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Et en effet, deux soirs plus tard, avant de se mettre à table et d’allumer la télévision, devant toute la famille à l’exception de Rino qui était en vadrouille, Lila demanda à Marcello :
« Tu m’emmènes prendre une glace ? »
Marcello n’en crut pas ses oreilles :
« Une glace ? Avant le dîner ? Toi et moi ? » Et il demanda aussitôt à Nunzia : « Madame, vous voulez venir avec nous ? »
Nunzia alluma la télévision et dit :
« Non merci, Marcè. Mais ne restez pas longtemps. Rien que dix minutes, le temps de faire l’aller-retour.
— Oui, promit-il tout heureux, merci. »
Il répéta merci au moins quatre fois. Il croyait que le moment tant attendu était enfin arrivé et que Lila allait lui dire oui.
Mais à peine sortis de l’immeuble elle lui fit front et scanda, avec cette méchanceté glaciale qui lui venait si bien depuis les premières années de sa vie :
« Je n’ai jamais dit que je voulais de toi.
— Je sais. Mais maintenant tu veux de moi ?
— Non. »
Marcello, qui était grand et fort, un gros gaillard de vingt-trois ans, sain et sanguin, s’appuya contre un réverbère, le cœur brisé :
« Vraiment pas ?
— Non. J’en aime un autre.
— Qui ?
— Stefano.
— Je le savais, mais j’arrivais pas à y croire.
— Eh bien il faut y croire, c’est comme ça.
— Je vous tuerai tous les deux !
— Avec moi tu peux essayer tout de suite. »
Marcello s’écarta du réverbère, furieux, mais avec une espèce de râle il se mordit le poing droit jusqu’au sang :
« Je t’aime trop, je n’y arriverai pas.
— Alors demande à ton frère, à ton père ou à l’un de vos copains de le faire, peut-être qu’eux en seront capables. Mais explique-leur bien à tous qu’il faut qu’ils me tuent d’abord. Parce que si vous touchez à quelqu’un d’autre tant que je suis encore vivante, alors c’est moi qui vous tuerai, et tu sais que je le ferai, et je commencerai par toi. »
Marcello continua à se mordre un doigt avec acharnement. Puis il réprima une sorte de sanglot qui lui secoua la poitrine, tourna le dos et s’en alla.
Elle cria derrière lui :
« Et envoie quelqu’un pour récupérer la télévision, on n’en a pas besoin ! »