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On nous apporte les entrées.

Pinaud a choisi un poireau vinaigrette, Béru du boudin aux deux pommes, Jérémie du couscous en salade, et moi des filets de harengs à l'huile.

J'ai invité mes maréchaux à une bouffe de mise au point à Ma Bourgogne. Tellement d'événements se sont déroulés ces derniers jours qu'il est grand temps d'apporter un peu d'ordre dans tout ça. Après, on ne s'y retrouverait plus.

Lorsque j'étais chiare, papa me prônait l'organisation ; il était adepte convaincu du fameux : « une place pour chaque chose, et chaque chose à sa place ». Mon tempérament un peu bohème m'inclinait davantage vers le : « là ou ailleurs, c'est tout bon ». Cela dit, j'ai pigé au fil du temps qu'un peu de méthode ne nuit jamais. Mais alors la pointe. Juste ce qu'il faut pour ne pas déraper dans la chienlit.

Nos hors-d'œuvre hors pair engloutis, avec l'aide judicieuse d'un sancerre comme seul Louis Prin sait en dénicher, nous passons à la partie conclave de notre réunion.

Désireux d'écouter le résumé de l'affaire de As à Zob, je donne la parole au Noirpiot.

Laissant un langoureux pet du Gros circuler autour de la table, l'homme dont la chevelure ignore ce qu'est un fer à friser s'empare du micro, mes gars[39].

Compte rendu impec. Tout y est : le château de Louveciennes, le meurtre de la servante et du minet ébité, l'académicien qui s'autoneutralise en se faisant une injection…

Puis : les deux folles guêpes trafiquantes, liquidées à leur tour ainsi que les quatre convives survenus les derniers.

Et encore : Moktar le jardinier, agressé près de sa masure ; la bagnole au pistolet provenant de chez Jérôme Bauhame, dont je découvre qu'il est un fourgueur de came d'envergure ; le couple venu chercher l'on ne sait quoi dans la rue de Léandre, le gentil et héroïque infirme…

De plus : Yvan Dressompert le journaliste, disparu comme par magie, les six mecs inscrits dans son carnet tués d'un décrochage de téléphérique…

Et pour terminer : l'assassinat de l'écrivain par contumace, la séquestration de son meurtrier, liquidé par de faux agents dans l'endroit où je l'avais mis en quarantaine ; sans parler de la mort « accidentelle » de l'énigmatique miss Gudule.

Beaucoup, hein ?

Trop, tu crois ?

Qu'est-ce que tu dis ?

Ah ! y en a jamais assez ?

T'as bien raison, mon chéri, si tu considères le nombre d'auteurs qui trempent leur plume dans du formol !

Un moment de récupération suit le diligent rapport.

Pinuche qui a pris des notes au dos du menu émet le premier ses réflexions :

— Sans doute, à cause de ma conversation avec lui, je pense que le nœud de l'affaire se situe chez Titan Ma Gloire. Il en est le pivot. Il s'est compromis dans ces meurtres.

— Moive, enchaîne l'homme de lard, j'sus turluqueuté par l'ad'venance d' la mallette d'croco. L'pédoque favori du Titan l'avait en arrivevant, n'ensute oncle n'l'a revue ! Quéqu'un l'a fatal'ment engourdie.

— Personnellement, démarre Jéjé, je suis troublé par les six noms trouvés dans le carnet du journaliste. Ces hommes avaient travaillé ensemble en Arabie et sont morts ensemble dans la cabine du téléphérique. Vous n'espérez pas me faire croire qu'il s'agit là de hasard ?

Nous dénégationnons alternativement.

— Et toi ? murmure le Pinaud gris s'adressant à mézigue. Tu te tais ?

Il me semble produire un léger mouvement d'épaules.

— Si je vous dis à quoi je gamberge, vous n'allez pas en revenir, mes amis.

— Vas-y toujours ! m'invite l'Echo des Savanes.

— Je songe à la grosse tortue, dans son vivarium, au fond du hall, à Louveciennes. Pourquoi ne lui avons-nous prêté aucune attention, les uns et les autres ?

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