NAPLES

3

Le Commendatore Aurelio Fanutti considérait la jeune fille d’un regard chargé d’opprobre.

— Miss Lola, articula-t-il sévèrement, vous avez encore raccourci votre barbe !

La fixité de ses yeux pâles la dissuada de nier. Elle balbutia seulement :

— J’ai pensé qu’elle avait besoin d’être égalisée.

Ces paroles, loin d’apaiser la colère d’Aurelio Fanutti, la transformèrent en crise nerveuse. Il se prit à trépigner et à écumer, les yeux exorbités.

— Dans ce théâtre, une seule personne pense, Miss Lola, une seule personne décide, une seule personne agit, et cette personne c’est moi ! Lorsque je vous ai ramassée au pied du Vésuve, vous étiez une petite guenilleuse tendant la main aux touristes en recueillant davantage de quolibets que de piécettes. Mme votre mère, qui vous aurait prostituée si vous aviez été tentante, vous avait affublée d’un écriteau portant ces mots honteux : « Lola, la femme-singe ».

« C’est alors que San Gennaro m’a placé sur votre route. Je vous ai sortie de la fange, vous ai lavée, car vous étiez crasseuse. Cela m’a permis de constater que si vos joues se montraient pileuses, par un étrange caprice de la nature, votre sexe, en revanche, ne l’était pas !

« Ma surprise me conduisit à devenir votre amant, presque machinalement. Privilège que j’accorde parcimonieusement à mes artistes. Je vous ai enseigné les rudiments de la vie, Miss Lola, depuis l’hygiène jusqu’à la déclinaison des verbes usuels. Grâce à moi, vous savez qui furent Néron et Benito Mussolini ; la table de multiplication par neuf ne vous terrorise plus et, aux repas, vous tenez votre couteau de la main droite. Je m’ingénie à vous offrir une vie dorée.

« En dehors des tâches ménagères, partagées avec M. Alfonso, votre occupation principale consiste à poser devant un public d’ahuris et à lui exhiber simultanément votre figure barbue et votre pénil glabre. Exercice peu fatigant, vous en convenez ? En échange, vous êtes habillée, nourrie, logée et nantie d’un livret d’épargne sur lequel je verse scrupuleusement cent mille lires par mois. En outre, je paie vos objets de toilette, de même que vos pansements menstruels.

« Disons-le, malgré nos épisodiques copulations, je vous considère et traite comme ma fille. Et tout cela pour en arriver à quoi ? À raccourcir votre barbe que je rêve longue et profuse comme celle de Léonard de Vinci ! Eh bien non, ma chère ! L’ingratitude a ses limites ! Coupez encore un seul centimètre de cet incomparable ornement, et c’en est fait de notre collaboration ! Je vous rends à votre marâtre et à sa médiocrité héréditaire. »

Le cœur chamadeur, il quitta le mobile home pour aller prendre l’air.

Le Commendatore Fanutti avait le courroux prompt. Les irritations les plus vénielles le plongeaient en état de tragédie, après quoi, il retrouvait difficilement son calme. Il fit quelques pas rageurs dans le terrain vague résultant de l’éboulement d’un quartier miséreux où, bientôt, se dresseraient des immeubles-clapiers sans goût ni grâce.

S’étant retourné, il contempla le vaste camping-car appelé pompeusement « le théâtre ». Son gendre et sa fille l’avaient subtilisé deux années auparavant, dans la région de Gênes, à des touristes hollandais qui le désertaient momentanément pour s’aller goinfrer de pizzas en ville. Aidés d’un ami garagiste, ils transformèrent le luxueux domicile itinérant en baraque foraine. La partie gauche s’abattait, découvrant deux espèces de chambres-cellules faisant office de scène. Elles étaient respectivement occupées par Miss Lola, « la déesse barbue », et Alfonso, « l’homme à deux têtes ».

Peu de chose distinguait ce malheureux de l’animal. Certains primates s’expriment en proférant des cris semblables aux siens et la plupart des chiens ont un regard plus expressif. Il mangeait avec ses mains, se soulageait au vu de tous, dormait à terre, se masturbait sans crier gare et refusait généralement de procéder aux plus élémentaires ablutions. À vrai dire, il ne possédait pas deux têtes ; disons que la sienne était « à impériale », à savoir qu’un second front surmontait l’autre, avec, entre les deux, une sorte de tubercule dont la nature dévoyée avait sûrement ambitionné de faire un nez supplémentaire.

Le crétin piquait parfois des crises qui l’induisaient à mordre et à griffer « son maître ». Le Commendatore rétablissait l’ordre à la cravache. Il arrivait également au demeuré de vouloir chausser sa camarade à barbe ; Aurelio Fanutti calmait ses ardeurs à l’aide d’un seau d’eau froide.

L’existence de cet étrange trio se déroulait somme toute sans gros à-coups. Ils allaient, de ville en village, présenter à des badauds l’anormalité des « artistes ».

Le théâtre était rapidement édifié : Aurelio Fanutti plantait, face à la voiture, deux longs piquets de métal qu’il unissait à la caravane par des filins sur lesquels coulissait une tenture de plastique noir.

Au moment de la représentation, vêtu d’un habit, il jouait du saxophone pour attirer les passants. Une fois la foule rassemblée, il plaçait une harangue de grand style, à ce point alléchante que les gens se bousculaient à la caisse : en l’occurrence une sacoche de cuir fixée sur son ventre. Lorsqu’il estimait avoir atteint la jauge, il fermait l’enceinte légère et venait palabrer devant la scène.

Bonimenteur intarissable, il savait attiser la curiosité de l’auditoire en débitant un couplet pseudo-scientifique, puis en développant l’aspect tragique de ces effarantes disgrâces de nature.

Quand, enfin, il abattait le panneau latéral du mobile home, le public, conditionné, restait muet de stupeur, voire d’épouvante, à la vue de « ses monstres ».

Ce qu’éprouvait Aurelio Fanutti procédait de la fierté paternelle. Les deux phénomènes lui procuraient un sentiment de puissance difficile à analyser.

Le projecteur éclairant Miss Lola s’éteignait ; alors il se consacrait au bicéphale, commentant longuement son anomalie.

Il débitait des sornettes colorées, affirmant que la mère d’Alfonso espérait des jumeaux pendant sa gestation, mais qu’ayant forniqué avec un moine défroqué, le Seigneur l’en avait punie en déposant dans son sein un être monstrueux. Il brodait d’abondance, variant sa présentation selon son humeur ou les réactions du public. Les femelles rassemblées se signaient en l’écoutant. Les hommes prenaient des expressions sceptiques, ce qui ne les empêchait pas de blêmir.

La déesse barbue passait ensuite en vedette, vêtue d’une seule chemise de nuit courte et arachnéenne, connue autrefois sous le nom de « baby-doll ». La lumière, parfaitement étudiée, dévoilait crûment son sexe aux fortes lèvres dépourvu de toute pilosité.

Il achevait chaque fois l’exhibition en conviant des personnes de l’assistance à caresser les parties velues et glabres de la jeune fille afin de constater tactilement cette double erreur de la nature. Il annonçait que seules les dames pouvaient décemment assumer une telle vérification, déclenchant ainsi les protestations houleuses des mâles. À ce moment, le Commendatore feignait d’être débordé par les mécontents et se résignait à laisser tripoter sa vedette par les grosses pattes de ces messieurs.

Quelques jours plus tard, il gagnait une autre localité où la rumeur publique assurait déjà la promotion de son spectacle.

Conscient de ce que sa rancœur s’estompait, le fringant sexagénaire se rendit dans son appartement situé dans la partie avant du véhicule. Celle-ci se composait d’une étroite cabine pourvue d’un coin douche. Le dessous de la couchette servait de coffre à habits et un placard astucieusement équipé recelait une kitchenette pourvue d’un réchaud à gaz et d’un minuscule réfrigérateur.

Il se versa un large Campari, musclé d’un trait de gin, et s’en fut le savourer dans son fauteuil pliant, à l’ombre d’un vieil olivier échappé à l’effondrement du quartier. Un campanile proche égrenait une heure dont il s’abstint de compter les coups. Il appréciait ce brusque relâchement succédant à sa crise de colère. Cela lui faisait l’effet d’un bain tiède en été.

Fanutti avala une gorgée du liquide dont l’amertume le stimulait, puis eut un regard pour le paysage désolé qui l’entourait. Ce secteur écroulé, que les bulldozers avaient déjà nettoyé, lui rappelait l’éruption du Vésuve au cours de laquelle Orthensia, son épouse, était morte dans l’inconfortable déferlement d’une coulée de lave en fusion.

Leur union étant un acte d’amour, il eut du mal à se remettre de l’événement et ne se remaria point. Certes, il sacrifiait à la chair de loin en loin, davantage par hygiène que par exigence sexuelle, mais il ne renia jamais sa foi en l’aimée. Il la sentait continuellement présente à son côté, aussi attentive et vigilante qu’elle l’était de son vivant. Un peu tyrannique, sans doute, mais plus attachée à lui que sa carapace à une tortue, et d’une fidélité à ce point farouche qu’elle l’exaspérait parfois.

Morte à l’orée de la trentaine, elle conserverait toujours pour son mari sa luminosité d’ardente femelle ; l’absence la parait de charmes et en faisait un personnage de vitrail. Des matrones familiales avaient aidé Aurelio à élever sa fille, ce qui n’avait pas posé de problèmes majeurs. Adolescente farouche à l’esprit vif et au maintien réservé, Maria s’était acquittée de son enfance comme d’une charge incontournable. À quatorze ans, elle s’était prise de passion pour un garnement de leur quartier et brûlait du même feu sept ans plus tard, le mariage n’ayant fait que la stimuler.

Nino Landrini, le jeune époux, « travaillait » pour la Camorra, branche napolitaine de la Mafia. N’ayant pas d’autres occupations, il consacrait le plus gros de son temps à ses amours matrimoniales, convaincu qu’elles ne cesseraient jamais.

Le Commendatore acheva son Campari et s’assoupit. Une obscure mélancolie le taraudant, il n’envisageait pas un meilleur moyen de lui échapper. Les bruits du voisinage, loin de l’importuner, le rassuraient car il appréciait la rumeur de la vie. Des guêpes surgies de nulle part s’affairaient dans le fond de son verre avec un bourdonnement irrité.

Alfonso, le bicéphale, émit un hurlement de loup-garou, résultant sans doute d’une masturbation libératrice. Fanutti ne le perçut pas ; il flottait dans une torpeur zébrée de lumière, au fond de laquelle il mesurait l’inanité de son existence.

Quelqu’un toucha son épaule, déclenchant un rêve confus instantanément dissipé.

Un homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’un complet noir trop juste, le considérait d’un air indifférent. L’importun mâchonnait la tige d’un œillet sauvage cueilli sur le talus. Une raie médiane partageait son épaisse chevelure huileuse. Il souffrait d’un strabisme divergent de l’œil droit qui accroissait son aspect déplaisant.

Aurelio le reconnut : il s’agissait d’Alighieri, l’un des hommes « de compagnie » du Parrain, qu’on avait surnommé « le Dante » à cause de son patronyme. Comme il possédait une assez belle voix, très appréciée de « son maître », ce dernier le priait de chanter à toute heure du jour ou de la nuit. Un voisin, fraîchement arrivé de Milan, peu amateur de bel canto, avait porté plainte pour tapage nocturne. Quelques jours plus tard, de mauvais plaisants vinrent lui verser de la poix en ébullition dans les conduits auditifs alors qu’il était au lit. Cette intervention le laissa sourd, supprimant ainsi ses raisons de récriminer.

— Salut ! dit Fanutti, sans plaisir.

— Navré de vous réveiller, répondit le Dante d’un ton pincé. Suivez-moi : Don Gian Franco vous attend à quelques rues d’ici.

L’imprésario des phénomènes, ainsi qu’il se qualifiait volontiers, se leva. Dans le mouvement, il brisa son verre vide.

— Ça porte bonheur, ricana le visiteur.

Ils quittèrent le terrain vague et descendirent en direction de la mer. Au détour d’une ruelle, elle surgissait, presque blanche sous l’ardent soleil. On voyait les îles prestigieuses, rendues minuscules par l’éloignement. Des embarcations semblaient dériver sans objectif à proximité de la côte, tandis que de forts bateaux s’en allaient affronter le large, poursuivis par des vols d’oiseaux voraces.

Lorsqu’ils eurent dévalé la venelle, ils débouchèrent sur une voie peu fréquentée, parcourue de rails rouillés. Le Commendatore aperçut trois voitures stationnées à l’ombre de palmiers poussiéreux. Deux Fiat de cylindrée moyenne encadraient une Mercedes 600 équipée de glaces teintées insensibles aux balles.

Le Dante toqua à la vitre arrière droite et la portière se déverrouilla.

— Entre ! Entre, Aurelio, lança avec chaleur une voix affaiblie par l’asthme.

Cela faisait plusieurs années qu’ils ne s’étaient pas rencontrés. Une bonne raison à cela : Don Gian Franco Vicino, le Parrain, venait de purger une longue détention. Des gens attachés à sa perte, et qui n’appartenaient pas tous aux autorités, avaient tiré la leçon du cas Al Capone : ne pouvant coincer Vicino pour des crimes de sang, ils étaient parvenus à le confondre pour trafic d’influence et corruption de fonctionnaires.

Son incarcération fut douce et ne changea pas grand-chose à ses activités car, depuis le logement confortable qu’il occupa en prison, il put continuer de gérer ses affaires ; néanmoins, elle affecta son moral. C’était un être orgueilleux et emporté, supportant mal qu’on entravât son chemin. Il venait de retrouver la liberté avec, en tête, la liste des gens qui, désormais, subiraient sa vengeance. Dans la touffeur de son appartement encombré de plantes en bac, il échafaudait de sublimes représailles et tissait passionnément le suaire de ses ennemis.

Fanutti le trouva fatigué. Il avait le teint plombé et des cernes profonds sous les yeux. Les plis amers qui mettaient sa bouche entre parenthèse ressemblaient à des cicatrices.

Depuis son siège, Gian Franco ouvrit les bras au Commendatore ; celui-ci dut s’agenouiller sur le plancher de la limousine pour donner l’accolade au plus ancien de ses amis. Il retrouva le parfum du Parrain avec émotion : odeur mélancolique de violettes fanées à quoi s’ajoutaient des relents de musc.

— Assieds-toi près de moi, vieux saltimbanque !

Et il s’acagnarda dans l’angle de la Mercedes afin de lui faire face.

— Je suis heureux de te revoir, assura sincèrement Fanutti ; ton séjour là-bas t’a tapé sur la mine.

— Davantage encore sur le moral, répondit Gian Franco d’une voix sombre. Par contre, toi, tu m’as l’air rayonnant, ta vie errante te garde en forme.

Il sourit à son compagnon et posa sa main sèche sur la sienne. Vicino portait à son médius droit une énorme chevalière dont le chaton représentait une tête de lion aux yeux formés de rubis. Il l’arborait avec onction, comme un évêque son améthyste, la donnant à baiser quand il faisait droit à une supplique.

— Ah ! soupira-t-il, que n’as-tu accepté ma proposition de travailler avec moi, à nos débuts ! Quelle fameuse paire nous aurions faite !

— Mais non, riposta Fanutti. Tu sais bien qu’en cours d’ascension l’un de nous deux aurait sacrifié l’autre ! Je préfère être ton ami que ta victime !

Le Parrain éclata de rire et, le saisissant par le cou, l’attira à soi pour l’embrasser sur la bouche.

— Comment as-tu su où je me trouvais ? s’inquiéta l’homme aux monstres.

— Question enfantine. J’apprends toujours ce que je dois savoir.

— Tu as besoin de moi, Gian Franco ?

— Pas du tout ! Simplement, il me faut te confier une chose délicate.

— Eh bien, je t’écoute.

— Tu sais que ton gendre, Nino Landrini, a été formé par mes soins et travaille pour moi ?

— Impossible de l’ignorer : c’est le secret de Polichinelle.

— J’ai le regret de t’apprendre que ce garçon est un lâche.

Le Commendatore blêmit.

— Tu me tues ! fit-il avec un maximum de simplicité.

Il mit ses yeux dans ceux du Parrain ; ce dernier ne cilla pas. Il semblait brusquement lointain. Son ami d’enfance craignait ces instants de glaciation pendant lesquels le chef de la Camorra se retranchait de la vie courante pour s’abîmer dans des songeries maléfiques. Rien ne pouvait endiguer alors les noirs desseins mobilisant son esprit.

Fanutti attendit que Vicino récupère avant de chuchoter peureusement :

— Explique-moi, Giani…

L’autre sortit de sa torpeur vénéneuse.

— J’ai un grand principe, commença-t-il ; au cours de mes absences, je fais surveiller tout le monde par tout le monde. Cela me permet de conserver le contrôle des affaires. Sais-tu ce que ce système m’a permis de découvrir ?

Fanutti murmura, très bas :

— Dis !

— Je me faisais une haute idée de Landrini et le tenais pour l’une de mes meilleures gâchettes. En réalité, ce pleutre n’efface plus personne, Aurelio ; quand je lui confie un contrat, c’est ta fille qui l’honore !

Le Commendatore crut que sa vie lui échappait. Son regard se troubla tandis qu’une mauvaise sueur emperlait ses tempes. Sa qualité de Napolitain ne l’autorisait pas à encaisser une telle révélation avec stoïcisme. Il eut la tentation de s’évanouir mais n’osa. Il chercha un siège des yeux, réalisa qu’il était déjà avachi sur une banquette et se prit la tête à deux mains.

— Tu me tues, Gian Franco, répéta-t-il dans un sanglot.

— Eh quoi ! s’emporta le chef de la Camorra. Tu devrais péter d’orgueil au contraire, car si ton gendre est devenu un capon, ta fille, par contre, est une nouvelle Jeanne d’Arc ! Te rends-tu compte que depuis le 1er janvier, elle a neutralisé huit personnes coriaces avec une dextérité digne de mes collaborateurs les plus expérimentés ! Cette petite est un prodige ! Ah ! que n’est-elle un homme ! J’en ferais sans hésiter l’un de mes lieutenants.

Ces louanges, venant d’un personnage comme Vicino, mirent du baume sur l’âme endolorie du « monstreur ». En pur Latin, il récupéra aussitôt sa superbe d’artiste.

— Qui t’en empêche ? s’exclama-t-il, tout en essuyant les quelques larmes dont il venait d’accoucher.

— Une jeune femme ! objecta Gian Franco.

— Et alors ? Ergoter sur le sexe à l’époque où des femelles sont à la tête de leurs pays, manque de réalisme. Ce qui importe, c’est l’efficacité des individus, non qu’ils aient un salami ou une fente au bas du ventre ! Et puis je connais parfaitement mon gendre. Nino est le contraire d’un lâche. S’il a laissé agir ma fille, c’est par amour pour elle, parce qu’elle le lui aura demandé. Est-ce important pour toi, la main qui frappe celui que tu entends détruire ? D’accord, je vois la situation avec mes yeux de saltimbanque, néanmoins je suis convaincu d’avoir raison. Si le couple remplit les missions confiées au mari, que peux-tu souhaiter de mieux ?

De telles paroles avaient de quoi ébranler n’importe quel esprit farouche. Sans doute atteignirent-elles leur but, pourtant Vicino n’en laissa rien paraître et décida de pousser plus loin sa réflexion.

— Le cas est nouveau, déclara-t-il ; j’aviserai.

Ces mots tranchants alarmèrent le Commendatore. Connaissant son interlocuteur, il le savait parfaitement capable de passer outre ses sentiments pour imposer son autorité.

— Giani, soupira-t-il, au nom de notre vieille tendresse, je te demande une chose : quoi que tu décides, jure-moi de m’informer avant d’agir !

— Promis, finit par jeter le Parrain.

Ils s’étreignirent avant de se séparer.

Загрузка...