NAPLES

8

Nino et Maria avaient pour règle de ne jamais utiliser leur voiture dans « le travail ». Lorsqu’ils devaient exécuter un contrat, ils empruntaient un véhicule passe-partout dans un quartier excentré et le rendaient à la rue sitôt leur mission remplie.

L’amour leur permettait de vivre un conte de fées infini. S’étant rencontrés adolescents, ils entrèrent dans l’âge adulte éclairés de la même lumière, certains qu’elle ne faiblirait pas. Ils savaient que la passion n’est pas stable et que Roméo et Juliette se seraient probablement séparés s’ils avaient connu une durée normale, mais ils ne redoutaient pas ce fatum. En créant l’exception, Dieu a inventé l’espoir.

Le grand-père de Nino était un soldat de la Wehrmacht dont la bataille de Monte Cassino abrégea la vie en 1944. Peu de jours avant son trépas, il eut le privilège de violer une jeune fille nommé Pierina, s’assurant à l’improviste une descendance occulte que sa famille teutonne devait toujours ignorer.

Ce rude accouplement généra une fille plus brune encore que sa mère. Toutefois, plus tard, bien qu’elle eût pour époux un sombre Napolitain, elle accoucha d’un bébé rose et blond. Ce rejeton aux cheveux couleur de blé mûr n’eut de germain que sa capillarité ; peut-être aussi un excès de romantisme qu’on prit souvent pour de la conjonctivite. On l’appela Nino, en souvenir d’un oncle héroïque mort pendant la campagne d’Érythrée d’un retour de manivelle d’auto.

C’est de cet ange blond que Maria tomba éperdument amoureuse. Ils se déniaisèrent mutuellement et se montrèrent avisés en ne procréant pas comme des goinfres.

Maria Fanutti, fille du Commendatore, privée tôt de l’amour maternel, devint une gamine renfermée et studieuse à qui son père n’accordait pas suffisamment de temps ni d’attention pour lui permettre de s’humaniser.

Sa rencontre avec Nino la fit littéralement exploser. Ses sentiments dévorants l’arrachèrent à une réserve proche de la sauvagerie. En quelques mois, Maria passa de l’adolescence à une maturité exaltante. C’est à cette période que le rêve du garçon se réalisa : devenir membre de la Camorra comme l’avait été son père. D’emblée, il se montra une recrue de choix.

Son géniteur avait tenu un rôle plutôt modeste dans l’Organisation : il pilotait les voitures lors des coups de main, servait de couverture pour les opérations mobilisant de forts effectifs, jouait les agents de liaison et les porte-coton auprès du Parrain. Sans être promis à une destinée d’exception, il pouvait espérer une existence suave. Las ! elle fut tragiquement écourtée par la rafale de mitraillette d’un carabinier trop zélé au moment où les gens de Gian Franco Vicino mettaient un juge d’instruction à la raison.

Il eut droit à des funérailles surdimensionnées : cercueil d’acajou massif ; messe chantée, concélébrée par des princes de l’Église ; corbillard à panaches, croulant sous les orchidées ; pleureuses professionnelles ; foule nombreuse et cependant recueillie. L’enterrement du médiocre truand marqua le jour le plus somptueux de son passage ici-bas. Comme souvent chez les subalternes, la mort faisait de lui une vedette.

Nino, promu soutien de famille à l’aube de sa vie, se comporta avec la dignité du petit Kennedy dans le cimetière d’Arlington, éveillant ainsi l’intérêt du Parrain. Quelque temps plus tard, celui-ci le confia à d’éminents précepteurs pour qu’ils en fissent un camorriste de qualité.

Dès ses premières armes, le jeune homme répondit à son attente. Sa tête d’archange aux cheveux blonds, bouclés, intimidait ses interlocuteurs. Il possédait une voix douce, le regard pareil à celui des statues de marbre qu’on mettait à s’ennuyer dans les parcs publics. Ses gestes gracieux et lents, son expression continuellement attentive révélaient un être plein de défiance, jouissant d’un self-control peu commun à son âge. Il perpétra ses premiers meurtres avec tant de tact que seules ses victimes furent au courant de leur trépas.

Ce sage parti pris lui fut inspiré par sa jeune épouse, car elle n’ignorait pas, malgré son inexpérience, que les cadavres sont des délateurs au témoignage redoutable. Rapidement, elle se chargea elle-même de l’équarrissage des patients. Elle agissait pour sa propre tranquillité d’esprit, redoutant qu’une étourderie ne mît son Nino bien-aimé en fâcheuse posture. Elle n’aurait pu supporter de le perdre, c’est pourquoi elle participait totalement à sa croisade : vivre ou mourir ensemble, elle n’ambitionnait rien d’autre.


Pour les besoins de leur nouveau job, ils s’assurèrent la collaboration passive d’une Fiat 125 bleu-gris qu’on oubliait de remarquer tant elle était insignifiante.

En bon Italien, Landrini savait se faire obéir de n’importe quelle automobile. Le moteur le plus rébarbatif cédait spontanément à ses sollicitations. Dérober la modeste voiture lui fut aussi aisé que de sortir un brelan d’as au poker.

Il roula jusqu’au Museo Capodimonte devant lequel Maria l’attendait. Elle portait un ravissant tailleur en lin, de couleur jaune Saint-Siège, s’harmonisant parfaitement avec son bronzage. Comme chaque fois qu’il la rejoignait, il libéra un gémissement d’enthousiasme. Elle tenait la gageure de se montrer toujours plus belle et désirable.

Aussitôt qu’elle se trouva à son côté, Nino inséra le tranchant de sa main entre ses cuisses duveteuses. Elle fut parcourue d’un frémissement tandis que sa respiration s’accélérait. Il la caressa un instant, imperceptiblement, puis, satisfait de cette reprise de contact, retira sa dextre pour la respirer. Maria lui adressa un sourire heureux.

— L’homme est arrivé ? demanda Nino.

— Il donne à manger aux pigeons, dans le parc.

— Alors, va !

Il descendit de la Fiat et elle se coula au volant.

Landrini la regarda contourner le musée pour aller se garer dans la Via Ponti où elle découvrit une place sans trop de mal. Quand elle pénétra sous les frondaisons, il la suivit à distance.

Malgré son allure de promeneuse oisive, elle se déplaçait rapidement. Il la vit gagner la vaste pelouse agrémentée d’une roseraie où des bancs de pierre accueillaient les touristes fatigués. Quelques étrangers en bermuda, bardés d’appareils photographiques, y bivouaquaient. Certains consommaient des nourritures pour pique-niques tandis que d’autres, plus jeunes, folâtraient sur le gazon rasé.

Maria choisit pour s’asseoir un muret cernant la plantation de roses. Non loin d’elle, un homme de taille moyenne, assez modestement vêtu, prenait des grains dans un cornet en papier journal. Il allongeait le bras, ouvrait la main et des pigeons voraces, aux gorges moirées de reflets, tentaient de picorer le maïs. Ils y parvenaient rarement car les doigts se refermaient avant qu’ils puissent s’en saisir.

L’individu prenait visiblement un malin plaisir à cette taquinerie cruelle. Il capturait parfois le cou d’un infortuné et le serrait jusqu’à ce que l’oiseau n’eût plus la force d’agiter ses ailes.

Se sentant observé, il tourna la tête en direction de la jeune femme et lui adressa un petit sourire pleutre.

— Sont-ils gourmands, hein ? dit-il avec contrition.

— Je crois plus simplement qu’ils ont faim, répondit-elle.

Il sembla décontenancé, haussa les épaules.

— La ville les nourrit, assura l‘homme en versant sur le sol le contenu du cornet.

Puis il vint rejoindre Maria.

— Vous permettez ? fît-il en s’asseyant.

Elle remarqua qu’il dégageait une odeur pharmaceutique. Il avait largement dépassé la cinquantaine et traînait un aspect maladif. Elle connaissait ces personnages : des veuves surtout, taraudées par un début de cancer ou alourdies par quelque fibrome monstrueux. Ce genre de sédentaires s’obligeaient à sortir de leur logis pour s’aérer, mais cet effort leur coûtant, ils l’espaçaient de plus en plus.

Le tourmenteur de pigeons possédait un visage allongé dont la peau grise et ridée se couvrait de tavelures. Des touffes de poils blancs lui jaillissaient des oreilles et des narines. Un début de Parkinson agitait constamment sa main gauche. Elle se demanda les raisons qu’avait la Camorra pour décider la mort d’un être à ce point insignifiant et, apparemment, démuni.

Quel danger était-il capable d’engendrer ? Quel profit sa mort pouvait-elle procurer ?


Rassuré par cette prise de contact, Nino s’éloignait en direction d’un arrêt d’autobus, convaincu que la mission de Maria était en bonne voie. Sa jeune épouse obtenait toujours ce qu’elle voulait, sans jamais monter le ton. Les gens et les circonstances se pliaient à sa volonté avec une docilité déroutante.

En sa compagnie, leur vie oisive coulait comme un fleuve paresseux. Ils auraient dû s’ennuyer, mais leur amour torride comblait tous les temps morts.

Dans le bus, une ardente femme brune le repéra et s’arrangea pour se faufiler à son côté. Elle dégageait des remugles de femelle en transpiration. Elle plaça sa main contre la sienne sur la barre verticale qui aidait les voyageurs debout à assurer leur équilibre.

Nino ne broncha pas.

La passagère pivota légèrement afin de lui faire face. Son rouge à lèvres épais dégoûta le jeune homme. Des houppes de poils sombres moussaient sous ses aisselles. Au rythme du véhicule, elle avançait la jambe gauche vers lui et, bientôt, frôla sa cuisse. Landrini se fendit d’un sourire équivoque que la fille prit pour une invite. Celle-ci accentua sa pression. Elle le fixait de ses grands yeux noirs, concupiscents et stupides. Le garçon s’inclina sur son oreille.

— Tu aimes les choux ? lui demanda-t-il à voix basse.


Elle fut abasourdie.

— Je voudrais t’enfoncer un trognon de chou dans le con, salope ! Et le faire bouffer par une chèvre. Ensuite, c’est un plantoir de jardin que tu prendrais dans ton cul puant. Descends tout de suite de ce bus avant que je perde patience. Auparavant, laisse tes souliers sur place : je te taxe !

La donzelle se sépara de lui pour se précipiter en direction de la porte.

Il la vit bondir de l’autobus à la station suivante. Elle portait des mi-bas et avait abandonné ses chaussures sur le plancher. Nino se mit à les écraser le plus discrètement possible à lents coups de talon.


Elle assura au tortionnaire de pigeons qu’elle était sculpteur ; il en parut ravi.

Il s’informa de ce qu’elle sculptait ; Maria avoua être passionnée « d’attitudes humaines ». Elle ajouta que les hommes et les choses sont « posés sur l’univers », chacun dans une posture particulière, révélatrice de sa personnalité.

Le bonhomme semblait comprendre. Quand elle lui proposa de le prendre comme modèle, il s’inquiéta de savoir si cela générait un dédommagement financier. Maria l’assura qu’elle-même offrait cent mille lires par séance.

Il lui fit répéter la somme et se dit partant. Elle l’invita alors à se rendre immédiatement à son atelier pour une mise en place. Il demanda si celle-ci lui serait payée ? En guise de réponse elle ouvrit son sac et compta cent mille lires qu’il fit disparaître prestement.

Ses manières révélaient à quel point il vénérait l’argent car, lorsqu’il l’eut serré dans sa poche de pantalon, il se livra à de ridicules contorsions pour en condamner l’ouverture avec des épingles de sûreté, manège dont elle se divertit.

Ils gagnèrent la voiture naguère « empruntée » par Nino.

— Est-ce loin ? s’enquit le bonhomme après s’être installé.

Elle le rassura :

— Mon atelier est tout en haut du quartier espagnol, mais la séance terminée, je vous mènerai où vous le souhaitez.

Tranquillisé, il se laissa conduire en regardant défiler les boutiques. À l’intérieur de l’auto, son odeur devenait plus fétide. Elle s’aperçut qu’une plaque de vilain eczéma aux purulences blanchâtres déshonorait sa joue gauche,

— Vous vivez seul ? demanda-t-elle.

— Comme la bille d’un grelot.

— Veuf ?

— Je ne me suis jamais marié.

— Vos mœurs ?

— Non, la maladie : mon corps est couvert de psoriasis. Je vous préviens qu’il n’est pas très montrable.

— Je ne compte pas vous faire poser nu : vous garderez votre caleçon et votre chemise de corps.

L’automobile de rencontre rechignait dans la côte du Velmora ; Maria dut changer de vitesse à plusieurs reprises pour escalader la longue rue rectiligne conduisant au ciel. Une population douteuse grouillait dans cet univers de la Malavita[3]. Des échoppes décolorées se succédaient, toutes semblaient ne rien avoir de franchement négociable à proposer.

— Notez, il y a la mer Morte, fit le passager. Elle sortit de ses préoccupations :

— C’est-à-dire ?

— Pour mon psoriasis. On dit que les bains, dans son eau saumâtre, sont miraculeux ; seulement je n’ai jamais eu les moyens d’aller là-bas.

Elle ne sut que répondre, d’ailleurs ils arrivaient à destination : un vieil immeuble délabré au porche de marbre fissuré. Le bâtiment avait connu jadis une splendeur dont il ne subsistait plus grand-chose.

Elle pénétra dans la cour avec la Fiat qu’elle remisa près d’un appentis écroulé. Deux bassi cernaient l’entrée où prenait un pompeux escalier à double révolution et aux balustres brisés.

L’un des bassi servait de logement à une famille miséreuse ; il s’agissait d’une ancienne écurie que la croissance démographique avait transformée en habitation de fortune squattée par une informe marâtre à la progéniture débile.

Une construction jumelle lui faisait pendant. Nino et Maria l’utilisaient comme resserre. Au début, les voisins avaient tenté de l’annexer ; mais leur souveraineté fut des plus brèves. Landrini, assisté de deux amis, vint rosser les guenilleux dont il dévasta l’antre à titre de premier et ultime avertissement.

C’est ce gîte au désordre indescriptible que la jeune femme fit passer pour un atelier auprès de son modèle.

Il ne s’en formalisa point, accepta l’escabeau qu’elle lui présentait et attendit. Nino surgit de la seconde pièce, revêtu d’une blouse blanche, les bras gris du plâtre qu’il coltinait à l’aide d’une banche. Il salua brièvement le nouveau venu.

— Monsieur vient poser, annonça Maria en protégeant sa toilette d’un épais tablier de toile.

— Entendu, madame.

— Voici la première attitude qu’il devra adopter, reprit-elle en désignant un poster punaisé contre la porte.

Il représentait la silhouette d’un personnage allongé en arc de cercle dans une position vaguement fœtale. Ses bras s’arrondissaient au-dessus de lui, tandis que ses jambes arquées évoquaient un cavalier sur sa monture. Le visage, comme le reste de son individu, disparaissait sous une épaisse couche de plâtre. L’ensemble rappelait l’Homme Invisible dans un ancien film tiré du roman de H.G. Wells.

Le modèle semblait se désintéresser de la question. Par contre, ses vêtements le préoccupaient beaucoup. Quand il les eut retirés, il les roula, le pantalon à l’intérieur du veston, lia le tout à l’aide de sa cravate élimée et, après un regard perplexe, hissa ses hardes au sommet d’une armoire placée de guingois contre le mur.

— On peut y aller ? questionna Nino.

— Bien sûr ! répondit le vieux.

Landrini avait troqué le récipient contre un rouleau de fil de fer.

— Je vais vous aider à tenir la pose en esquissant un bâti, expliqua l’artiste, ainsi vous n’aurez pas à vous fatiguer.

L’homme ne fit aucune objection. Le couple l’avait fait étendre sur une carpette trouée et la jeune femme lui ployait le dos, puis chacun des membres, sans cesser d’étudier le poster. Le fil métallique jouait un rôle de tuteur.

— Ça ne va plus être long, promit-elle.

Maria se montrait appliquée. Nino l’admirait lorsqu’il la voyait se consacrer à ce genre de tâche. Il sentait à quel point il lui était soumis, et combien elle appréciait cette vassalité absolue.

— Voilà ! s’exclama-t-elle, satisfaite.

Son époux tira alors de sa poche une minuscule fiole dont le bouchon se dévissait. Elle s’en saisit. En souriant, se pencha sur le modèle et, d’un geste prompt, fourra l’étroit goulot entre ses lèvres. Dans un spasme, le vieux ouvrit grand la bouche et fut foudroyé par le cyanure.

Il eut encore quelques légers soubresauts que ses meurtriers observèrent sans marquer d’intérêt.

— Je vais préparer le moulage, annonça Nino.

9

Pendant que le plâtre séchait, ils gagnèrent (en taxi) le quartier de Forcella. Ils habitaient un curieux appartement dans une bâtisse en saillie ressemblant à la proue d’un navire. L’immeuble s’avançait au cœur d’un carrefour populeux qu’il paraissait fendre de son étrave. L’angle aigu, vitré de verre cathédrale, symbolisait une espèce de phare dont, la nuit, le croisement se trouvait illuminé.

Durant les années précédant leur union, les jeunes gens convoitèrent ce logis. Nino s’en ouvrit au Parrain, lequel sourit et le lui offrit comme présent de mariage. Les amoureux furent à ce point comblés qu’ils se promirent de ne jamais le quitter.

L’appartement, outre ce lock-out, comportait quatre pièces et une salle de bains, luxe rarissime dans cette partie de Naples. Maria voulut qu’on le peignît entièrement en ocre léger et le meubla design avec, aux murs, des reproductions d’œuvres avant-gardistes.

Nino, accoutumé à un univers plus que médiocre, se montra ébloui par les initiatives de son épouse.

Leur bonheur (ils n’osaient employer ce terme galvaudé) les dissuadant d’avoir un enfant, ils optèrent pour une procréation tardive. Le destin saurait leur en donner le signal quand il le faudrait.

Autre avantage présenté par leur immeuble : il avoisinait celui de Gian Franco Vicino. Être proche de ce personnage considérable leur donnait un sentiment de sécurité. Ils pouvaient observer la maison du grand homme, à vrai dire guère révélatrice de la vie se déroulant à l’intérieur. Un long balcon surchargé de plantes en pots ajoutait au mystère qui s’en dégageait. On n’y voyait jamais personne, sinon le jardinier chargé de la santé des végétaux.


Lorsqu’ils rentrèrent de l’atelier, ils trouvèrent le couvert dressé pour le dîner. La vieille concierge leur servant de femme de ménage avait mis sur la table un bocal de sotto olio, plein aux trois quarts de minuscules artichauts, de petites tomates rondes, d’aubergines en lamelles, de cubes de fromage. Des tranches de pain frottées d’ail s’empilaient dans une corbeille et un long salami, noueux comme un sexe d’âne, côtoyait un énorme quignon de mortadelle.

— Je meurs de faim ! avoua Nino en s’asseyant.

— Tu ne te laves pas les mains ? interrogea doucement Maria.

Il se leva en rougissant. Son manque d’hygiène constituait leur unique motif de dissension. Nino dégageait, presque en permanence, une puissante odeur de bouc qui stimulait la forte sexualité de son épouse, laquelle cachait son plaisir en lui adressant des reproches répétés.

Il revint de la salle de bains après s’être aspergé d’une eau de Cologne d’épicier.

Tous deux se prirent à batifoler dans l’énorme bocal, y piquant, à l’aide d’une longue fourchette à trois dents, les macérations qu’ils convoitaient.

— Quand crois-tu que nous pourrons évacuer… la statue ? demanda-t-elle, la bouche pleine.

— Pas avant demain soir. Il faut que le plâtre soit parfaitement sec pour que je puisse le patiner. Selon toi, qui était ce vieux type ?

— Ce n’est pas notre affaire, répondit Maria. Nous avons un contrat à honorer, peu importe l’identité du « patient ».

Leur repas achevé, Nino desservit et ils firent l‘amour sur la table, suivant un rituel qu’ils affectionnaient ne transgressaient jamais.

Elle s’étendait sur le dos, les fesses au bord du meuble. Son époux lui retirait lentement son slip, après quoi elle repliait ses longues jambes et les soutenait de ses avant-bras.

Le mari disposait d’une autonomie peu commune de la part d’un jeune mâle fougueux. Il la prenait langoureusement, forçant l’allure de temps à autre pour déclencher une violente frénésie chez la jeune femme. Rien ne l’excitait autant que de la sentir trembler et gémir sous lui. Lorsqu’elle le suppliait de se libérer, il ralentissait ses mouvements afin que leur pâmoison soit une apothéose.

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