12

Il est sur la pente ascendante, Moktar (dirait ce reliquat du Premier en pire nommé Béru). L'œil vif sous ses stores en friche. On le ramène de la salle d'op', nippé d'une liquette d'hosto l'apparentant aux bourgeois de Calais. L'anesthésie fut de pure forme car, le toubib de garde me le confirme, le lingue de l'agresseur n'a fait qu'entamer la paroi stomacale. Il en a pour trois jours, mon harki.

Je place une chaise à son chevet et lui fais face.

— Ça va jouer ? demandé-je.

— Je pense. Mais sans votre chien, « il » me poignardait dans le dos.

— Qui, « il » ?

Il amorce une moue de gargouille médiévale.

— Ben… celui qui m'a fait « ça » !

— Vous le connaissiez ?

— Pas du tout.

— Vous avez eu le temps d'apercevoir son visage ?

— Rapidement et dans l'ombre.

— Le peu que vous en avez vu ressemblait à quoi ?

— Un homme de ma taille, plutôt jeune.

— Qu'appelez-vous jeune ?

— Moins de trente ans.

— Et encore ?

— Il faisait une grimace qui ressemblait à un rire.

— Il a dit quelque chose ?

— Presque.

— Qu'entendez-vous par là ?

— Juste un mot. J'ai cru comprendre « vérole ».

— Quelqu'un a des raisons de vous en vouloir ?

— Sûrement pas !

— Sûrement si ! On ne poignarde pas les gens qui vous sont indifférents.

— Franchement, c'est impossible : je n'ai jamais fait de mal à personne.

— En ce cas, mon brave Moktar, vous devez être au courant d'un secret qu'on craint de vous voir divulguer.

— Je ne sais rien ! assure l'ancien mercenaire français.

Un silence suit cet échange verbal (voire verbeux).

— Ecoutez, réattaqué-je, vous allez vous remettre de cet attentat sans bousculer vos méninges. Reposez-vous un max, laissez-vous soigner. Lorsque l'énergie vous reviendra, procédez à un examen minutieux des événements s'étant déroulés au château. Vous avez fatalement assisté à un fait particulier dont vous ne mesurez pas l'importance qu'il revêt pour votre agresseur.

Comme je viens de parler, on toque et un couple pénètre dans la chambre. Le mec est un pas très joyce, à la peau rose blême constellée de bubons en cours d'assèchement. Il a un nez de rapace constipé, le regard loyal des spadassins en train d'assassiner le duc de Guise, et des poings qui lui pendent au bout des bras pareils à deux enclumes. Je devine, sans mérite, qu'il est le gendre du jardinier.

Son épouse martyre le suit. Etre plein de grâce, donc de charmes, qu'on fourrerait sans réclamer de dommages et intérêts.

En général, je déteste les filles formellement brunes qui se font teindre en blondes. Mais dans la présenterie, force m'est d'admettre que la réussite est indéniable. Sa peau mate est transcendée par la décoloration. Quant à ses yeux noirs et légumineux (pardon : lumineux), ils te pénètrent jusqu'au fin fond de l'âme, là que débute ta sexualité. D'emblée, cette jeune femme m'inspire intérêt et compassion avec, en supplément gratuit, un désir charnel incompressible.

Comme elle semble malheureuse ! Et cependant inrésignée. Elle subit, en thésaurisant un capital de haine. La haine ! Ce soutien des brimés !

Mais bon, je te décris la scène.

Monsieur gendre va droit au lit pour mater son beau-dabe.

— Bonsoir, Kozeck, fait le jardinier planté.

En guise de réponse, le Polonais volte sur son épouse.

— Où as-tu prendre que ce vieux salaud mourant ? l'apostrophe-t-il en lui délivrant une mandale de deux livres. Lui aller mieux que moi !

Il parle avec un accent centreurope à la limite de l'audible.

— C'est pour faire chier moi que tu vouloir viendre !

Cette fois, il lui porte un taquet à l'épaule. L'adorable en chancelle.

Si je n'intervenais pas illico, tu serais profondément déçu, n'est-ce pas ?

Rassure-toi, Baby, il est toujours laguche pour défendre l'opprimé, ton Sana joli. Surtout s'il s'agit d'une adorable fille aux longs cils recourbés.

Je lui tapote le dos.

Il me fait face (si on peut appeler une face sa gueule vérolo-charognarde).

— Qu'est-ce que toi te mêles ? grommelle l'éleveur de furoncles.

— Interdiction de frapper une femme, fais-je.

Sur ce, j'y vais d'un uppercut du droit qui transforme sa mâchoire inférieure en tiroir vandalisé par un cambrioleur pressé.

Il y porte la main, glaviote une molaire qu'une carie en cours de développement avait déjà fragilisée, puis se rue sur ma Pomme. Je tire un coup de pied pénalisant dans son sac en peau de couilles. L'affreux Jojo pousse un son d'ébrouance et tombe à genoux.

Sans me départir, comme on dit dans les ouvrages de Titan Ma Gloire, je sors mes menottes et les lui passe en un tourne-chose.

A moitié envapé, il regarde ce bijou bi-poignal en ayant l'air de se demander s'il est en acier ou en or gris.

Je place ma carte à quatre centimètres Fahrenheit de son nez. Comme il est éloquent, le motPolice barré de tricolore !

Quel poème de Le Pen ou de Mallarmé peut rivaliser avec pareille décharge émotionnelle ?

Je déclare à l'olibrius :

— Tapage nocturne dans un hôpital, voies de fait sur une femme sans défense, attaque caractérisée d'un officier supérieur de police, vous allez avoir des vacances longue durée, d'autant que j'entends saler mon rapport.

Dégainant mon portable une fois de plus, je réclame un panier à salade en service rapide, puis murmure à l'adresse de Moktar :

— Vous me permettez d'utiliser votre lavabo ? Je me lave toujours les mains lorsque j'ai touché de la merde.

Il m'emmitoufle d'un regard rayonnant de reconnaissance.

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