour me faire commettre d'irréparables gestes et particulièrement contre Vous. Cette volonté de vous nuire à vous, à vous surtout m'est devenue perceptible.

« Prends garde ! me disais-je, prends garde. Souviens-toi que, quoi qu'il arrive, rien ne doit l'atteindre Elle. Et surtout par toi. » Ma colère se détournait vers les misérables qui cherchaient à faire de moi l'instrument du malheur contre vous, dans leurs plans machiavéliques. « Tu ne leur accorderas pas cela ! » me disais-je. Cette fois au moins je devais vous défendre de leurs attaques, quel que fût le prix à payer.

« Ne vous ai-je pas conquise à Toulouse, en me battant en duel avec le neveu de l'archevêque ?

– Ce n'était pas la même chose, s'écria Angélique avec feu, ce ne sera plus jamais la même chose. Pour qui me prenez-vous ? Maintenant, je vous aime !... (Et, surprise de cet aveu comme d'une révélation.) Oh ! oui je vous aime... Trop ! Trop vraiment pour ce que vous méritez. Votre éloignement de tous fut-il si distant que vous ne puissiez même pas concevoir l'attachement que j'ai pour vous ? N'avons-nous pas lutté ensemble contre les Iroquois, contre les Français et leurs sauvages, contre l'hiver, la maladie, la mort ? Ai-je démérité de vous ?... Je vous en prie, si vous ne voulez pas me faire souffrir, gardez-vous, gardez-vous pour moi, mon cher amour. Cessez de faire fi de votre vie, car de vous perdre, cette fois, j'en mourrais, j'en mourrais !

Il s'était dressé, il vint à elle et lui ouvrit les bras. Elle l'étreignit, le front contre son épaule, se perdant en ce refuge merveilleux, où toute sa vie semblait s'anéantir pour y goûter, dans le contact enfin retrouvé de sa présence, de sa chaleur, de son odeur familière, un instant d'intense félicité.

– Moi aussi j'ai été coupable, murmura-t-elle, j'ai douté de votre amour pour moi et de la valeur de vos sentiments. J'aurais dû vous dire tout de suite : « Voilà j'ai retrouvé Colin »... Mais j'ai eu peur. Je ne sais quelle crainte m'a retenue. Habituée à lutter contre les embûches mesquines, contre la bassesse, la vilenie qui gouvernent les actions des hommes, je me suis accoutumée au silence plutôt qu'à la vérité. Pardonnez-moi. Entre nous, ce ne doit pas être.

Il prit le beau visage dans ses mains et le renversa pour plonger son regard dans le sien et baiser doucement ses lèvres.

– Nous ne pouvions nous retrouver sans blessure après tant d'heurs et de malheurs qui ont transformé nos cœurs et marqué nos esprits. La crainte demeurait, au seuil de cette merveilleuse et nouvelle découverte de l'amour, d'être frustrés encore. Mal guéris, nous nous interrogions : la vie nous apprendra-t-elle par les regrets et les nostalgies qui nous poignent et les élans qui nous bouleversent, combien nous étions vraiment destinés l'un à l'autre ? Jadis, à Toulouse, ce fut une fête, un éblouissement. Mais ce n'était pas l'arbre, ce n'était que les racines d'un amour qui devait demander à l'avenir sa signification complète. Eh bien, nous avons su. Loin l'un de l'autre nous avons saigné ensemble de toutes sortes de plaies, sans cependant cesser de nous savoir, dans le secret de nos cœurs, unis à jamais. Il faut maintenant nous reconnaître et nous le dire. Petite étrangère chérie, que je n'ai pas su encore entièrement apprivoiser, pardonnez-moi, pardonnez-moi...

Il baisait avec une infinie douceur la meurtrissure de sa tempe.

– Mon nouvel amour, ma bien-aimée de toujours, ma trop silencieuse...

Elle passa ses doigts, en une caresse, dans ses cheveux touffus, puis sur sa tempe argentée.

– Vous avez toujours su parler d'amour. L'aventurier des mers et le conquérant du Nouveau Monde n'ont pas tué le Troubadour du Languedoc.

– Il est loin. Je ne suis plus le comte de Toulouse.

– Que m'importe le comte de Toulouse ? Celui que j'aime, c'est le pirate qui m'a prise en pitié à La Rochelle, et qui m'a donné à boire une tasse de café turc alors que je mourais de froid, celui qui a fait tirer sur les dragons du roi pour défendre mes amis huguenots pourchassés, et celui encore qui, malgré leur ingratitude, a su leur faire grâce sur mes prières, celui avec lequel j'ai dormi au fond des bois dans une sécurité si profonde qu'on ne peut en connaître de plus grande sur terre que dans l'enfance, celui qui a dit à ma petite fille : « Damoiselle, je suis votre père... » Vous m'êtes si cher. Je n'aurais pas voulu que vous ayez été indifférent à cet... cet incident. J'ai besoin de sentir sans cesse que je vous appartiens... vraiment !

Le lien charnel qui avait été toujours si fort entre eux ajoutait son vertige à cet instant de bonheur sans ombre, et leurs lèvres se joignaient longuement, passionnément, entrecoupant de silences enivrés le murmure de leurs aveux.

– Magicienne ! Magicienne ! Comment me défendre de vous ? Mais je saurais bien un jour vous atteindre à jamais...

Joffrey de Peyrac regarda autour de lui :

– Et maintenant que faire, trésor de mon cœur ? Cette population nous dévore. À force d'hospitaliser pirates et naufragés, nous n'avons même plus un coin à nous. N'avez-vous pas cédé notre appartement à la duchesse de Maudribourg ?

– Oh ! Oui, quel ennui ! Mais je ne savais vraiment où l'héberger avec un peu de confort et vous m'aviez délaissée là-bas.

– Allons sur le Gouldsboro, décida-t-il. Je m'y rendais ces nuits dernières pour prendre un peu de repos, loin de la tentation de vous rejoindre au fort et de vous pardonner trop facilement.

– Quel faux orgueil que celui des hommes ! Si vous étiez venu, vous m'auriez rendue folle de bonheur. Alors que j'ai tant pleuré... Je n'étais plus moi-même. Vous m'aviez détruite !

Il l'étreignit avec force. Angélique prit son manteau.

– Je me réjouis de retrouver le Gouldsboro, ce beau navire fidèle, et votre cabine pleine d'objets de prix, où le Rescator me recevait masqué et me troublait si fort sans que je puisse deviner pourquoi.

– Et où cette diablesse d'Honorine est venue voler mes diamants pour affirmer ses droits sur vous.

– Que de souvenirs déjà entre nous !

Ils étaient sortis de la cabane et descendaient doucement dans la nuit vers le village, prenant soin de parler à voix basse afin de ne pas attirer l'attention.

Ils redoutaient, comme des amoureux, d'être reconnus et abordés pour devoir faire face à quelques nouvelles obligations de leur charge. Tout à coup, prenant conscience de leurs réactions furtives et de leurs craintes, ils rirent ensemble.

– Rien n'est plus lourd que la direction des peuples, fit-il remarquer, nous voici contraints de chercher l'ombre épaisse pour connaître quelques instants d'intimité.

Les Espagnols les suivaient à quelques pas, mais ils n'étaient pas plus dérangeants que des fantômes.

– Prions Dieu qu'ils soient seuls à nous escorter et que nous puissions parvenir sans encombre jusqu'à la plage, chuchota Angélique.

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