CRACOVIE

61

— Sais-tu ce que je crois ? demanda Hitler à sa prisonnière.

Elle secoua négativement la tête.

— L’endroit où nous sommes est un ancien kolkhoze datant de l’occupation soviétique.

Elle eut un hochement de tête indifférent.

— Curieux, cette léthargie succédant au régime totalitaire, poursuivit l’Autrichien, comme se parlant à soi-même. Rien n’a remplacé la férule rouge, à croire que l’exploitation d’alors ne pouvait plus être utilisée, ni transformée.

Ils se trouvaient dans un corps de bâtiment encore debout, malgré son toit affaissé comme la tente d’un cirque dont on a retiré le chapiteau. De l’ancien mobilier, il ne subsistait rien. Quelques grosses pierres pouvaient servir de sièges, à la rigueur. Adolf en désigna une à la captive :

— Assieds-toi, tu seras plus à ton aise pour répondre à mes questions.

Elle obéit.

— Dis-moi ton nom, reprit-il, ça facilitera les rapports humains.

— Lina.

— Tu travailles pour la Camorra ?

Elle sourit et répondit d’un ton enjoué :

— Secret professionnel !

Il lui aligna un coup de poing qui fit éclater ses lèvres. Instantanément, un flot pourpre jaillit de sa bouche et ruissela d’abondance sur le ciré dont la brillance rendait le sang lumineux.

— À compter de tout de suite, chaque mensonge ou mot d’esprit te vaudra un coup d’épingle, petite pute infecte ! Si je te la plante dans le derrière, ça t’amusera peut-être, mais dans l’œil ? Hein ? Dans l’œil ? Je t’en supplie, fais quelque chose pour moi : ne me pousse pas à bout !

L’expression de son bourreau lui causa une telle épouvante qu’elle faillit vomir.

— Ça commence sec, non ? ricana Adolf.

Tout à coup, comme s’il changeait le cours de ses préoccupations, il sortit son téléphone et composa le numéro de Mutti Cette fois, ce ne fut pas Frau Mullener qui répondit mais quelqu’un au parler rauque dont on ne pouvait, à l’oreille, déterminer le sexe.

Indécis, il se nomma, puis demanda des nouvelles de son aïeule.

— Dolfy ! balbutia-t-on.

Et il réalisa qu’il communiquait avec sa grand-mère…

Abasourdi par la stupeur, autant que par la joie, il dit à la « rescapée » son bonheur de l’entendre et l’amour qu’il lui portait. À sa grande surprise, des larmes sporadiques coulaient sur ses joues. Il reniflait, pareil à un jeune enfant ignorant ce qu’est le chagrin mais découvrant la volupté des pleurs.

Très vite, il se reprit, promit à la vieille femme d’aller la voir sous peu et rengaina son appareil.

— Je t’écoute ! fît-il à Lina d’une voix qui n’avait rien perdu de son sadisme.

Elle semblait hagarde car elle venait de réaliser la vraie nature du jeune homme. Avec ce garçon, tout était possible, surtout le pire.

— Je t’ai demandé si tu appartiens à la Camorra ?

— Je rends des services.

— En suivant quelqu’un comme ta culotte suit ton cul ? Tu me dégoûtes !

Elle détourna les yeux.

— C’étaient les ordres.

— Que racontes-tu dans tes rapports ?

— Vos déplacements, la manière dont vous vivez… Les gens que vous rencontrez…

— Par exemple ?

— Votre visite à l’évêché.

— Tu travailles en pool avec un type ?

Elle acquiesça.

— Un autre connard de votre clique ?

Elle eut un hochement de tête désemparé.

— Lui se chargeait de mon amie ?

— Oui.

— Il l’a supprimée ?

— Seulement interceptée.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle s’apprêtait à quitter Cracovie.

— Ça changeait quoi à la situation ?

— On voulait s’assurer d’elle pour récupérer certaines choses qu’elle détient à Munich.

Hitler soupira :

— Un jour ou l’autre ça devait se produire : un forban ne saurait tolérer qu’un magot passe à portée de ses sales pattes sans se l’approprier.

Le jeune homme reprit son téléphone. Il composa la ligne privée du Don et, à la première sonnerie, présenta son portable à sa compagne.

— Demande à parler au vieux et passe-le-moi !

On mit du temps à répondre. Il perçut une voix féminine. Malgré le laconisme de Lina, la conversation dura. Enfin elle interrompit le contact et annonça :

— Le Don a eu une hémorragie abdominale cette nuit, son médecin l’a fait hospitaliser.

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