45

Villa Santa Lucia, à nouveau.

Derrière les ifs, la Ferrari jaune est toujours tapie dans l'ombre.

— Dis-moive, y s'met bien, l'gérant d'fortunes, apprécie Alexandre-B. Dedieu ! T'as looké c'te chignole ? Note qu' c' t'un peu dommage d'avoir un' charrette qui dépasse le trois cents à l'heure su' un' île grande comme le cul à Berthe et qu'est tout' en montagne !

Cette remarque, pour acerbe qu'elle paraisse, n'implique aucune envie. Mon compagnon a toujours roulé dans une traction avant Citroën remontant aux années 30, sans jamais éprouver la moindre convoitise pour un véhicule plus performant.

Des bruits de rires et de flotte agitée nous entraînent vers la gauche de la maison. Nous empruntons cette direction et, comme je l'avais pressenti, découvrons une piscaille couleur émeraude. Je subodorais de la compagnie féminine, il n'y en a pas. Par contre, deux mecs strictement nus jouent les tritons dans l'eau chatoyante.

Les gaziers en question se poursuivent dans l'onde, se rattrapent, se palpent les pochettes-surprises, se roulent des pelles, se carrent des doigts mutins dans le cyclope arrière, font mille et mille mômeries amoureuses, mille Emile grâces si grotesques que le doyen de l'Assemblée nationale en gerberait les tartines de confiture préparées par sa maman pour son quatre-heures.

Nous stoppons près du vivier à pédoques, Sa Majesté et moi. Médusés. Gênés aussi, sans doute.

C'est dingue ce qu'il y a comme sodomites dans ce livre par ailleurs si puissant ! Une épidémie ! Un vertige ! Un pullulage ! L'empire de la vaseline !

Il s'écoule plusieurs minutes avant que ces naïaux[45] nous retapissent.

Les deux dauphines nous visionnent simultanément.

— Qu'est-ce que vous foutez là ? nous lancent-ils d'une même voix, l'un en mauvais portugais, l'autre en bon français.

Je produis ma carte pro avec une telle aisance qu'on devrait me filmer et me projeter dans toutes les écoles de police de la planète, pour la précision et l'élégance du geste. Un magicien ! A croire que ce rectangle barré de tricolore a été subtilisé au néant.

Les folâtreurs en demeurent saisis (pas par la queue).

J'identifie sans mal Kléber Dintzer, mais c'est son pote qui me trouble.

Je m'empare de deux peignoirs immaculés, sur le siège où ils furent jetés, et m'avance.

Ils bondissent hors de l'eau et se hâtent d'envelopper leur nuditance.

Vont pour gagner la maison.

— Non ! Nous serons mieux sur ce gazon japonais, assuré-je : profitons du merveilleux soleil.

Je leur désigne des chaises longues. Ils obéissent. Position privilégiée pour moi ; pas fastoche de répondre aux questions embarrassantes d'un flic qui te surplombe.

Pourtant, Dintzer demande :

— Police française, d'après votre carte ?

— Effectivement.

— Je vous fais observer que nous nous trouvons en territoire portugais.

— Et alors ?

— Vous avez une commission rogatoire ?

— Pratiquement.

— Qu'est-ce que c'est que ce charabia ? Vous l'avez ou vous ne l'avez pas ?

L'Empereur, prince de l'impatience et roi de la violence, y va de son coup de talon dans la frite du Tout-Beau. Vendanges d'automne, une fois de plus.

— Vous allez la sentir passer ! promet l'endoffé.

— En attendant, c'est toive qui dérouilles, mec. Et c'est s'l'ment les gâteaux aux anchois d' l'hors-d'œuvre.

Il shoote derechef dans la frime du gérant de (mauvaises) fortunes.

— Vos agissements sont d'une illégalité absolue ! se mêle son pote de piscine, non sans courage, je le fais remarquer.

— Bonté divine ! Vous êtes Yvan Dressompert, le journaliste disparu !

Voilà, en toute simplicité, l'exclamation que je lance à m'en faire un nœud aux cordes vocales.

D'après la mine de mon terlocuteur, je réalise le bien-fondé de la question.

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