N'ayant pas de bagage, il sortit le premier de l'aéroport. Un soleil, violent comme un coup de massue, l'agressa.
Un Noir, coiffé d'un large chapeau de paille l'aborda, tenant dans sa sinistre un éventail de cartes postales compostées de chiures de mouches.
Le Rouquemoute refusa d'un geste.
— Fais pas l'andouille, lui souffla le marchand à la sauvette, achète-moi la première du lot.
C'est ainsi que, sous les larges bords de la coiffure, l'homme de science découvrit Jérémie.
Il réussit à refréner sa stupeur, saisit la carte présentée, la paya d'une pièce française et gagna les toilettes du hall dont la détresse fit peur à l'usager. Là il retourna la vue générale de Kalamarfarcî et lut : Tu es piégé. Va mettre les petites clés de Sana dans l'annuaire de la cabine téléphonique n° 2 et prends un taxi pour l'ambassade de France. Elle est prévenue.
Mathias sentit s'accélérer les battements de son cœur. Il chiqua l'indifférence, sortit son répertoire téléphonique de sa poche et fit mine d'y chercher un numéro.
Après quoi, il gagna la guérite indiquée. Dieu merci, celle-ci n'avait que sa porte de vitrée, contrairement aux guitounes de chez nous qui ressemblent à des châsses. Il composa un numéro imaginaire puis, à petits gestes prudes, retira les clés de sa fouille pour les glisser entre les feuillets du gros volume.
Un instant après, il s'évacuait en taxoche.
Le « marchand de post cards » demeura un bon moment à distance avant de se risquer à son tour dans la cabine. Son atavisme de chasseur en brousse, accru par sa carrière limière, le dotait d'une sorte de sixième sens l'avertissant des dangers les moins discernables. Il commença par fourrer quelques dragées de chewing-gum mentholé dans sa bouche et se mit à mastiquer avec cette application imbécile des amateurs de cette sotte denrée. Pour ma part, quand je visionne un match de foot à la télé, je ne peux supporter ces glandus de banc de touche qui se surmènent les maxillaires en vociférant des ordres. Mais tant et tant de choses m'agacent chez mes cons si temporains !
Jérémie se décida enfin à composer un numéro qu'il aperçut, gravé au couteau dans la cabine.
Une voix perturbée par l'asthme, se mit à baragouiner en arabe.
— Je t'encule, enfoiré ! répondit le Noirpiot.
Il y eut un silence, la voix au goût de miel reprit :
— Qui demandez-vous ?
Il répondit : « Le pape » et raccrocha.
Le flot des passagers s'écoulait lentement. Tous montraient cet air indécis des gens débarquant d'un long voyage.
Pour la vraisemblance de son personnage, Blanc continua de proposer ses cartes postales à des individus ayant bien d'autres préoccupations en tête. Les plus polis lui adressaient un signe négatif, les autres l'écartaient d'un coup de valoche dans les cannes.
Pour un temps, le hall de l'aéroport devint à peu près désert.
Jérémie s'assit sur une banquette après avoir rangé le paquet de cartolinas dans sa poche. Il semblait rêvasser, mais en réalité son vibromasseur à perruque fonctionnait à deux cents tours minute.
Autour de lui, tout avait l'innocence de l'indifférence.
Au bout de dix minutes, devant cette léthargie paraissant l'exclure, il faillit retourner à la cabine ; mais un signal d'alerte, émis au plus profond de son être, lui parvint une fois encore ; il décida de lui obéir.
Quelques taxis peints en jaune et blanc s'alignaient en une file maigrichonne sur l'esplanade. Il s'avança pour fréter la voiture de tête. Au moment où il l'atteignait, une Range-Rover portant le mot « Police » sur ses portes, fonça jusqu'à sa hauteur. Deux hommes en uniforme jaillirent du véhicule et se jetèrent sur lui. Ils lui mirent les menottes (elles ne ressemblaient pas aux cadennes françaises).
On le poussa dans la voiture. Laquelle s'éloigna aussitôt dans un vacarme de sirènes hystériques.