AVERTISSEMENT

AVANT qu’ils ne prennent connaissance de ce qui suit, je me crois obligé de fournir une courte explication à mes amis du Haut-Pays – ainsi qu’à celui qui sait ce que doit ce livre à la réalité. Les premiers trouveront peut-être que j’ai exagéré ; je les entends déjà s’écrier qu’ils ne sont pas des sauvages, qu’ils ne vivent plus tout à fait de cette façon depuis longtemps, etc.

Je leur répondrai qu’il y a plusieurs Hauts-Pays : celui dont il est question ici occupe sur les cartes géographiques (même il vaudrait mieux dire : sur les cartes d’état-major) une place précise, étroite, un peu en marge d’aimables généralités folkloriques : celle que les gens des plateaux appellent avec un certain dédain du reste : « le pays des travers » ; ils m’ont maintes fois déclaré qu’ils ne pourraient pas y vivre. Ajoutons que les habitants des plateaux (causses, Aubrac, etc.) sont catholiques ; ceux des « travers », protestants. L’anecdote relatant la réflexion d’un de ceux-là sur ceux-ci (on nous avait dit que les huguenots avaient un œil au milieu du front) ne remonte pas à l’époque des camisards, mais aux environs de 1950, et elle est rigoureusement authentique.

La tragédie paraît d’autant plus tragique que son espace et ses protagonistes tendent à se limiter à ce que la société moderne prétend avoir réduit à de malheureuses exceptions : ce qu’on ne saurait contester sans tomber dans la mauvaise foi ou la vulgarité électorale.

Mais, parfois, l’exception ne confirme pas la règle : elle lui fait honte.

Elle laisse aussi apparaître des ambiguïtés fondamentales, et qui n’entrent pas sans réticence dans les catégories à la mode. On peut tout classer sous la rubrique des névroses, même la manie de classer. Sur ces hauteurs où il semble que Yahweh n’ait pas encore engendré de Médiateur, un homme sans « recours », pris entre l’irrémédiable et l’insaisissable, appartient plus à la mythologie qu’à la psychologie ; les singularités de son comportement méritaient d’être sollicitées dans ce sens.

J. C.




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