Nous z’eûmes t’été dans le Nève-Yorque-Miami, par exemple, l’incident eusse passé pratiquement inaperçu tant il est courant que ces vols crochètent par La Havane pour y déposer un petit dégourdi soucieux d’aller s’approvisionner en cigares. Mais ce qui est fréquent aux z’Amériques constitue une novation dans la vieille Europe. Aussi une certaine stupeur se lit-elle sur les visages.
— De quoi s’agit-il ? demande enfin le commandant Kouvrechev dans un anglais plutôt laborieux.
Le costaud au menton carré rumine sept fois son chewing-gum avant de parler, preuve de sa prudence.
— Changement de cap ! répond-il laconiquement.
Pendant ce temps, le mec à la bouille de lézard vert s’est approché du radio et lui a fait signe de se décasquer. Il prend sa place avec une tranquille impudence. On entend l’hôtesse qui claque des dents dans son slip. Un court instant d’immobilisme succède à l’annonce faite par le pirate de l’air. Celui-ci se tourne vers moi.
— Inutile de prévenir les autres passagers, dit-il, dans ces cas-là, l’agitation ne fait que compliquer les choses. Vous allez regagner votre place comme si de rien n’était, commissaire, O.K. ?
— Qui êtes-vous ?
Il a un sourire mutin (d’ailleurs c’en est un).
— Ce n’est pas l’heure des présentations, faites ce que je vous dis.
Moi, vous me connaissez. Je n’aime guère qu’on me parle sur ce ton, aussi feins-je de me résigner pour mieux contrer le petit malin. J’ai un haussement d’épaules et j’amorce un demi-tour qui n’a pour but que de renforcer le formide parpinoche réservé à ce monsieur. Du grand art, mes gueux ! À la d’Artagnan, je l’opère ! Ma botte secrète, sa botte se crève ! Il efface mon bolopunch et s’écroule. Soucieux de ne pas en demeurer là je bondis sur le nouveau radio. Plus prompt, il me braque de sa lampe à souder. En un fulgurant travelling optique, je vois son index presser la détente de l’arme. Je m’attends à un boum. Il ne se produit qu’un léger frisson pareil au bruit d’un ascenseur ultramoderne. Aussitôt je ressens un grand froid dans mon ventre, mes jambes, ma poitrine… Un froid tourbillonnant qui m’envahit à toute vibrure. J’essaie de dire quelque chose, juste pour entendre le bruit de ma voix. Rien ne sort. Les êtres se sont pétrifiés. La scène du poste de pilotage se statufie. Une fresque ! Un haut-relief ! Une stupéfiante stratification. Plus rien ne bronche, ne respire ni ne parle. On est tous placardés dans le cosmos pour l’éternité. Le temps s’est interrompu. Il a cessé d’exister.