Ce fut Béru qui, le premier, retrouva sa trace.
Kléber Dintzer avait disparu peu après la visite de Pinaud. Lorsque j'allai dans ses bureaux, la secrétaire m'expliqua que le gérant de fortunes avait pris quelques jours sabbatiques. Cela lui arrivait plusieurs fois l'an pour lui permettre de « recharger les accus ». Dans ces cas-là, il se munissait de la valise de voyage, toujours prête, dans un placard du vestiaire, et s'esbignait sans informer quiconque de sa destination.
Je demandai alors à mes valeureux Béru et Pinuche de retrouver coûte que coûte la piste du bellâtre aux cheveux argentés. Au cours de cette enquête foisonnante en péripéties, accaparé par mille tâches, je n'avais pas eu le temps de m'occuper de l'étrange personnage, aussi étais-je fermement décidé à mettre les bouchées doubles. Donc le Gros, servi par la chance, « gagna le canard », comme disait volontiers mon papa. Ce fut d'une telle simplicité que les plus mauvais écrivassiers du genre (j'en ai dénombré vingt-huit mille quatre cent trente-deux à ce jour, sur le seul territoire français) n'oseraient utiliser un hasard aussi chichois. En quittant les bureaux de Dintzer, il refusa de repartir dans ma voiture, car il devait se rendre d'urgence porte de Bagnolet pour tirer l'épouse de l'un de ses maréchaux, une certaine Marie-Louise Pranduque, à qui il avait fait tâter ses couilles dans les lavabos de Chez Finfin, le jour de son sacre.
Il fréta un G7. A peine fut-il assis que le conducteur, un Albigeois disert, s'exclama :
— Décidément, j'suis abonné à cette maison : hier, à la même heure, j'y ai chargé un client.
On est poulardin ou on ne l'est pas. Sa Majesté Quatre interrogea prompto :
— C' n'serait-il pas été un beau mec aux ch'veux blancs ?
— Exact. Vous l'connaissez ?
— J'commence, jubila Gradube. Et où vous m'avez conduit ce gentelman ?
— Il vous intéresse ?
— Pas sans raison, assura le Mahousse en déballant sa brèmouze de la Poule, tachée de gras et de vin.
Le taximan murmura :
— Je vous situais plutôt dans la charcuterie de gros.
— Biscotte mon côté intello vous aurera échappé, l'ami. Répondez voir à ma question : où qu'vous l'avez drivé, c'gandin ?
— Aéroport d'Orly.
— Soyez plus précis si vous pourriez et je vous ferai sauter vos contrebûches jusqu'à la quille.
L'Albigeois en mouilla son caleçon à longues manches.
— Comme il venait de lâcher un pourliche convenable, j'ai coltiné sa Samsonite au guichet d'Air Portugal.
Son Enflure Impériale en loufa d'aise.
— Bravo, mec, n'heureus'ment que j'ai pas tombé sur un taxoche bougne ou chinago ! C't'un bonheur d'causer av'c toive !
— Je peux même vous fournir une autre précision : le vol de votre type allait à Madère !
Quelques heures plus tard, nous nous envolons pour Madère, lui et moi. La Pine fait la gueule, mais étant connu du « client », il risquerait de nous « brûler ».
Au moment où la nature européenne désarme, c'est grisant de retrouver l'été. Il règne à Funchal une douceur suave. Des senteurs de fleurs sauvages et de fruits créent une ivresse légère chez les voyageurs chargés des miasmes propres (si je puis dire) aux grandes capitales emmazoutées.
En débarquant, nous avons pris le minibus du Metropole Palace, au petit bonheur la chambre, nous disant qu'en cette saison de moyenne fréquentation, notre logeance ne poserait aucun problème.
Fectivement, l'on nous propose une suite (au prochain numéro) dont les fenêtres donnent sur la mer.
Nos valdingues à peine posées sur la claie à bagages, je fonce au turbin.
— Et moive ? s'inquiète celui qui sème les vents sans jamais récolter la tempête, sinon dans son calbute.
— Prends un bain en m'attendant, ça te reposera.
Il maugrée.
— Si tu croives qu' j'ai venu laguche pour faire pâtiss'rie, tu t'goures.
J'endigue sa rancœur en lui montrant le minibar.
— Tu trouveras là-dedans de quoi patienter.
C'est un Bébé rose calmé par la vue de son biberon que j'abandonne momentanément.
Retour à la réception.
Je demande si par hasard mon ami Dintzer ne serait pas descendu dans l'établissement.
Rapide survol du registre. Réponse : nenni.
Contre des escudos qui ne sonnent ni ne trébuchent car ils sont en papier, j'obtiens la liste complète des hôtels de l'île.
Location d'une tire de marque allemande, puis tournée des établissements hôteliers.
« Le soleil de la chance se remet à briller », disait la divine Mme Soleil (précisément) à sa clientèle fervente. Comme je pose ma question aux préposés du Madère et Grand Hôtel, un mec rondouillard, à tronche de cocu jovial, me dit qu'effectivement, Kléber Dintzer fut leur client jusqu'au jour où il acquit une propriété dans l'île.
— Où ce que ? Où ce que ? demandé-je avec l'avidité d'un clodo regardant un camion blindé en train d'emporter les fonds d'une banque.
Flairant la good affure, le mec mate sa toquante, me dit qu'il se fera un bonheur de m'y conduire, la villaSanta Lucia étant à cinq minutes de là.
Cette demeure blanche, aux ouvertures cernées de briques vernissées, au toit de tuiles vertes, au jardin foisonnant d'essences tropicales, concrétiserait le rêve de trois milliards d'individus sur notre planète. On la devine fraîche du dedans et odorante du dehors. Doit y avoir une piscaille à l'arrière, entourée de fauteuils moelleux et, probablement, une ou deux ravissantes minettes aux touffes pubiennes aussi exubérantes que le parc. Une Ferrari jaune, décapsulable, met une apothéose sur un parking ombragé d'ifs.
Je repère le coinceteau, puis remporte le cornard supposé sur ses terres.
Now, de quelle manière attraper tout ça ?
Je vais m'entretenir avec mon dauphin qui ressemble plutôt à une baleine.
La suite semble vide ; pourtant, des geignements d'effort en provenance du balcon guident mes pas.
M'y rends.
Avise l'Obèse tout nu, occupé à faire ses abdominaux sous les yeux fascinés d'une dame trop tarte pour ne pas être britannique, laquelle occupe l'appartement contigu au nôtre.
Le Mastard se sachant observé, chique les montreurs de marionnettes avec son battant de cloche. La « mistress » côtoie la crise d'épilepsie. Congestionnée comme une entrecôte de bœuf ! C'est sa première rencontre avec un écarte-moniche pareillement phénoménal.
— Ahô my God, my God ! elle exprime avec des accents marquant la détresse d'une femme qui ne pourra jamais s'engoncer un tel module dans le moule à gaufrettes.
Cynique, le Dodu se met à flatter la bête pour lui faire acquérir sa plénitude.
Puis s'adressant à la convoitante :
— Prochez-vous d'la grille, mémère Milady, j'croive qu'elle a les barreaux suffis'ment écartelés pour qu' j'vous la confiasse en vue d'un turlute mitoyen. Mais surtout gaffez-vous d'vos ratiches britiches, si y a un point où j'déteste les escorchures, c'est bien sur le bec verseur !