On dit volontiers : « Con comme un moulin à vent. »
Je ne pige pas pourquoi : c'est pas con un moulin à vent, bien que la plupart soient hollandais !
En tout cas, les deux arrivants ont l'air authentiquement glandus, eux, espère. Pis que le mec faisant par inadvertance de la plongée sous-marine dans une fosse à purin.
Reconnaissons toutefois que les déguisements ne contribuent pas à exalter leurs qualités intellectuelles. La Beauharnais a de la moustache et du poil aux pattes ; le maréchal Ney, un rouquinos[7] avec du rouge à lèvres, compisse la banquette où il est assis, tant il a peur.
Ces chéris essaient de ne pas regarder la femme torturée, mais c'est tellement fascinant, l'horreur, que leurs yeux reviennent s'y poser comme des mouches sur une charogne.
Mathias étudie, avec son attention pointue, la servante « plantée du bas, fendue du haut ». Quand il examine un mort, c'est comme s'il cherchait à devenir son ami, à l'apprivoiser pour se faire confier LA VÉRITÉ. Il lui chuchote des choses, l'écoute, crée une extravagante connivence entre eux.
Je le regarde agir, assis face aux deux biches épouvantées. A un certain moment, l'époux de la Marthe pondeuse retire le plantoir, puis la serpe à bois et joint les deux parties de la tête fendue en maintenant l'ensemble serré par un large élastique sorti de sa trousse.
Il prend un bloc de papier et consigne les points capitaux de son rapport, agenouillassé sur le carreau, le cul dressé comme un adorateur ou un sodomisé.
Ça dure chouchouïe, qu'à la fin il chope une crampe et change de position, s'asseyant, calé contre le gros cadavre de la patiente (si je puis risquer ce mot). Noircit ou plutôt bleuit (son stylo a des cartouches couleur Sainte-Vierge), feuillet sur feuillet, kif un étudiant en philo penché sur sa disserte.
Jérémie, qui était allé raccompagner le jardinier, revient, tenant un sac de plastique de ces Galeries Lafayette grâce auxquelles le nom du courageux marquis n'a pas été oublié. Mystérieux, il le dépose sur mes genoux.
Je l'interroge du regard.
D'un sourcillement, il m'encourage à considérer l'intérieur de la pochette.
J'ouvre.
Un pistolet monumental, de tueur à gages assermenté ! Une pièce d'artillerie susceptible de percer des trous dans la coque du Titanic si le fameux iceberg n'avait pas suffi.
— Où ? briévé-je.
— Le coffre de la torpédo, murmure le Mâchuré.
J'acquiesce et lui rends sa trouvaille.
— A voir ! fais-je.
Mathias vient de se redresser et nous rejoint.
— Tu as dit qu'il y avait un autre client ? me demande-t-il.
— Montons tous ! décidé-je, en adressant un geste péremptoire aux follingues.
Ney et Joséphine grimpent sur les talons de notre scientifique ami.
Une atmosphère sentant la foudre écrase la maison. Seul, l'homme à la semence incoercible semble à présent détendu. Pour cet être, le travail est un véritable bonheur.
Naguère (voire même plus récemment), une bite sectionnée emplissait la clape du Maître. En reprenant conscience, il l'aura crachée, peu soucieux de ce quartier de noblesse tombé en déshérence. Le zob gît sur le tapis, privé du cadre sympathique que lui fournissaient un bas-ventre et une paire de testicules quand il était opérationnel.
Les minets émettent des glapissements de renards découvrant qu'ils sont devenus manteau sur le dos d'une pute ! Faut dire que c'est terrible, une verge toute seule.
Et puis nous pénétrons dans la chambre. Alors, les deux tantines chiquent aux pleureuses africaines. Cris et gargouillements ! Lacérage et trépignage !
— Guytou ! Guytou ! strident-elles devant le pauvre ébité.
— Calmez-vous, mesdemoiselles ! interviens-je.
Tu sais quoi ? Voilà la maréchale qui me donne un coup de griffes sur la joue.
Un chat sauvage !
Ma réponse est aussi fulgurante que positive : uppercut au bouc !
Ça a craqué ? T'es sûr ? En tout cas il est foudroyé de première, le gazier qui m'antagonise. Bras en croix, yeux brouillés pour une extase intérieure en comparaison de laquelle celle de ton épouse, lorsque je la saute, est pur chiqué.
Pendant que Mathias fait rebelote avec ce nouveau défunt, j'attire la Beauharnais dans une embrasure.
— Ma chère petite, commencé-je, le moment des révélations utiles est arrivé. Montrez-vous coopérative si vous ne voulez pas avoir la gueule pareille à une collision mortelle sur la Nationale 13.
Elle véhémente du menton. « Oui, oui, yes, si, da : elle est partante pour une converse à bâtons (mais non à menton) rompus. Elle dira tout, plus le reste ! En inventera au besoin ; mais ce qu'elle souhaite, c'est préserver notre amitié naissante.
Ne voulant pas t'infliger un procès-verbal de pandore, je te résume.
Elles sont trois folles guêpes partouzardes qui draguent le riche micheton sur le retour. Ces chéries ont pu constater que le septuagénaire fraîchement converti offre une aubaine idéale. Sa sève subsistante l'invite à des dépravations qu'il n'a jamais pratiquées auparavant. Comme tout initié, il est prêt aux excès.
Les trois amis ont su mettre leurs pattes de velours sur l'académicien, l'ont entraîné loin dans la perversion et l'ont photographié en cours d'ébats. Ces images seraient susceptibles de ruiner sa réputation si elles cessaient d'être confidentielles.
Aujourd'hui marque l'anniversaire du grand homme. Aussi a-t-on décidé d'organiser un dîner de têtes en son honneur. Le Premier Empire se trouvant à l'ordre du jour, le thème de la fiesta prévue a été tout naturellement Napoléon, d'où ces déguisements. La réception doit avoir lieu dans une hostellerie réputée des environs : La Cage d'Or, à partir de vingt heures.
— Un instant ! l'interromps-je.
Je m'approche de Mathias, toujours en plein flirt avec la défunte chochotte.
— La mort de ces gens remonte à quand ?
Il hausse les épaules :
— Trois ou quatre heures.
Je consulte ma toquante.
— Soit entre douze et treize heures ?
— L'autopsie t'apportera une réponse plus précise.
— Donc, depuis midi, personne n'a ramené sa fraise (Henri III) au manoir ?
In petto, j'ajoute : « A l'exception du père Félix. »
Accaparé par ces constatations, le Rouque ne juge pas opportun de répondre. Cézigus dirige le laboratoire de Police technique. Il n'est pas officiellement médecin légiste, mais en sait plus long que le code civil sur les questions morticoles et leurs dérivés ; je le sollicite volontiers sur les affaires de meurtre.
Ney n'a pas un meilleur sort dans mes books que dans l'Histoire[8]. Voyant qu'il commence à remuer des épaulettes, je réinterviens.
— Ne vous agitez pas ! conseillé-je au prince de la Moskva en lui mettant une délicate talonnette sur la glotte.
Il juge mon conseil judicieux et se rendort, façon chérubin que sa nounou vient de branler, comme ces chères femmes le faisaient au bon vieux temps ; thérapie grandement préférable au Phénergan, toutes les nurses compétentes te le confirmeront.
Revenu auprès de Joséphine, je dépose sur ses genoux mon légendaire calepin à couverture de moleskine noire.
— Ecrivez votre nom et ceux de vos copines, ainsi que les adresses.
La langue pointée, elle s'exécute, gentille écolière pleine de bonne volonté.
Coup d'œil à son devoir de vacances.
— Olympio, c'est vous ?
Battements de ses longs cils en poils pubiens amidonnés.
— Et Guy, le pauvre défunt ? Norman, le gisant à la mâchoire d'argile ?
— Exactement.
— Vous demeurez à la même adresse ?
— Les parents de Guytou sont morts dans un accident, il s'est retrouvé seul dans leur grand appartement de l'avenue Paul-Doumer…
Cela allait de soi.
— Comment se fait-il que le gentil Guy[9] soit arrivé ici avant vous ?
— Gros Poutou a téléphoné ce matin en lui demandant de venir le premier.
— Cela se produisait fréquemment ?
— Parfois, son humeur l'incitait à réclamer la présence de l'un de nous : besoin de tendresse.
— Et aujourd'hui fut le tour de ce malheureux ?
— Hélas !
La pauvre biche met la main devant ses yeux beauharniens et éclate en sanglots.
Je respecte sa détresse.
— Coup dur pour vous deux, remarqué-je : votre logeur refroidi, le micheton dans le coma, et la police sur les endosses. Comment est-il venu ici, le chérubin ?
— Gros Poutou l'a envoyé chercher par son chauffeur.
— Il en a un ?
— C'est un retraité des taxis habitant le quartier qui lui en tient lieu.
— Son nom ?
— Montmajour, je crois me rappeler, comme l'abbaye de Provence ; il demeure au bout de l'avenue.
Voilà qui justifie une ligne supplémentaire dans mon fameux carnet.
Je cherche Jérémie du regard. D'un imperceptible acquiescement, il m'indique qu'il fonce interviewer l'ex-collaborateur de la G7[10]. Je te le répète : ça fonctionne rond, nous deux.
Pour laisser à Joséphine le temps d'essorer ses pleurs, je retourne à l'Embrasé.
— Tu en as encore pour longtemps ?
— J'ai terminé, le légiste prendra le relais.
— Premières réflexions ?
Il se dresse, m'entraîne dans l'antichambre.
— Ces meurtres n'ont pu être commis par un homme seul, assure le planteur de spermatozoïdes ; si je peux me permettre cette formulation : l'ASSASSIN ÉTAIT DEUX !