Moi, le jour que j’arriverai au bout de mes surprises, j’aurai un petit jardin sur le bide, probable, avec stèle marmoréenne pleine de regrets éternels taillés dans la masse ! Toujours, je pense que ça va être terminé, les coups de théâtre, les renversements vertigineux de situation, les z’haut-le-corps de feuilletons. Je me dis qu’il y a quine des effets stupéfiants, qu’à force je me dirige doucement vers l’infarctus, vu qu’il est pas possible de résister pendant des lustres à de brutales émissions d’adrénaline qui vous chanstiquent la pression artérielle et vous montgolfient les bronches. Ouais, par moments il m’empare, le grand vertigo. Je manque d’assiette à considérer la réalité. Je nébule de la coiffe ! J’ai envie de crier : « N’en jetez plus, la cour est pleine ! » Ou bien si je traverse une période d’accalmie, je tends à considérer qu’elle est enfin arrivée, la sérénité que j’aspire. Ouf : formez les faisceaux ! C’est le grand bivouac ! La longue halte récupératrice. Le beau farniente de rêve dont on entend murmurer les sources, gazouiller les oiseaux et folâtrer le soleil dans les ramures. Mais va te faire considérer chez les Grecs, oui ! À peine arrêté, il repart, le manège ! Elle se remet en route, la chenille toboggantesque. Tenez : un exemple… Prenons le cas de tout de suite ! J’ai été enquestché dans l’avion, ainsi que mes compagnons de voyage par des pirates de l’air. C’est déjà un coup fourré de première, non ? Passons ! Je reviens à la vie dans un camp perdu au cœur des neiges, en ignorant entre quelles mains je suis tombé. Pas mal non plus, eh ? Mais tout ceci est de la broutille en branche ! De l’amer en bâton !
Le plus siphonnant, mes drôlettes, c’est le réveil de « ma » femme. Vous voulez que je vous cause de sa réaction, après qu’elle a récupéré ? Vous y tenez vraiment ? Soit ! Eh bien, elle est pratiquement thermidorienne, sa réaction, mes gueux ! Effarante ! La môme avise le vioque au crâne de clown. Elle pousse un cri et se jette sur lui en sanglotant.
— Elle le connaît donc ? demandé-je à la chère Anastasia qu’on vient de désanesthésier à son tour.
Pour la première fois, je vois tressaillir ma belle violeuse de conjoint. Elle semble en morfler plein les carreaux, miss Rontéburnansky. On a beau les entraîner à l’extrême dans les services secrets soviétiques, pour une fois son self-control a des ratés. Je vois son regard s’agrandir au point de ressembler au lac Léman (qui est un lac clément). Sa bouche s’entrouvre. Sa jolie tête dodeline façon grand-mère venant de trouver le squelette d’un amant oublié dans le vieux placard du grenier.
— C’est son père, balbutie-t-elle enfin.
Pour lors j’hérite son vertige. À mon tour j’ouvre le grand diaphragme.
— Voulez-vous dire qu’il s’agit du professeur Bofstrogonoff ?
— Elle n’a pas d’autre père à ma connaissance, cingle Anastasia.
N’étant pas à court de lieux communs lorsque j’entreprends de vous raconter une histoire, j’y vais d’un pitoyable : « c’est impossible ! » qui ferait hausser les épaules à une bouteille d’Évian.
Charitable à ses moments d’inattention, Anastasia se contente de murmurer :
— Et cependant c’est bien lui !
Le jeune homme au réanimateur quitte la pièce après avoir cloqué son instrument dans un sac de cuir à fermeture Éclair. Il ne s’est pas occupé du vieillard, aussi l’interpellé-je :
— Et le professeur ?
Notre ressusciteur hausse les épaules.
— Plus tard, fait-il.
Et il sort.
Détail : la porte ne ferme pas à clé et ne comporte aucun verrou extérieur. Nous pouvons sortir à volonté. Ce que je me hâte de faire. Mais je ne moisis pas longtemps hors de la baraque car à l’extérieur règne une température d’au moins vingt degrés sous zéro.
— Passe-moi ta veste ! dis-je au Gros.
— Qu’est-ce que tu vas en faire ? s’inquiète mon ami.
— Un pardessus, réponds-je. Pendant que tu y seras, prête-moi ta flanelle.