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Avec une enquête aussi démesurée sur les bras, j'aurais dû laisser mes friends des Stups s'occuper de l'histoire Jérôme Bauhame. Seulement j'avais une dent contre lui, plus mahousse qu'une défense d'éléphant, et j'aurais donné dix ans de la vie de la reine Mary pour confondre ce salaud !

Nous étions cinq sur le pied de grue (et de guerre).

Des heures à moisir !

L'un des hommes est allé acheter un peu de boustifaille lorsqu'on s'est mis à la piler sérieusement. Pas du produit Fauchon, mais de la tortore express au goût de carton. Dans notre métier, on mange plus souvent cette nourriture que celle de Lasserre. Je m'en console en bouffant des culs. Le plus possible ; la chatte, c'est le festin du pauvre.

Le temps s'est écoulé. Ou plus exactement s'écoule car il ne sera jamais au passé.

Enfin : la récompense. Alléluia !

« Le » revoilà.

Pas seul. Trois anachorètes bruns l'accompagnent.

Tout le monde descend.

Borgnicola dit à l'un de ses valets d'épée d'aller chercher la Juvaquatre et de l'amener dans l'atelier. Lui-même s'y rend avec les autres comparses. D'où je suis, j'assiste aux agissements du groupe. Ma placarde ? Une pile de pneus encore sous bandelettes (des boudins égyptiens, probable).

Le groupe poireaute près de la fosse à vidange jusqu'à l'arrivée du driveur de Juva.

Une fois la vieille tire rentrée, les mectons referment la porte coulissante et descendent dans l'excavation pour gagner l'entrepôt de schnouff, à l'exception du chauffeur chargé de faire le pet.

Ce dernier s'assoit sur un établi, sort un walkman de sa combinaison et s'enquille les fiches des écouteurs dans les cages à miel.

Ce glandu a eu l'excellente idée de se placer dos à moi. J'ignore ce qu'il écoute, mais ça ne doit pas être du Bach. Il trémulse des épaules. Avec le vacarme qu'il s'engouffre, il reste insensible à mon approche. Je lui pratique le gag classique de la petite tape sur l'épaule ; il volte. Ma droite correctement armée lui arrive dans le clapoir à la vitesse du T.G.V. en rase campagne, lui démolit le devant ; ses incisives larguent leur gencive pour se planter dans ses lèvres, comme des petites bougies d'anniversaire.

Histoire de lui en offrir pour son argent, je double d'un gauche en plein nose. Ce con se désétablise[31] pour aplatir sa gueule dans une flaque cambouisarde.

Dès lors, je cours rouvrir la lourde et virgule un coup de sifflet voyou à mes collègues. Ils se rabattent à tire-d'aile comme une volée de corbeaux sur une charogne.

D'un geste, je leur indique la marche à suivre : nous nous plaçons en demi-cercle au bord de la fosse et attendons.

Pas longtemps.

Un gusman s'extrait du terrier, chargé d'un ballot de came (rien de commun avec les arbres à cames dispersés dans l'atelier).

Il nous avise, va pour amorcer un mouvement de retraite que je paralyse en brandissant le camarade Tu-tues.

Impressionné, il s'immobilise.

Nouveau geste impérial du Très Fameux pour le sommer de remonter avec sa charge.

La docilité du convoyeur de drogue est totale. Il gravit l'échelle de fer, dépose son laxompem et présente spontanément ses poignets couverts de tatouages romantiques.

Le gazier suivant se montre moins passif. A notre vue, il lâche sa charge et replonge dans le terrier.

Doit y avoir conciliabule. Mais dans leur cas, toute converse est stérile. Constater un désastre n'a jamais servi à le juguler.

— Cher Jérôme Bauhame, crié-je, vous n'avez d'autres ressources que de sortir de votre terrier, les mains levées à la hauteur des épaules. Depuis des heures tous les services de police compétents sont au courant de votre trafic : vous arriverez à la Maison Mère accueilli par une haie d'honneur. Nous sommes ici une demi-douzaine de vilains, armés jusqu'aux sourcils ; essayez de faire du rebecca et, demain, vos familles écriront les enveloppes de vos faire-part.

Arguments incontournables.

Ils sortent dans l'attitude préconisée par ton ami San-A. Pas joyce, mais résignés, comme le sont presque tous les malfrats venant de se faire sauter. Le garaco ferme la marche, plus borgne que jamais !

Ils grimpent jusqu'à nous. Crépitement de cadennes. Ensuite, toujours selon mes instructions, nous attendons de concert, messieurs les draupers et messieurs les voyous.

Quoi ?

Qui ?

Je vais te le dire, Casimir : nos potes de la Presse, tout bonnement !

Pas souvent que je prends la pose et joue la star du muet ; mais là, j'en avais plein mes bottes de sept lieues de chiquer au patron débordé dont on réclame la tête.

A mon tour de tartariner.

Ma frime à la « une » ; œil intense, sourire Oréal-parce-que-je-le-vaux-bien !

Après le craque, le crack.

Logique ?

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