Le révérend Pinaud passa un temps très bref dans les quetsches. Il surmonta sa douleur et, fier Sicambre, inclina la tête pour vérifier les dommages infligés à sa queue par l'hyène vorace.
La tête du champignon d'amour venait d'être partiellement sectionnée et le cryptogame saignait d'abondance (comme les cornes du même nom). Un morceau de mou, d'un violacé écœurant, gisait sur le tapis.
Le malheureux partit à la recherche d'une salle de bains, lava longuement sa plaie en émettant des cris de souffrance et se fit un pansement de fortune à l'aide d'un gant de toilette en tissu-éponge.
Une sombre résignation l'habitait. Il songeait que cette mutilation sonnait le glas de sa sexualité agissante. Il lui faudrait, désormais, appeler faire l'amour ce qui, jusqu'alors, en constituait les hors-d'œuvre.
Indomptable, il se jura de continuer l'enquête sans davantage perdre de temps avec sa pauvre vieille bitoune mise à mal.
La houri s'était enfuie en abandonnant le tiroir renversé et les objets qu'il renfermait. Avait-elle eu le temps de s'emparer de quelque chose ? Si oui, il ne pouvait savoir de quoi il s'agissait. Il regardait mélancoliquement le fatras jonchant le sol lorsqu'il fit une découverte qui devait l'aider à poursuivre sa chasse.
Dans sa précipitation, la fuyarde avait renversé un pot de porcelaine contenant du talc, matière ayant son rôle à jouer lorsqu'on pratique la masturbation.
La rétive donzelle, en piétinant cette poudre, offrait l'empreinte de ses mignons ripatons et laissait des traces de sa fuite.
Cette aubaine ragaillardit l'héroïque perdreau.
Il allait, s'appuyant sur le faisceau de sa lampe comme sur une canne. Il se réjouissit que la pluie fût calmée, ainsi le talc, bien qu'il s'estompât, continuait de composer un tracé lisible sur l'herbe rase. Il le conduisit vers la partie du mur longeant une voie peu usitée, compromis entre la sente forestière et l'allée secondaire. Une portelle de bois commençait à s'affaisser sur des gonds tordus. Dans sa précipitation, la femme ne s'était pas donné le temps de la refermer.
Pinaud passa un moment à interpréter les indices livrés à sa sagacité. L'anthropophage avait enfourché une bicyclette. Il fut heureux de découvrir un cataphote au support rouillé. Sans doute s'agissait-il d'une bécane exténuée, comme il en agonise dans les greniers parce qu'on n'a pas le courage de la mettre aux ordures.
La pièce avait été arrachée par les ronces contre lesquelles se trouvait le vélo en attente. Partant de cette quasi-certitude, il n'eut plus qu'à suivre les marques des roues. Elles l'entraînèrent jusqu'à un chemin débouchant sur une rue quiète de Louveciennes.
Parvenu à ce modeste carrefour, la Pine (mutilée) s'arrêta, indécise. Toutes traces avaient cessé.
La voie était silencieuse et blafarde. De très rares véhicules l'empruntaient à cette heure tardivo-matineuse. D'un geste harassé, il tira sur son calcif, lequel comprimait sa verge en partie étêtée. Il sentait qu'en aucun cas la piste ne devait se refroidir. César-l'Ebréché était dans l'état d'un homme frappé d'une attaque, qu'on oblige à rester lucide pour préserver une chance d'en réchapper.
Devait-il prendre à gauche ou à droite ?
Une récitation de son premier âge lui vint à l'esprit et il la balbutia, comme on ânonne une prière :
« Un enfant, au bout d'une route,
Trouva tout à coup deux chemins.
Il s'arrêta, rempli de doute,
Roulant son chapeau dans sa main.
Fallait-il prendre à gauche, à droite,
Ou bien rester là jusqu'au soir ? »
Sans achever son évocation, l'Equeuté opta pour la droite, reflet de ses opinions politiques, bien qu'il s'en défendît.
Il alla, le pas musardin à cause de sa biroute en feu.
« J'ai une lampe à souder entre les jambes ! » songea le pauvre homme.
Au moment où il passait devant un transformateur électrique comme il en existe encore dans les campagnes et les banlieues, ce qu'il redoutait se produisit : une ardente envie d'uriner. Il atteignait l'âge des prostates en fleur, ses mictions devenaient de plus en plus fréquentes et impérieuses.
Dans le cas présent, pisser ne serait pas une partie de plaisir car il allait devoir ôter son sexe endommagé du gant de toilette servant de gaine protectrice. Le sang avait collé l'étoffe à la plaie et il n'osait envisager la souffrance consécutive à leur séparation.
Pudiquement, l'Ebréché du panais contourna la construction aveugle en se débraguettant. Il se figea brutalement. Son besoin de licebroquer le quitta momentanément. Derrière le transformateur gisait un vélo d'homme dont la roue avant décrivait un « 8 » et dont la potence était brisée.
En y regardant de plus près, le retraité constata que l'engin n'avait plus de cataphote. Sans aucun doute, la fuyarde venait de se fraiser la gueule en pédalant sur une machine trop grande pour elle.
Ragaillardi, Pinaud urina et ce fut moins effroyable qu'il ne le craignait. Il partit examiner la chaussée où il décela des traces de la chute, entre autres du sang. La garce s'était blessée assez durement, si l'on se référait à la quantité de raisin versé.
L'Implacable-à-la-queue-biseautée, sans entretenir des relations étroites avec le Seigneur, Le pratiquait assez pour Lui voter une action de grâce express. Il faut dire qu'Il ne se foutait pas de sa gueule, en lui accordant : un pot de talc renversé, puis des taches de sang pour se repérer.
Pinuche joua au Petit Poucet (qui aurait troqué ses graviers contre de l'hémoglobine) et, la tête à nouveau baissée, chemina jusqu'à une propriété plantée d'arbres aussi variés que séculaires.
Le pavillon s'érigeait sur la gauche non loin d'un hangar déglingué. De la lumière en filtrait, maussade. César s'approcha et regarda à travers les mailles d'un rideau de coton aux nombreuses déchirures. Il vit son équeuteuse debout devant un évier, occupée à tamponner ses multiples plaies à la tête avec de l'ouate imbibée de Mercurochrome, ce qui lui donnait rapidement un visage de squaw.
La Vieillasse actionna doucement le loquet de la porte, son pistolet dans la main gauche (il était ambidextre), puis pénétra dans le logis puant le mouton rance et les herbes aromatiques.
La gonzesse volta en poussant un léger cri de frayeur.
— Du calme ! exigea Pinaud. Je vous préviens que, cette fois-ci, au moindre geste je tirerai.
Elle se montra tout à coup terrifiée.
— Parlez moins fort, implora-t-elle, mes parents couchent dans la pièce à côté.
— Ils ne sont pas au courant de vos escapades nocturnes ?
Elle secoua négativement la tête.
— Qui êtes-vous ? réitéra-t-il, car elle avait répondu de façon évasive à cette question lors de leur rencontre.
— La fille du jardinier, avoua-t-elle ; mon père travaille depuis très longtemps pour Ma Gloire.
César sentit mollir sa rancœur. Il ne pouvait s'empêcher d'admirer cette fille de feu. Elle avait la violence preste, mais il comprenait qu'elle eût perdu la tête en l'entendant dire son intention de l'emmener à la police.
Des ronflements provenaient de la pièce voisine. Les braves parents dormaient profondément, inconscients de ce qu'il se passait à quelques mètres d'eux.
— Vous ne voulez pas que nous buvions un verre d'arak pour nous réconforter ? proposa-t-elle en souriant. Mon père en a de l'excellent, bien qu'il n'en boive pas lui-même.
Le dabe, très « dame-liqueur », ne savait pas refuser un verre d'alcool. Il marqua son assentiment d'un mouvement de tête.
La fille du vieux Moktar sécha sa frimousse tuméfiée avec un linge de cuisine, alla prendre deux verres dans le placard et les déposa sur la table.
— Asseyez-vous, dit-elle à son invité.
Le brave perdreau ne demandait pas mieux car il était fourbu. Schéhérazade se mit à la recherche de l'arak qu'elle découvrit sur une étagère. La bouteille avait une forme de carafe et son étiquette vert et rouge prenait un aspect de fête.
Elle s'en saisit et, lorsqu'elle fut près de Pinaud, la lui fracassa sur la tête.