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C'est devenu un point brillant dans le ciel. Et ensuite, zob ! Plus que les nuages balourds, chargés de pluie.

Me suis senti soudain en désespérance. Toujours cette vérole d'existence si formidable dans les romans d'action, mais qui finit par te faire affluer les roustons dans la gorge, en guise d'amygdales !

Suis demeuré longtemps au volant de ma tire avant de décarrer. Les instants de réflexion intense, tu ne les choisis pas : ils s'imposent quand ça leur chante.

Je procédais à un survol de toute cette histoire et j'en restais médusé. Tu y trouvais de tout : des meurtres en pagaille, du sadisme, de la drogue en veux-tu-en-voilà, des préparatifs de cataclysme quasi planétaire, le monstre badaboum ! N'en jetez plus, ma culotte est pleine !

J'aurais dû remuer ciel et éther ! Alerter les Services secrets de ce qui se manigançait au Moyen-Orient ! Au lieu de cela, je me sentais flou comme un torche-cul oblitéré, chahuté par le vent. J'avais le dynamisme d'un commissaire de police du Cantal à la veille de sa retraite. Pour m'ébrouer un brin les méninges, fallait que je tire une pécore. Tout passe par la baratte à blancs d'œufs, chez nous autres julots ! Mon choix s'est immédiatement porté sur la fille du jardinier. Elle me bottait drôlement les glandes, cette brunette décolorée. En route.

Ma radio collectionnait des catastrophes : avion qui choit, train enjambant le remblai, révoltes aux Philippines, sectes en folie, enfants violés. Toute la sombre routine ; sans parler des déclarations cinglantes du président Dunœud.

Reusement, un mec a fait quelque chose pour moi. Pile à un feu rouge. M'agonit pour queue-de-poisson intempestive, en me traitant « d'enculé-de-ta-mère ».

Or, tu sais mon attachement à Félicie ?

Je suis descendu de ma guinde, l'ai arraché à la sienne pour lui placer un coup de boule qui a concerné simultanément son nez, sa bouche et son plastron de chemise.

Il a illico pavoisé aux couleurs de l'ancien drapeau soviétoche. Ça l'a rendu tout frileux. Pour lui terminer le moral, je lui ai montré ma carte. Le tout sans un mot. Puis l'ai abandonné contre sa caisse.

Il bloquait la circulation. Le feu est repassé au vert, des gens l'ont traité d'enculé.

* * *

Lorsque j'y suis parvenu, le gourbi du vieux Moktar baignait dans un silence morose de cathédrale en grève. Le père El Djam dormait, assis dans un fauteuil bancroche. Les dernières mouches de l'année déféquaient en braille à la une de l'Algérois libéré. Je m'assis, silencieusement, face à lui, pour le regarder roupiller. L'inconscience du sommeil n'altérait pas son expression quiète.

Un temps relativement long s'écoula avant qu'il n'ouvrît les yeux. Il démêla songe et réalité, puis se leva.

— Pardon, fit-il, je ne vous avais pas entendu entrer ; cela vient des remèdes « qu'ils » m'ont donnés, je ne fais que dormir…

— Je vois que vous êtes seul ?

— Ma femme fait des ménages et ma fille est allée chercher le petit à l'école.

— Pas de nouvelles de votre agresseur ?

— Aucune.

— Vous n'avez pas peur ?

Il eut un sourire d'automate détraqué.

— Ce qui doit arriver arrive.

— Fatalisme arabe ?

— Sans doute. Et vous, votre enquête ?

— Elle trottine. C'est une très grosse affaire, sans doute l'aurez-vous compris ?

— J'en ai l'impression, en effet.

Après cet échange, nous demeurâmes un moment sans parler, ni même nous regarder. Une gêne s'appesantissait dans la pièce.

Je finis par proférer :

— Ce qui gâche tout, cher El Djam, c'est que vous êtes très sympa, trop spontanément attachant…

Ses sourcils en fascines de champ de courses se soulevèrent un brin.

— Je ne comprends pas.

— Je vous explique. Si vous étiez moins sympathique, je nourrirais probablement des soupçons à votre encontre, mais cette immense gentillesse qui se lit sur votre visage me détourne de la tentation. Etrange, n'est-ce pas ?

Il ne réalisait pas encore très bien mais mon discours le troublait. Il restait là, indécis, à me sonder, ne tirant de son examen qu'une sourde inquiétude.

— Vous pensez que j'ai fait quelque chose de mal ? demanda-t-il.

— De mal, je n'en sais rien, mais quelque chose, oui. Peut-être sans vous en rendre compte. Voyez-vous, Moktar, un type a pris la décision de venir dans cette propriété pour vous assassiner. C'est un geste important. Qui engage un individu, fût-il une canaille. Si votre agresseur a pris un tel risque, c'est que le jeu en valait la chandelle. Je me demande pourquoi et surtout pour qui le paisible Moktar que vous êtes représente un danger ? Vous me suivez ?

Il hocha la tête en manière d'acquiescement.

— Vous voyez, ami : « là est la question, la grande question » !

Dans le parc environnant se firent entendre de curieux cris dont je ne parvins pas à déterminer si c'étaient ceux d'un mammifère ou d'un oiseau. Dès que tu sors un peu des villes, la nature se met à parler son langage. Et il est tellement plus éloquent que celui des hommes.

Profitant de cet instant de paix profonde, je lâchai tout à trac :

— Cher Moktar, parlez-moi de Jérôme Bauhame.

Il ne sursailla pas ni ne tressautit. Son regard toujours penché sur le sol s'emplissit d'interloquence.

— Qui est-ce ? demanda-t-il.

Là, il commençait à me gonfler le testicule gauche (celui qui me paraît le moins volumineux).

Je lui désignis l'endroit où il serrait ses papiers d'identité.

— Mon métier consiste à interroger les gens et les choses, repris-je sans emphase superflue. En examinant votre tiroir à malice, j'ai déniché l'adresse de ce pékin.

Joignant le zeste à la parabole, j'allai quérir sa pochette en plastique et y pris le bout de faf mentionnant les coordonnées du garaco-trafiquant. Le lui présentai.

Il considéra le papelard, inventoriant sa mémoire pour y pêcher une réponse.

— Je me souviens, dit-il enfin.

— Je m'en réjouis.

— Ce nom m'a été remis par Monsieur, voici plusieurs mois.

— Par Titan Ma Gloire ?

— Naturellement. Il partait brusquement en cure à Vichy pour sa pétainisation chronique. Il attendait un paquet qu'on allait lui apporter d'urgence de la part de ce Jérôme Bauhame. Comme il ne parvenait pas à le joindre, il me demandait instamment d'en prendre livraison chez moi.

— Ensuite ?

— Le colis a été apporté par une femme à moto.

— A quoi ressemblait-elle ?

— Avec une combinaison de cuir et un casque, vous savez… Elle faisait dessin de science-fiction.

— Et puis ?

— J'ai apporté le carton à la maison. C'était un paquet comme on en vend dans les bureaux de poste, de taille moyenne.

— Quelqu'un est venu le récupérer ?

— Non. Je l'ai remis à Monsieur quand il est rentré, une quinzaine de jours plus tard.

Un nouveau silence. Je me dis que l'écrivain de la troisième main était bien léger de confier à son jardinier les coordonnées du type qui l'approvisionnait en came. Un authentique romancier, j'entends par là un qui rédige lui-même ses bouquins, se serait montré plus prudent.

— Depuis cette affaire, vous n'avez jamais été confronté à d'autres histoires de paquets ?

— Au grand jamais !

Je batifole un brin de la pensarde.

— Cela n'explique toujours pas pourquoi l'on a tenté de vous assassiner.

El Djam est tout contrit par ma remarque. Il aimerait tellement me proposer une version rationnelle.

— La raison de cet attentat existe, reprends-je ; il faut absolument que nous la découvrions. Vous savez quelque chose, Moktar ; vous savez quelque chose ! Votre vie sera menacée jusqu'à ce que nous ayons la clé de l'énigme !

Sur ces fortes paroles, la merveilleuse Schéhérazade apparut, flanquée du chiare que lui avait fait son Europecentralien. En la voyant, j'eus spontanément un tricotin à enfiler un berger allemand femelle, pour peu qu'il soit muselé !

Je prétextis avoir besoin de lui faire signer des fafs à la Grande Chaumière, concernant son époux, et l'emmenas directo en l'hôtel Bonifacio où mon pénis et sa luette eurent un entretien d'un intérêt brûlant.

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