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Les jours ont passé. J’ai surveillé ma messagerie électronique et mon courrier, mais sans espoir. Je lui ai écrit très souvent, mais elle ne m’a presque jamais répondu : cela a toujours été son habitude. Elle préférait le téléphone ou les longues nuits passées à bavarder quand je descendais à Naples.

J’ai ouvert mes tiroirs et les boîtes en métal dans lesquelles je conserve des souvenirs de toutes sortes – bien peu de chose. J’ai jeté beaucoup d’affaires, en particulier la concernant, et elle le sait. J’ai découvert que je n’ai rien d’elle, pas une photo, pas un message, pas un petit cadeau. Je m’en suis étonnée moi-même. Est-il possible qu’en tant d’années elle ne m’ait rien laissé d’elle, ou pis encore, que je n’aie jamais voulu garder quelque chose d’elle ? Oui, c’est bien possible.

Cette fois, c’est moi qui ai téléphoné à Rino, même si je l’ai fait à contrecœur. Il ne répondait ni sur son fixe ni sur son portable. Il m’a rappelée dans la soirée, à sa convenance. Il parlait avec une voix qui essayait d’apitoyer :

« J’ai vu que tu as appelé. Tu as des nouvelles ?

— Non. Et toi ?

— Aucune. »

Il m’a tenu des propos désordonnés. Il voulait aller à la télé, à l’émission qui s’occupe des personnes disparues : y lancer un appel, demander pardon à sa mère pour tout et la supplier de rentrer.

Je l’ai écouté patiemment et puis lui ai demandé :

« Tu as regardé dans son armoire ?

— Pour quoi faire ? »

Naturellement il ne lui était jamais venu à l’esprit de faire ce qui était le plus évident.

« Va voir. »

Il y est allé et s’est rendu compte qu’il n’y avait rien, même pas un vêtement de sa mère, d’été ou d’hiver, seulement de vieux cintres. Je l’ai envoyé fouiller la maison. Ses chaussures avaient disparu. Ses quelques livres aussi. Disparues toutes les photos. Disparus les films. Disparu son ordinateur, même les vieilles disquettes qu’on utilisait autrefois, tout, la moindre trace de ses activités de fée de l’électronique – elle qui avait fait ses premières armes avec les ordinateurs dès la fin des années soixante-dix, à l’époque des fiches perforées. Rino était stupéfait. Je lui ai proposé :

« Prends tout le temps que tu veux, et ensuite appelle-moi pour me dire si tu as trouvé ne serait-ce qu’une épingle qui lui appartienne. »

Il m’a rappelée le lendemain, très agité :

« Il n’y a rien.

— Rien du tout ?

— Non. Elle a découpé son image sur toutes les photos où nous étions ensemble, même celles de quand j’étais petit.

— Tu as bien regardé ?

— Partout.

— Même à la cave ?

— Partout, je t’ai dit. Même la boîte qui contenait ses papiers officiels a disparu – les trucs comme les vieux extraits de naissance, les abonnements téléphoniques ou récépissés de paiements. Qu’est-ce que ça veut dire ? Quelqu’un a tout volé ? Qu’est-ce qu’ils cherchent ? Qu’est-ce qu’ils nous veulent, à ma mère et moi ? »

Je l’ai rassuré et lui ai recommandé de garder son calme : il était hautement improbable que quelqu’un veuille quoi que ce soit de lui !

« Je peux venir quelques jours chez toi ?

— Non.

— S’il te plaît, je n’arrive pas à dormir.

— Débrouille-toi, Rino, je n’y peux rien. »

J’ai raccroché et quand il m’a rappelée, je n’ai pas répondu. Je me suis assise à mon bureau.

Lila va trop loin, comme d’habitude, ai-je pensé.

Elle élargissait outre mesure le concept de trace. Non seulement elle voulait disparaître elle-même, maintenant, à soixante-six ans, mais elle voulait aussi effacer toute la vie qu’elle laissait derrière elle.

Je me suis sentie pleine de colère.

Voyons qui l’emporte cette fois, me suis-je dit. J’ai allumé mon ordinateur et ai commencé à écrire notre histoire dans ses moindres détails, tout ce qui me restait en mémoire.

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