Une végétation qu'on peut qualifier de luxuriante a poussé sur les rives artificielles de la retenue d'eau.
Le formidable barrage d'Escouffian dresse sa masse bombée au-dessus des usines hydroélectriques chargées d'apporter la manne à l'Arabie Orthodondique, voire aux pays limitrophes.
Un hôtel réalisé par des Américains prévoyants s'élève, pimpant, au centre d'une oasis immense dont les palmiers n'ont pas encore eu le temps de devenir adultes : le Simoun Palace.
Construction de style arabe où l'eau glougloute dans des vasques de marbre blanc. De nuit, cet îlot de rêve est magnifiquement illuminé par un procédé digne des meilleurs « sons et lumières ». C'est dans ce paradis, arraché aux sables brûlants, que nous débarquâmes d'une Land-Rover climatisée, Antoinette, Marie-Marie et moi.
Tu dois te demander, mon lecteur préféré (comme disaient les romanciers d'autrefois, prompts à lécher), pourquoi je me pointe dans cette région désertique et altérée en compagnie de ces deux gentilles ?
Facile à piger : depuis un bout de temps le spleen me rongeait. Hier, dimanche, je me suis propulsé à Stockholm. Dans le zinc qui m'y conduisait, j'ai opéré un panoramique sur l'Affaire. La décision s'est imposée à moi : je devais me rendre au barrage où les disparus du téléphérique avaient travaillé de concert (et même de conserves, parce que dans ces bleds torrides, le panier de la ménagère, tu m'as compris ?).
Tu sais ma fougue et ma fantaisie ? A peine débarqué chez les Veaux-pas-cuits, je me suis renseigné sur les vols possibles. Justement : un avion de la K.L.M. y partait le lendemain aux aurores.
Bibi, ni une, ni moins, je propose l'escapade à mes chéries. Marie-Marie qui doit se faire tarter dans ce beau pays chiant, accepte, contre toute attente. Faut dire qu'une troussée épique venait de la mettre en (bonnes) conditions.
Et nous voilà donc au Simoun Palace. L'établissement n'est pas complet, tant s'en faut ! Je loue une suite de milliardaire professionnel et sors une boutanche de Mumm du réfrigérateur. Pendant que ma chère Musaraigne couche sa fille pour une sieste indispensable, je branche la téloche. Ne parviens à lui arracher qu'une émission interne consacrée aux merveilles de Sabouch' Huntrou, cité remontant au règne de Sallissan-le-Sodomite.
Marie-Marie revient, son devoir de maman accompli, après avoir plongé la pièce dans la pénombre.
On champagnise.
Puis je l'enfile avec dextérité. Une baise presque matrimoniale, mais extrêmement fougueuse. Elle gémit comme un petit carnassier pris au piège. Je lui repasse une nouvelle couche avec le pinceau qui va dans les coins. Elle repart à dame sans se faire prier. On se retrouve tout habillés sur le lit, avec juste les parties concernées à l'air libre.
Je mordille ses cheveux follets des tempes, comme je le faisais lorsqu'elle était une pécore facétieuse.
— Quand te décideras-tu à revenir en France ? demandé-je. Tu aimes tellement patiner sur les lacs ? Je t'achèterai des glaces Haagen-Dazs autant que tu en voudras, et t'emmènerai voir Holliday on Ice.
— Je te le répète, Antoine, nous habiterons ensemble lorsque tu auras lâché ce métier. Ta fille a le droit d'avoir un père normal ; un père qui ne ferait pas l'acrobate sur une poudrière en jonglant avec des torches allumées !
— D'accord, je vais prendre une carte de représentant en mercerie.
Elle rit flou.
Pour diversionner, je me toilette Coquette. Elle conserve un air avenant, bien qu'elle ne soit plus sponsorisée présentement par mes bas quartiers de noblesse.
— Tu veux bien me raconter ce que nous faisons ici ? s'inquiète la Pie borgne.
Spontanément, je lui bonnis l'histoire des six mecs qui travaillèrent à l'édification du barrage et disparurent ensemble dans l'Alpe homicide.
— Qu'espères-tu découvrir, à présent que les travaux sont achevés ?
— Tout et rien ; pourtant, je pense avoir plus de chance de piger leur tragique destin ici, que sur Sunset Boulevard ou dans la fruitière de Gruyère.
Marie-Marie acquiesce ; une flammèche d'intérêt brille maintenant dans sa prunelle encore espiègle.
J'ajoute :
— A la tombée du jour, lorsque le Mahomet calmera ses ardeurs, j'essaierai d'aller glaner des informations.
— Tu nous permettras de t'accompagner ?
— Bien sûr !
Et je passe un grand coup de langue dans ses babines salées par l'amour.
Toujours s'adresser aux humbles quand tu souhaites obtenir des renseignements importants. En l'occurrence, le garçon d'étage fait merveilleusement l'affaire.
Le sonne pour du thé.
C'est un être dont le sérieux professionnel dissimule mal la joie de vivre. L'attribution d'un billet de banque soutenu par les U.S.A. (infiniment charitables là où il y a des gisements pétrolifères) le met en état de disponibilité avancée.
Je lui raconte que je suis journaliste, désireux d'écrire une série de reportages sur les récents travaux babyloniens de la planète. Connaît-il des hommes ayant vécu l'épopée du barrage d'Escouffian ?
Décidément, j'ai l'oigne bordé de mayonnaise ! Magine-toi que son dabe et son frère aîné ont chié des bulles carrées à marner sur le titanesque chantier. Ils se sont établis depuis sur les rives du lac artificiel et travaillent à l'entretien du barrage.
Il me conduira chez eux dans une paire d'heures, après son service. Cela nous permettra d'admirer le désert environnant qui, à la fin du jour, prend des teintes ensorcelantes.