— Vous étiez dehors ! s’exclame la patronne de l’hôtel !
Elle prononce « déhhors ».
Elle trimbale un vrai dargeot de caissière, la douairière. Large commak ! Le grand bahut normand deux portes ! Elle a les jambes arquées comme les paturons des banquettes. Malgré la visite napoléonienne on donne dans le Louis XV rustique au Grand Cerf.
— J’avais besoin de prendre un peu l’air, chère madame ! C’est si bon l’air de la province.
— Et moi qui allais fermer ! roucoule la vieillarde plâtrée. Remarquez, il m’avait bien semblé entendre la porte…
Je lui souhaite une bonne nuit et cette fois je me farcis l’escalier… en attendant pire !
Au premier, ça ne fait plus hostellerie, mais habitation de véquende. On pénètre dans le feutré, dans l’intime. C’est plein de bibelots anciens (vissés aux étagères, because le client français est de tempérament chapardeur). Un amoncellement de coffres sculptés, de bois polychromes, de fauteuils et surtout de cuivres qui scintillent comme sur des Rembrandt. Une dizaine de portes prennent de part et d’autre du grand couloir-capharnaüm (et Pompéi). Les numéros des piaules sont peints sur des plaques d’émail décorées de fleurettes. On est au 4, Natacha et moi. La plus belle pièce, m’a fait remarquer la jument étique déguisée en femme de chambre.
Et c’est vrai qu’elle est bath, cette turne, avec son plumard à baldaquin, ses commodes Louis XIII, ses vieilles tapisseries et ses Sèvres (Babylone). On se croirait dans un château. Paraîtrait que ce serait justement dans ce lit que l’Empereur aurait roupillé quand il est venu à Comte-Harbourg. J’ai idée, mes frères, qu’il y a passé une meilleure nuit que celle qui m’attend.
Je prends ma respiration en grand, et j’entre à la volée.
À toi de jouer, mon bonhomme ! Après tout, tu en as vu d’autres, non ? À quoi te servirait cette imagination féconde si tu ne pouvais l’employer à travestir la dure réalité d’un vilain moment ? Faut déballer ta gamberge, fiston ! Évoquer judicieusement les belles affaires de ta vie sexuelle, celles qui t’ont foutu de l’indélébile dans le vague-à-l’âme. T’en as connu des pétroleuses, des rugissantes, des échevelées, des en délire, des dévorantes. Des qui te faisaient rutiler le bonhomme en deux coups de reins. Des qui t’accupunctaient la moelle. Des qui, te la réchauffaient au bain-marie. Faudra penser très fort à elles, mon loup. Bien te rappeler leurs prouesses au moment d’attaquer ta nuit sur le mont Chauve ! Dans les cas d’exception, on brosse par personne interposée quand on est un cérébral. J’en sais des gus, des tourmentés du cigare, des malcontents de leur brancard, des paumés matrimoniaux, des affligés de mères Carabosse, des arnaqués de la fleur d’oranger, oui, j’en sais, des grands, des petits, des sanguins, des sans gains, des malingres qui font rugir la Sophia Lorraine dans leurs alcôves foutriqueuses ; ils font gémir Mâme B.B., pleurer d’extase la mère Burton (pas la gravosse, celle d’avant, de l’époque où my Taylor was rich), se tortiller des miss Univers, bramer les pinupes du dépliant de Lui (les bathouzes qu’ont des gouttelettes de mer Caraïbe sur les loloches et les cheveux collés aux tempes comme par de la sueur d’amour). La gamberge, c’est le salut dans ces périodes perfides. On tringle de plantureux fantômes, dans les couches ménagères. On s’embourbe les plus rutilantes idoles. Y a qu’à choisir. C’est gratis. On peut changer de monture en cours d’effort, si le fignedé vous en dit. Sauter de celle-ci sur Sheila, passer de Sylvie sur Nana pire qu’un écuyer de haute voltige. Même pas un coup de reins rétrogradeur à fournir ! Ça se fait seulabre, comme dans l’appareil de projection une image succède à une autre. Craczyboum ! On lonche à changement de vitesse. On a le monde entier comme cheptel. On peut passer à la casserole les donzelles les mieux huppées aussi bien que la voisine du dessus. N’importe qui, n’importe quoi ! Des curés, des petites filles, des centenaires, des hermaphrodites, des chèvres, des duchesses, des pédégés, des potirons, des mottes de beurre, des Japonaises, des aviatrices, des Fabiola, des putes, des peaux de banane, des amiraux, des grilles de confessionnaux, des saint-bernards, des spiquérines de télé, des coquillages, des bouches d’égout, des jeunes filles riches, des jeunes gens pauvres, des trous de souffleur, des goulots de bonbonne (ou de carafe pour ceux qu’ont le bollard format stylobille), des guenons, des cousines germaines, des sœurs de charité, des sœurs de lait, des sœurs aînées. À l’œil, je vous dis ! C’est secret, pas punissable ! Vous pouvez vous offrir votre belle-sœur, votre belle-mère, Fahra Dubois, te princesse Murat, n’importe qui, n’importe quoi ! Votre extase ne concerne que vous ! Personne n’en saura rien, et surtout pas votre mégère, à l’étage inférieur, qui râloche des pâmades en évoquant, elle, le prince Rainier ou le garçon boucher.
La chambre est presque silencieuse, à cela près qu’un ronflement de bonne venue trouble par moments la sérénité du lieu.
Qu’avisé-je, allongée sur une bergère ? La mienne !
Elle n’est pas allongée, du reste, Natacha, mais plus exactement vautrée. À plat ventre dans sa rude chemise de nuit, la bidoche croulante, une main traînant sur le tapis, la bouche ouverte, le nez camus, elle dort avec une espèce de voracité quasi bérurienne.
Tiens, c’est vrai qu’elle ressemble au Gravos, ma fée des neiges ! Elle pourrait être sa sœur cadette !
Je m’approche doucement de la tendre élue (j’ai lu ça quelque part chez un vrai romancier). Mon cœur batifole à la vue de la chère embrumée. Carabosse devenue Belle-au-boa-dormant ! Je préfère ! C’est passif quand ça pionce, ça ! Inoffensif ! Déconnecté. Plus besoin de lui jouer la romance incantatoire du mâle en chaleur, en ferveur. Je peux faire relâche ! J’ai droit au sursis.
Je marche sur la pointe des nougats. Pouvu qu’elle ne se réveille pas. Les animaux ont le sommeil aussi fragile que les zumains.
J’éteins le lustre, ne conservant que la lumière rosâtre de la lampe de chevet. Je pose mes groles. Je m’agite menu. J’économise mes farts et gestes. Seulement, les moins truffes de parmi vous l’auront sans doute observé : c’est toujours quand on regagne son gîte à quatre plombes du mat, ses godasses à la main, qu’on renverse la potiche chinoise de l’entrée.
Cette fois encore ça ne rate pas. Comme je me dirige vers la salle of baths, voilà que j’accroche au passage un petit bonheur-du-jour qui risque fort de devenir mon malheur de la nuit. Le frêle meuble culbute avec la statue en biscuit qu’il supportait, laquelle statue représente, vous l’avez deviné, Sa Majesté Napoléon Ier en train de guetter Grouchy à la jumelle sur les mamelons de Waterloo. Vzoum ! La tronche de l’Empereur va rouler sous le lit, déguisant du coup Napoléon en Louis XVI. Je me file à plat ventre pour la récupérer, car un Français, dans un hôtel, répare toujours les choses qu’il détériore. Il aime pas faire de la peine au taulier en lui signalant ses déprédations. Non : faut qu’il rafistole par lui-même. Qu’il déplace les meubles pour cacher ses brûlures de cigarettes, qu’il réemboîte les pieds de chaise cassés en les faisant tenir avec un brin d’allumette, qu’il repuzzle les vases brisés, qu’il tire la carpette par-dessus le pipi de son chien dont il a juré à la réception qu’il était propre. Ce qui le sauve des avaries de ce genre, le Français, c’est son sens du système D. Diabolique, il est, dans son genre. Un peu magicien, question poudre aux yeux. Tenez, j’ai un oncle, il pulvérise tous les records. Un jour qu’il pique-niquait dans sa turne à l’Hôtel Beauséjour malgré que ça soye formellement prohibé par le règlement de l’établissement, il a renversé son verre de rouge sur la moquette beige toute neuve. Du gros picrate d’Algérie ex-française, vous pouvez toujours frotter à l’eau tiède, mes guenilles ! Salut, Berthe ! Macache bonnot pour que ça disparaisse. Ce que constatant, vous savez ce qu’il a fait, tonton ? Il a passé tout le reste de la moquette au vin rouge. C’était simple, mais fallait y penser. Quand ç’a été sec, il a sonné le dirlo de l’auberge pour lui signaler le phénomène. Comment qu’elle avait viré au cours de la noye, la belle moquette, et comme quoi la qualité d’aujourd’hui c’était de l’arnaque, du bourre-moi-l’œil indélicat. Il fulminait comme un Vésuve, le gargotier. Et il a couru écrire des imprécations et des menaces de procès à son moquetteur. Le système D, je vous dis !
Donc, votre San-A. se met à ramper sur le plancher pour récupérer le chef du grand chef afin de le lui recoller artistiquement à l’aide de chewing-gum mâchouillé, ce qui est la meilleure manière — je vous le confie au passage — de réparer les porcelaines d’hôtel.
— C’est ça que vous cherchez ? me demande une voix dans l’ombre.
Une main sort de sous le lit pour me présenter la tronche au fils de Letizia Ramolino.
J’en bave des ronds de flan comme un appareil à sous quand toutes les oranges se mettent en ligne.
La main entraîne un bras, lequel hale un buste qui ne fait que précéder un tronc auquel est accroché une merveilleuse paire de jambes. Anastasia Rontéburnansky est maintenant tout entière devant moi, sur le tapis de haute laine. Elle a quelques moutons dans les cheveux, de la poussière aux coudes, mais elle conserve toute sa grâce et tout son éclat.
— Que faites-vous ici ? me décidé-je. Vous n’allez pas me raconter que vous attendez le métro ?
Je me suis exclamé, mais à voix basse.
Anastasia me répond, par contre, à voix haute.
— C’est vous que j’attendais, San-Antonio.
— Chuuuut ! imploré-je en lui désignant la bergère où ronflote mon épouse.
La merveilleuse créature (je cause d’Anastasia) éclate d’un rire que vous qualifieriez de cristallin si vous écriviez ce livre, pompelards comme je vous sais.
— Soyez sans crainte, elle ne se réveillera pas, affirme-t-elle.
Son ton tranquille et sûr de soi me fait tressaillir. Ça se remarque pas sur ce livre parce que le linotypiste connaît admirablement son métier, mais si vous matiez mon manuscrit original, vous constateriez mon tressaillement, au beau milieu de la page. On dirait que je viens d’écraser un gendarme en écrivant.
— Elle a donc le sommeil si profond ? balbutié-je.
— Surtout quand on lui a administré quatre dragées d’un barbiturique dont une seule endormirait un veilleur de nuit ! pouffe la bonne petite camarade de Natacha.
— Vous l’avez médicamentée ?
— La preuve !
— Et pour quelle raison ?
Elle cesse de rire. Ses yeux bleu ciel deviennent bleu marine.
— La raison ? murmure-t-elle. La raison ? La voici.
Elle se traîne jusqu’à moi et écrase ses lèvres sur les miennes. J’en dénombre trente-six chandelles (plus une dont je ne vous parlerai pas à cause de la ligue des paires de famine). Oh ! cette commotion, mes choutes ! Ce tourbillon ! Cette fougue ! Ma parole, elle a rien clappé depuis huit jours, cette goulue ! Je résisterais pas, elle me goberait la menteuse comme une marenne ! Ensuite je pourrais plus causer que par onomatopées, ou par gestes. Notez que les gestes, c’est ma partie. Je le prouve bien d’ailleurs à Anastasia. Car, moi, vous me connaissez. Nullement déconcerté. En tout cas pas longtemps !
Quand je pense qu’en France, Anastasie, c’est le nom de la censure ! Youyouille ! M’étonnerait qu’il en soye du kif chez les Popofs. Elle doit être fille de cosaque, la toute belle. On lui a appris à faire l’amour sur le dos d’un cheval emballé. Elle est cataclysmique dans ses émois, Anastasia ! Vous parlez d’une bourrasque ! Faut se cramponner à la mâture, larguer les amarres, arrimer la cargaison. Une sauvagerie pareille, j’en ai pratiquement jamais rencontré ! J’sais pas si les quatre dragées suffiront à épargner notre spectacle à Natacha-la-très-pure, toujours est-il qu’on fait un ramdam de cent mille diables, à même le tapis. On bouscule les meubles en roulant. On assaille le grand magistral plumard qui finit par se débaldaquiner dans un craquement de chêne abattu ; on renverse des tables, des sièges. Il nous pleut de la contondance sur les endosses. Elle crie terriblement fort, Anastasia. La censure ? Tu parles ! Des trucs extrêmement sauvages qu’elle clame. En Russe ! Dommage que je comprenne pas, ça me fouetterai plus fort le tempérament. « Grrrrochbitua », elle fait à peu près. Un truc dans ce genre : « Grrrochbitttua », oui. C’est guttural. On dirait qu’elle cause peau-rouge. Après tout il existe des Russes d’indiens. Vous avez vu déjà une écuyère (à dessert) faire un strip tout en caracolant ? Moi, c’est la première fois. J’sais pas comment qu’elle s’arrange, la très belle, mais la voici positivement à loilpé alors qu’elle est sortie de sous la plumezingue tout habillée. Elle décarpille en pleine charge, Témérité ! On dirait un lâcher de parachutistes ! Je vois volplaner un corsage ! Un soutien-loloches ! Un slip bordé de dentelles ! Et pourtant elle désempare pas, la frénétique. Elle me catche à outrance ! Me bondit sur les aspérités ! Sa violence, heureusement, s’accompagne d’une rare adresse (laissez-moi la vôtre, mademoiselle, je vous écrirai la recette du saute-mouton polisson). Écoutez, la manière qu’elle bilboquète ça tient du prodige, c’est plus formide que le numéro des Cléran’s, que l’homme-obus ou que le plongeon de l’épouvante. J’ose pas broncher d’un quart de poil, tellement ça me paraît périlleux son grand écart lancé, tellement ça me paraît démentiel, une aussi insolente réussite dans la répétition de l’exercice en question. Au cirque, l’orchestre se retiendrait de jouer et le public d’ovationner. Des cardiaques caboteraient de saisissement, devant des angoisses pareilles. Elle est la seule à se manifester ! À oser bruyanter au moment de l’élan critique. Elle court à genoux, ce qu’est déjà une performance ! Un violent arrachement ponctué d’un grand cri. « Grrrrochbitua ! » elle fait ; textuel ! Et vloug, elle me valdingue sur le curriculum vitae. La réception est parfaite ! De la vaseline, mes braves ! Chaque fois des gerbes d’étincelles me crépitent sous l’épiderme. On s’accordéonne en cadence ! On twiste à plusieurs reprises, puis elle s’enfuit, la gueuse, pour que le désir s’accroisse, l’effet se reculant. Elle barre des noix, toujours à genoux. Le saut de carpe ! Bonsoir, m’sieur l’abbé ! Et on recommence ! Encore un coup ! Gagné ! Encore un coup ! Gagné ! Non, plus ! Assez ! Ne bravez pas la chance, fille forcenée ! Ne déguisez pas, par le fait d’une erreur de trajectoire, une arbalète en arc, un tisonnier en tire-bouchon ! Pitié ! Redevenons classique ! Achevons dans l’orthodoxie française ce qui vient de débuter dans la démesure russe. À moi de jouer ! Je veux le volant ! J’exige ! Il y va de ma vie, de mon avis ! Je tourne au vice ! Aarhhh ! Et hop ! J’esquive au dernier moment !
Elle trébuche et va engouffrer le Napoléon décapité ! Les jumelles lui en tombent, à l’Empereur. Il doit se dire que le Grand Cerf n’a pas volé son enseigne (de vassaux). Il disparaît ! C’est une nouvelle Berezina, pour le grand tome, un ultime Waterloo ! Qui donc prétendait que Saint-Télène était un trou ? Tu parles ! Qu’ils y viennent ! Tiens, fume ! Dans son grandiose emportement ou plutôt, dans son grandiose bonapartement, elle s’aperçoit pas tout de suite de la substitution, Anastasia. Elle confond l’Empereur avec ma batterie à haute fréquence. Elle lui dit qu’elle m’aime ! Elle le traite de « Grrrrochbitua ». Elle s’ingénie à l’escamoter. Faut que j’intervienne pour la rappeler à la réalité. « Et ça, c’est du biscuit ? » je lui fais en attirant son attention.
Me voyant déguisé en métronome, elle réagit. L’erreur est humaine, comme disait l’autre en latin ! On continue dans la furie éblouissante. On dingue, on tangue, on rompt en rond, on s’enroule, on s’enroue, onze cents roues ! Bouing ! Tchafft ! On va se répercuter dans le mobilier encore debout ! On pulvérise celui déjà cassé ! C’est la grande férocité tringleuse ! Le noir séisme du radada ! La sauvette suprême ! On arque-de-triomphe en couronne ! Y a de la démesure dans notre particulière partie culière, de la sauvagerie barbare, de la démence glandulaire. On dépasse les limites de l’excès. On s’affranchit des conventions suprêmes. Plus rien ne compte que cette fantasia de la nervouze, que ce raz de marée épileptique qui nous lamine, nous tréfile, nous expectore. Je me multiplie, me prodigue, me dédigue. Mon zifolard devient bifide. Il planture, il démesure infiniment ! Rrrouâ ! Encore ! Again ! T’en veux, t’en as ! Et commak, ça te plaît plus mieux ? Et par ici ? Et par là ? Pleure pas, j’arrive ! J’omniprésence ! Ah ! la furie ! Ah ! la bouffeuse ! La dévorante ! L’exigeante ! La despotique amoureuse ! Inextinguible ! Inassouvissable ! Faut comporter comme onze mille soudards, avec cette goulue ! La Grande Armée à moi tout seul ! Vive l’Empereur ! J’obélisque, à force. Je Pont-de-Lodise ! Je lui interprète Volga en flammes ! Je tente de lui assouplir les ardeurs. De lui apprivoiser le tumulte sensoriel. Que tchi ! La Charrette bulgare, le Martinet fantasque, le Dé à coudre polisson, la Quenouille voleuse, c’est de la tarte à la frangipane pour elle, La Dégustation forcenée idem, ainsi que le Vaporisateur à moustaches. Elle se complaît que dans la violence, Anastasia. Dans l’empoignante titanesque ! Elle s’en branle (si je puis dire) des délicatesses Pompadour !
Faut pas l’entreprendre à la Louis XV ! Ni lui essayer les agaceries dix-neuvième siècle. Son style, à elle, c’est Pierre le Grand, Tarass Boulba. On s’échevelle à corps perdu ! On s’enchevêtre jusqu’à la démembrance. Et quand après des cris, des rugissements, des lamentos hérissés de points d’exclamation on s’entre-renonce, la chambre d’apparat du Grand Cerf n’est plus qu’un hallier ruiné par une charge éléphantesque, un Pompéi encore fumant !
La conclusion, la seule valable et pertinente, c’est la douairière-patronne-caissière de l’hôtel qui la fournit. Debout dans l’encadrement de la porte, paralysée par la stupeur et l’admiration. La digne personne déclare à l’adresse de son cuisinier, de son garçon de cuisine, de sa femme de chambre, de son sommelier, de son fils, de sa belle-fille, de son petit-fils, de son vieil amant, de son voyageur de commerce et de son épagneul breton qui se pressent derrière elle :
— Je me suis mariée trois fois, j’ai eu quarante-sept amants et je dirige cet hôtel depuis cinquante-neuf ans, c’est donc vous dire que j’en ai vu, entendu et subi, des nuits de noces. Mais une nuit de noces comme cette nuit de noces-là, mes amis, je ne savais pas que ça pouvait exister !
Elle essuie deux belles larmes sur sa façade décrépite (car elle s’était démaquillée à la lampe à souder).
— Monsieur, me dit-elle en englobant les décombres d’un geste large bien que chevrotant, je tenais énormément à ce mobilier et à ces bibelots dont la plus grande partie me venait de mon cher papa, pourtant, en témoignage d’admiration, je ne les ferai pas figurer sur votre note.