À peu près à l’instant où Lise fut entraînée hors de la cellule, le baron Hubert d’Anguerrand disparut de l’angle où La Veuve le voyait.
Par une marche oblique, La Veuve se frayait un passage à travers la foule. Elle haletait:
– Laissez-moi donc passer, voyons. C’est bien le moins que je le voie guillotiner, puisque c’est moi qui l’ai dénoncé. Ah! ça vous étonne? J’ai tué la fille et j’ai tué le père; maintenant je veux voir mourir le fils…
Dans un dernier effort, elle parvint au premier rang des spectateurs. Alors, elle jeta un long regard sur la guillotine, dont le bourreau, à ce moment, essayait le bon fonctionnement, car elle éclata de rire et râla:
– Ça marchera, hein?… Ça tombe tout seul… bravo!…Ah!… le voici! Dieu, qu’il est pâle!… Il va tomber… Non! je ne veux pas m’en aller! je veux voir!… Tiens c’est toi, Suzette?… D’où viens-tu, ma fille?… Tiens, place-toi là, près de moi… donne-moi la main…
Aussitôt, il y eut une lutte entre La Veuve et sa fille.
Sa fille était toute petite. Elle était telle qu’elle l’avait vue pour la dernière fois, là-bas, sur la route des Ponts-de-Cé. Elle portait sa petite jupe de lainage noir et était enveloppée du grand fichu de laine.
Et, toute petite qu’elle était, elle entraînait sa mère, malgré sa résistance furieuse. La Veuve grondait, menaçait, se débattait… mais sa fille était la plus forte.
Et tout à coup, elle se retrouva toute seule dans une cellule de prison. Les yeux de La Veuve s’emplirent d’épouvante, elle se jeta d’un bond au milieu de la pièce et prêta l’oreille:
– Ils viennent!… Ils vont me prendre!… Je ne veux pas!… Laissez-moi vivre!…
Elle se traîna à genoux dans un angle; elle claquait des dents, elle grelottait, des gémissements fusaient de ses lèvres livides… et la porte de la cellule où elle se trouvait s’ouvrit doucement… Plusieurs hommes entrèrent; l’un d’eux, vêtu de noir, s’approcha d’elle et la toucha à l’épaule, en lui disant d’une voix infiniment triste:
– Courage, La Veuve! votre pourvoi en grâce est rejeté…
– Oh! bégaya La Veuve dans un effort désespéré, aurez-vous donc le courage de me tuer?… Et vous êtes des hommes! Vous n’avez donc pas de cœur, misérables! Vous êtes là à dix ou vingt pour me tuer! Oh! les lâches!… Vous aurez beau dire et beau faire!… Vous avez beau jurer que ce n’est pas vous qui me tuez… que c’est la loi… vous êtes des assassins!… Assassins, sans courage, car vous ne risquez rien! Lâches!… Laissez-moi! Je vous dis que je ne veux pas! À moi!…
Quatre hommes rudement l’empoignaient, la mettaient debout, l’entraînaient… Elle écumait, elle se débattait avec une violence effrayante… et tout à coup, elle se trouva dans la chambre de toilette; elle entendit crier les ciseaux; elle vit tomber ses cheveux autour d’elle, et les aides du bourreau commencèrent à la ligoter…
– Plus de cheveux! râla-t-elle en portant les deux mains à sa tête. Oh! mais c’est donc vrai! ils vont me tuer! Oh! les lâches!… Mon bon monsieur, grâce, ayez pitié d’une pauvre vieille! Qu’est-ce que ça peut vous faire que je vive!… Oh! vous me faites mal! ces cordes! Oh! l’abominable lâche! Le hideux assassin qui tue sans danger, pour un peu d’argent!… Tiens! lâche!
Elle cracha au visage du bourreau. Mais le bourreau s’essuya paisiblement et fit un signe.
Alors d’effroyables hurlements éclatèrent. La Veuve se mit à bondir, les yeux fulgurants, la bouche contractée par un rictus de mort, les griffes en arrêt, échevelée, hagarde, une mousse de sang au coin des lèvres.
Et, sur un signe de l’exécuteur des hautes œuvres, plusieurs hommes firent irruption dans la cellule.
(Irruption réelle dans la vision: ces hommes, c’étaient les gardiens appelés par le médecin, au moment où celui-ci vit que la malheureuse folle allait se briser la tête contre les murs. Les gardiens entourèrent la folle, parvinrent à lui passer la camisole de force et à l’entraîner vers la cellule des furieux. Voici comment, ces faits de la réalité se traduisirent dans la vision de La Veuve.)
Au geste du bourreau, les aides entrèrent en courant et s’emparèrent d’elle. Une terreur comme on n’en éprouve jamais dans la vie fondit sur La Veuve. Elle sentait cette terreur dans son être entier. Il lui semblait que son sang dans ses veines charriait l’épouvante. Sur ses lèvres blanches et rouges de mousse, il n’y avait plus qu’un long hurlement de bête égorgée. En peu d’instants, elle vit s’ouvrir la porte, et la guillotine lui apparut.
– La Veuve!… La Veuve!… La Veuve!…
Ce fut trois fois un cri bref et rauque; puis, une clameur stridente; elle s’arc-bouta, chercha à mordre, chercha à se défendre des ongles; mais les aides la maintenaient solidement, et tout à coup, elle fut couchée sur la bascule.
(Les gardiens de l’hospice venaient de la coucher sur un matelas.)
D’un effort plus violent que celui des forces humaines, La Veuve, à ce moment, put redresser la tête.
Et, au-dessus d’elle, elle vit luire le couteau… Elle voulut hurler encore elle ne savait quoi, une clameur d’insulte ou de miséricorde, mais sa langue s’embarrassa et elle entrevit le bras du bourreau se lever vers le bouton du déclic… Et l’énorme couperet se mit en route le long des bras rouges de la guillotine…
Il descendit, lentement d’abord, puis plus vite, puis, entraîné par son poids, avec une prodigieuse vitesse, et La Veuve le voyait descendre sur elle!…
Brusquement, la hideuse lame atteignit la nuque, pénétra dans les chairs, la tête roula… La Veuve demeura inerte.
* * * * *
Le médecin s’approcha d’elle et vit qu’elle était morte.
La Veuve était morte à l’instant précis où, dans sa vision, le couperet de la guillotine avait atteint sa nuque…
La Veuve était morte guillotinée!…