Étrange détention assurée par un homme qui passait son temps à la prendre et à l’estourbir ; à l’enivrer aussi…
Rossi se rendait le matin dans la localité la plus proche. Avant de sortir, il la contraignait à absorber deux pleins verres de whisky ou de vodka. Après quoi, il la foudroyait d’un crochet au menton, à la sécheresse imparable. Quelques années auparavant il avait essayé de la boxe, sport que sa fiancée de l’époque l’avait obligé d’abandonner à cause d’une fracture du nez difficilement récupérable. Depuis, le noble art lui manquait ; il regrettait la carrière qu’il aurait pu connaître.
Il s’absentait brièvement, le temps d’effectuer quelques emplettes de première nécessité : conserves, alcools, cigarettes. Il avait du mal à vivre sans ses journaux et ses jeux télévisés. D’un naturel gourmand, il ne s’adaptait pas aux friandises polonaises. Privé de la pasta, il ne tirait aucune compensation des charcuteries de l’endroit qu’il trouvait insipides.
À son retour, sa prisonnière était toujours inconsciente. Il la ranimait avec des compresses d’eau froide. Elle pleurait beaucoup en reprenant ses esprits. Vaguement navré, Alfredo Rossi la comblait alors de caresses et de baisers fougueux, larmoyait à l’unisson en la pressant contre lui, léchait avec passion ses larmes, ses seins et sa chatte, implorait son pardon avec des hoquets d’enfant, se signait, priait la Madona et promettait à Johanna de l’épouser à bref délai.
Ce régime désordonné les aurait réduits à l’état de zombies si, dans l’après-midi du quatrième jour, le Commendatore ne les avait rejoints.
Son côté De Sica avait fait place à une sorte de Boyard teint, enveloppé d’une pelisse à col de renard roux en harmonie avec sa nouvelle couleur capillaire et coiffé d’un feutre taupe vert acide.
Un homme l’accompagnait : jeune, du genre gringalet frileux. Fier de sa moustache clairsemée et de ses cheveux sculptés dans un bloc de gomina Argentina. Privé de manteau, il claquait des dents.
Ces messieurs survinrent au moment où Alfredo sodomisait la captive afin de varier ses plaisirs.
Les arrivants furent impressionnés par ce spectacle. L’étreinte contre nature de ce jeune couple les plongea, l’un comme l’autre, dans une vive indignation. Il n’y avait rien de vertueux dans leur colère, plus simplement une honte méprisante.
Aurelio administra un maître coup de pied dans les jambes de Rossi.
— Enfant de pourceau ! cria-t-il. J’espère que le Parrain te fera trancher le sexe lorsque nous lui raconterons la manière dont tu gardes tes prisonnières !
Penaud et dégrisé, le garçon réintégra ses brailles en tremblant. Une intense pâleur transformait son visage en masque mortuaire.
— Elle m’a fait perdre la tête, chuchota-t-il. Plusieurs jours enfermés dans cette niche à chien, tous les deux…
— Nous réglerons cela plus tard ! coupa Fanutti. Il est urgent de la faire parler.
Il se tourna vers Johanna, encore agenouillée sur le lit, le cul offert.
— Sa pose est bien choisie, dit-il à son chétif compagnon, lequel répondait au sobriquet de Mickey.
Ce dernier approuva et sortit une petite trousse métallique de sa poche. Il possédait une grande dextérité d’infirmier. L’Allemande demeura sans réaction quand l’aiguille se ficha dans sa fesse.
— Voilà, assura Mickey. D’ici dix minutes, elle n’aura plus de secrets pour vous.
Il rangea son matériel avec des gestes soigneux.
— C’est bon, dit Aurelio lorsqu’il eut terminé ; allez boire un flacon de vodka quelque part pendant que je discuterai avec cette petite garce !
Les deux autres sortirent.
Le Commendatore les regarda par la fenêtre se rendre au parking et monter dans la voiture de Rossi. Il poussa le loquet, s’empara de l’unique tabouret et vint s’asseoir au chevet de la jeune fille. Il était désemparé car il n’avait pas imaginé ainsi sa rencontre avec la meurtrière de Maria.
Au bout d’un moment, il s’aperçut qu’elle le regardait avec curiosité.
— Comment vous sentez-vous ? ne put-il se retenir de lui demander.
Elle eut un bref haussement d’épaules.
Il reprit, après l’avoir détaillée plus longuement :
— Vous avez le menton tout bleu…
Elle eut un mouvement incertain pour porter la main à sa mâchoire, toucha, fit la grimace…
— Il vous frappe ?
Elle fît un geste affirmatif.
— Il vous cogne et vous encule : drôle de camorriste !
C’était la première fois que l’ancien forain œuvrait pour la Camorra. Il avait fallu la mort criminelle de celle qu’il continuait d’appeler « sa fille » pour faire de lui un militant occasionnel. Sa tâche venait de le conduire dans ce pays si différent du sien afin de « prendre livraison d’elle ».
Deux objectifs dans l’entreprise : l’un dicté par la cupidité, l’autre par la vengeance.
— Je peux savoir qui vous êtes ? murmura la jeune Allemande d’un ton exténué.
— Le père officiel de Maria, répondit-il.