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Salami se tenait assis, bien droit, à mon côté, sur le siège passager. De temps à autre, il tournait le museau dans ma direction ; je surpris son regard de reproche.

— Qu'y a-t-il ? finis-je par lui demander. Ai-je commis une infraction ?

— Je trouve que tu pilotes sans plaisir, alors que conduire te met habituellement dans un état euphorique.

Cette déclaration (muette, mais on se comprend) me troubla par sa perspicacité.

— Je crois que j'ai besoin de changer de voiture, avoué-je. Ma Jaguar est une réussite de l'art automobile, pourtant sa dignité finit par me peser. Trop compassée, pour un flic de mon espèce.

— Tu la changerais contre quoi ?

— Une petite bombe quelconque… Un de ces jouets qui te collent au dossier sitôt que tu champignonnes.

Il émet une espèce de ricanement sarcastique :

— Vous êtes affligeants, les hommes, avec vos pauvres convoitises matérielles. D'avoir une autre bagnole modifierait ta vie ?

Pris de court, je ronchonne :

— Tu ne peux pas comprendre…

Salami bâille et se met à haleter doucement ; un filet de bave commence à dégouliner de ses babines.

— Ne salis pas mes coussins ! le rabroué-je.

Il ricane :

— L'autre nuit tu as emplâtré une fille et la banquette ressemblait à la coupelle d'un porte-cierge !

J'éclate de rire.

Le hound se marre à son tour.

Et nous arrivons aux Champs-Zés. La rue Cassela-Netiennes est située dans la toile d'araignée formée par les avenues entourant l'Arc. Brève et en marge du flot, elle est nantie de plantureux immeubles de style Haussmann River. Les pégreleux qui crèchent là tiennent à ce qu'on leur foute la paix et on la leur fout.

La porte du studio est située en face de l'appartement grand standinge sommant l'immeuble. Elle est basse mais laquée vert anglais, comme son opulente compagne d'étage.

Je dégaine mon sésame pour faire un doigt de cour aux trois redoutables serrures qui la défendent.

Ma surprise est réelle lorsque cet huis fortifié m'échappe brusquement. La raison en est qu'on vient de l'ouvrir de l'intérieur.

Je me retrouve à genoux devant une dame longiligne, à la chevelure couleur de lin. Plutôt belle because sa silhouette mannequine, mais moins sympa qu'une clé de boîte à sardines venant de se briser en début d'enroulage.

Le regard est noir, les sourcils peints façon porcelaine chinoise, le bustier kif un airbag crevé. Cela dit, elle me demanderait de me sucer, j'étudierais son devis avant de me prononcer.

— Qu'est-ce que vous faites là ! s'exclame-t-elle avec autant de gentillesse qu'une pétasse venant d'effectuer par erreur ses ablutions intimes à l'acide chlorhydrique.

Et que veux-tu que je lui réponde ?

Police ?

Oui, dans le fond.

Alors je déclare :

— Police ! en me désagenouillant.

Preuve à l'appui.

Elle visionne, acquiesce.

Bibi la refoule gentiment à l'intérieur, relourde de ce coup de talon qui m'est devenu si familier.

L'endroit est charmant ; je m'en ferais volontiers un nid d'amour pour mes tirages de luxe : murs tapissés de velours bleu roi, lit fanfreluche dans une alcôve, rares meubles de style anglouille, les coussins du canapé sont rouge vif, une série de gravures consacrées aux uniformes d'Empire (on n'en sort pas) court sur la cloison. Dans le privé, c'est un raffiné, décidément, Yvan Dressompert. Je l'imagine comme une sorte de caniche blanc dont le collier s'ornerait d'un mignon grelot. On est loin de l'austérité bricbrocarde de son bureau de journaleux.

— Puis-je savoir qui vous êtes et ce que vous faites ici ? m'enquiers-je.

— Je suis la cousine germaine d'Yvan. Son père et ma mère étaient frère et sœur.

— Votre nom ?

— Gudule de la Bruyne.

— C'est un nom flamand ?

— Mon père est d'Anvers.

— Vous habitez Paris ?

— Non, Bruxelles, mais j'ai une clé de son appartement et, lorsque mes occupations m'amènent ici, je descends chez lui.

— Vous dormez ensemble ?

Elle a un sourire aigrelet.

— Rassurez-vous, nous ne pratiquons pas l'inceste. Il y a un lit de camp dans la penderie jouxtant la kitchenette.

— Madame, riposté-je, il ne m'appartient pas de censurer les mœurs de mes contemporains.

Tout en déclarant, je vais délourder la penderie qui, effectivement, renferme un pucier roulable.

— A présent, s'impatiente la cousine belge, pouvez-vous m'expliquer pour quelle raison la police s'intéresse à Yvan ?

— Parce qu'il a disparu, chère madame.

Ça la barbouine du larynx.

— Co… comment ?

— Depuis une huitaine nul ne l'a vu et il n'a donné aucun signe de vie. Vous-même, auriez-vous de ses nouvelles d'une façon ou d'une autre ?

— Non, mais il s'agit d'un garçon du genre solitaire ; nous restons facilement plusieurs mois sans communiquer.

— Vous connaissez ses liaisons ou relations ?

— Aucune idée ; je vous répète qu'il ne se livre pas aisément.

— L'on m'a dit que son épouse ne sait rien non plus.

Elle désinvolte de la dextre.

— Pas surprenant, ils se voient tous les trente-six du mois. Ces deux-là, s'ils n'ont pas encore divorcé, c'est probablement à cause des enfants.

Depuis un instant, Salami cherche à capter mon attention en me grattant le jarret droit.

Je me penche, lui propose une œillade interrogeuse.

Lors, il s'écarte de moi pour se rendre à la patère flanquant l'entrée.

Que signifie ce manège insolite ?

— Ah ! oui, pigé ! Au temps pour moi, Rase-mottes !

Un imperméable de femme, noir et brillant, est accroché là.

Sans nul doute, celui de la femme qui cherchait je ne sais quoi en compagnie d'un homme, devant la maison de mon petit pote infirme.

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