XVIII












Il est très difficile de reconstituer avec certitude l’affaire Karsten. Cet épisode est resté jusqu’au bout une sorte de point aveugle dans les relations entre Edgar et Ludmilla.

J’ai cependant eu la chance de pouvoir recueillir quelques indices à ce propos de la part de Ludmilla elle-même à la fin de sa vie. C’était une fin d’après-midi d’automne dans leur maison du Berry. Nous étions allés nous promener au bord d’un canal et la vieille femme qu’était devenue Ludmilla avançait avec peine sur le chemin de halage. Quand le nom de Langerbein est venu dans notre conversation (c’est moi qui l’ai prononcé le premier), son bras, qu’elle tenait appuyé au mien, tremblait. Elle m’a demandé à s’asseoir. Nous avons trouvé un banc près d’une écluse. Si elle a gardé longtemps le silence, ce n’était pas seulement pour reprendre son souffle. Elle était envahie par l’émotion et je sentais que derrière ses paupières presque closes défilaient des images qui la bouleversaient.

J’avais déjà conçu à cette époque le projet d’écrire cette histoire. Incidemment, en consultant divers témoignages rapportés au cours d’un des divorces, j’étais tombé sur le nom de ce Langerbein. Son rôle n’était pas clair. Il était décrit avec beaucoup de respect par la directrice de la Chapelle royale Reine-Élisabeth. Elle avait été produite comme témoin par Ludmilla, peut-être pour montrer la nature exclusivement professionnelle des relations qu’elle avait entretenues avec l’Italien. Au moment de notre promenade le long du canal, le temps avait passé et elle en était arrivée au point où les mensonges n’ont plus d’utilité. La vie avait coupé les griffes de ses fantômes. Il n’y avait plus de raison d’être injuste avec eux.

— Je n’ai jamais connu personne qui ait exercé un tel empire sur moi, dit-elle enfin d’une voix étrange, presque somnambulique, et je me demandais même si elle était consciente de ma présence.

Le temps était beau. C’était le printemps du Berry, avec ses hirondelles et le mariage très doux, dans les tons pastel, du ciel et des bourgeons de marronniers. Tout était silencieux autour de nous. Elle pouvait laisser libre cours à ses songes.

— Au retour de la Chapelle royale, je n’ai pas pu rester sans le voir. Il était à Milan. J’ai pris le train de nuit.

Elle me regarda et parut un peu surprise de ma présence. J’aurais aimé qu’elle continue à évoquer librement ses souvenirs. Mais, désormais, elle s’adressait à moi et sans doute contrôlait-elle davantage ses propos.

— Vous connaissez Milan ? me dit-elle. Le centre de la ville est plein d’anciens cloîtres lombards en briques que l’on ne voit pas de la rue et qui pour la plupart servent d’habitation. Karsten vivait dans l’un d’entre eux, même si ses fonctions le retenaient à Prague et le faisaient voyager dans toute l’Europe. Sa base véritable, son domicile privé, c’était Milan, via Capuccio.

— C’est là que vous l’avez retrouvé ?

Je ne voulais pas parler mais l’élan de ses confidences retombait. J’avais peur qu’elle n’en dît pas plus.

— Oui.

La force des émotions l’avait de nouveau saisie. Elle se tut. Puis une brise fraîche la fit frissonner. Elle rajusta son châle et rouvrit les yeux.

— C’était un appartement extraordinaire. Le dernier étage du cloître. Des murs blancs dans les couloirs, au sol des tomettes vernies, des coffres lourds le long des corridors. Et chez lui, rien de plus : un dépouillement complet, une page blanche, un décor de théâtre, une scène d’opéra. Il y a dans le monde, vous le savez bien, des lieux, des objets qui n’ont d’autre forme que celle qu’on leur donnera. Ce sont des limbes, des magmas primitifs qui attendent le souffle de l’esprit pour s’animer. La pierre brute… Vous connaissez cette phrase de Michel-Ange : « Toutes les statues sont dans le marbre, il suffit de les en faire sortir. »

Elle avait repris son ton de conversation mondaine, celui des heures de gloire, des interviews, de la télévision.

— Comment vous a-t-il accueillie ? demandai-je.

J’avais un seul but : Langerbein, et je ne voulais pas lâcher cette proie, revenir à des généralités. Elle retomba dans le silence.

— Mal.

Elle rajusta son col, le serra dans sa main déformée de rhumatismes et se leva.

— Rentrons, le vent est glacé.

Je n’en sus pas plus ce jour-là. Mais le coffre était ouvert, qui enfermait Karsten dans sa mémoire. Nous pûmes en parler d’autres fois. Je préparai mieux mes questions, complétai peu à peu les scènes, reconstituai une chronologie presque complète. Voici ce que j’ai rapporté de ces laborieuses campagnes de pêche. J’ai dû remplir certains blancs parce que Ludmilla ne m’a évidemment pas tout dit et qu’elle est restée réfractaire jusqu’au bout à l’expression de ses émotions.

Quand Ludmilla a rejoint Karsten à Milan, il semble qu’il l’ait en effet accueillie assez froidement. Elle s’était précipitée, en proie à une sorte de manque comme en connaissent les toxicomanes. Mais arrivée devant lui, elle avait perdu ses moyens ou, plutôt, elle avait été incapable d’imposer son désir. Elle se conforma à ce qu’il exigeait d’elle. Ce n’était pas ce qu’elle souhaitait mais peut-être était-ce aussi ce qu’elle cherchait…

Le jour même, il l’emmena à la Scala. Il avait passé quelques coups de téléphone. Quand ils pénétrèrent dans le théâtre au début de l’après-midi, il était désert. Quatre personnes, cependant, dont le directeur lui-même, étaient assises aux premiers rangs, face à la scène. Ludmilla comprit que Langerbein avait organisé une audition pour elle. Il lui fit chanter l’Ave Maria d’Otello et un air de Rigoletto. Il était persuadé, lui aussi, que Ludmilla était faite pour exprimer la violence des sentiments et que les opéras de Verdi convenaient à son talent. Elle n’était pas venue pour cela. Elle en voulait à Karsten de l’avoir conduite dans ce piège. Elle était mal coiffée, fatiguée par la nuit de train, essoufflée par la marche jusqu’à l’Opéra. Une rage montait en elle qu’en d’autres temps elle aurait tenté de dominer. Depuis les séances de la Chapelle royale, elle savait qu’elle pouvait s’y livrer et que sans doute Langerbein avait accumulé ces petites agressions à dessein, pour faire sortir d’elle une violence, une force qui nourrirait son art.

Il était assis à côté du directeur et la regardait. Elle s’avança sur la scène comme si elle le cherchait pour le gifler. Et quand elle entama le premier morceau, ce fut toute la violence d’un amour blessé, contrarié, suppliant et vengeur, qu’elle mit dans la voix de Desdémone.

Le directeur de la Scala l’avait déjà entendue dans des rôles secondaires. Il ne la reconnut pas. Les airs suivants furent chantés avec la même intensité extraordinaire. Elle termina saisie par un vertige, titubante, épuisée au point qu’elle ne rejoignit pas les coulisses mais s’assit sur la rampe, les jambes pendantes dans la fosse, appuyée sur un bras et tenant de l’autre sa tête douloureuse.

Les professionnels discutaient entre eux avec animation, faisaient assaut de compliments, formaient des projets pour elle. Le soir même, elle reçut son contrat pour le rôle de Gilda dès la saison suivante dans une représentation de Rigoletto, montée à la Scala.

Karsten, un peu plus tard, la ramena chez lui. C’est ce jour-là, d’après ce que j’ai compris, qu’ils firent l’amour pour la première fois.





*

Edgar n’avait jamais parlé en public. Il redoutait un peu la conférence de presse qu’il avait cependant organisée lui-même et au cours de laquelle il devait annoncer le rachat de l’entreprise de BTP. Il avait donné un nom au nouvel ensemble qui en naîtrait : le groupe LIVE. L’acronyme venait des initiales de la famille : Ludmilla, Ingrid, Edgar. Quant au V, c’était un hommage un peu saugrenu à Verdi mais surtout l’ensemble lui plaisait.

Les journalistes ne se bousculaient pas au siège de LIVE, qui se tenait dans les bureaux de la société de BTP rachetée. Une attachée de presse, engagée à la pige pour l’occasion, avait prévu beaucoup trop de chaises. Il y avait en tout et pour tout quatre échotiers, envoyés pour la plupart par des journaux professionnels. Le coup de théâtre fut l’entrée, juste avant l’exposé d’Edgar, d’une équipe de télévision. Le cameraman s’installa ainsi que le preneur de son, pendant que le journaliste expliquait à l’attachée de presse la raison de leur présence. Ils n’étaient pas vraiment intéressés par le sujet en lui-même et ignoraient tout de LIVE. Le thème de leur reportage était plus général : les nouveaux bâtisseurs, dans le cadre d’une série pour le journal de la deuxième chaîne intitulée « Ceux qui préparent la France de demain ».

Edgar attendit qu’ils soient prêts et commença. Il se passa alors quelque chose d’inattendu. Son appréhension, une forme de timidité peut-être, en tout cas son manque d’expérience, ces handicaps, au lieu de le paralyser, lui inspirèrent un véritable numéro de bateleur. Retrouvant la gouaille de sa banlieue natale, il se mit à décrire la naissance du nouvel ensemble, pourtant bien modeste, comme une sorte d’événement mondial. Il n’hésita pas à comparer cette création à la conquête spatiale, sujet qui, en cette période de débarquement des hommes sur la Lune, représentait l’idéal même du progrès. Il énuméra tout ce qu’il avait en tête pour le groupe LIVE. Ce serait l’outil d’une nouvelle génération de constructeurs. Tous les projets classiques comme les stades, les aéroports, les quartiers d’affaires allaient prendre dans les années suivantes une dimension inédite. Ces géants à venir – il les décrivit avec aplomb, mêlant de vagues lectures de science-fiction avec le contenu de brochures professionnelles qu’il avait feuilletées –, ces monstres d’une taille et d’une complexité inconnues jusque-là ne pourraient naître que d’entreprises telles que LIVE. Le terme de BTP ne s’appliquait pas à de tels ensembles. C’était plutôt des bureaux d’études, des centres de recherche, des opérateurs de données informatiques.

Les journalistes spécialisés étaient interloqués. Ils connaissaient bien l’entreprise qu’Edgar venait de racheter et savait qu’elle était somme toute très modeste. Quant à son réseau d’hôtels, ils n’en ignoraient pas l’usage et en avaient peut-être même utilisé les services.

Le numéro d’Edgar leur parut de la plus haute fantaisie. Ils posèrent leurs crayons et écoutèrent son boniment en ricanant. À la télévision, au contraire, il fit merveille. Le journaliste ajouta quelques questions et insista pour filmer Edgar en plan rapproché, répondant en tête à tête à une interview. Il partit enchanté du résultat.

Le sujet passa le surlendemain. Edgar était seul à la maison avec Ingrid. Il aimait beaucoup s’occuper d’elle quand il le pouvait. Il donnait congé à la gouvernante et se mettait à cuisiner. La gamine avait trois ans. Elle jouait à la petite femme, nouait un tablier autour de sa taille, aidait son père à composer des plats et à dresser la table. Ce fut elle qui vit apparaître son visage sur l’écran de la télévision. Elle cria : « Papa, papa ! » Il arriva en s’essuyant les mains.

Le reportage était très long et Edgar le cannibalisait complètement. On ne voyait que lui. Il était si bon qu’au montage il servait de fil conducteur au propos général. Les autres personnes interviewées, même les patrons de grandes entreprises bien plus compétents sur ces sujets, s’exprimaient mal, avaient l’air dépassées, tristes. Lui en faisait trop mais il était sympathique, drôle, provocateur, visionnaire. En somme, il semblait incarner à lui seul cet avenir dont il se faisait le prophète.

Ingrid était sidérée. Aujourd’hui encore, quand nous en parlons, elle me dit à quel point ce souvenir a revêtu une importance décisive pour elle. Elle qui admirait déjà son père conçut pour lui une véritable vénération. Passer à la télévision était à l’époque plus rare et conférait à ceux qui avaient cet honneur une sorte de dignité particulière. Pour une enfant, le petit écran était carrément un autre monde. Voir son père y prendre place, c’était confirmer qu’il était bel et bien d’une essence différente, qu’il était en quelque sorte un demi-dieu. L’autre fait qu’elle nota, c’était que sa mère n’était pas là pour assister à cette apothéose. Si elle avait connu la raison de cette absence, sa haine aurait été totale. Officiellement, Ludmilla était en voyage pour une répétition.

Mais, pour l’enfant admirative, aucune occupation humaine, si légitime fût-elle, ne pouvait excuser d’avoir déserté la maison en un tel moment. Son ressentiment à l’égard de sa mère augmenta d’autant. Quand elle rentra le surlendemain, Ludmilla trouva Edgar au téléphone et entouré de télégrammes décachetés à la hâte. Le jour qui avait suivi l’émission, le bureau de LIVE avait été pris d’assaut par d’autres journalistes. Des clients en grand nombre se manifestaient, pour proposer des contrats. Edgar augmenta son crédit en refusant superbement la plupart de ces offres et en le faisant savoir. Il avait décidé, en concertation avec son banquier, de n’en choisir qu’une mais d’une grande visibilité et pour une échéance assez éloignée qui lui laisserait le temps de s’organiser. C’est ainsi qu’il décida d’honorer la proposition de construire un grand stade de football à la place de celui qui avait servi pendant des lustres à l’orée du bois de Boulogne.

Toute cette agitation l’empêcha de consacrer beaucoup de temps à Ludmilla. Il prit tout de même la peine de lui raconter la conférence de presse, l’émission et ses suites. Il l’emmena déjeuner sur les quais. Des gens le reconnaissaient dans la rue – il n’y avait à cette époque que trois chaînes de télévision. Il souriait, lançait des répliques joyeuses à ceux qui l’interpellaient. Il était si préoccupé de lui-même et de ses affaires qu’il pensa à peine à demander de ses nouvelles à Ludmilla. Elle lui annonça qu’elle allait bientôt jouer Gilda, le rôle féminin principal dans Rigoletto, à la Scala. Il la félicita, posa un petit baiser sur sa bouche par-dessus la table puis reprit son bavardage.

Après le déjeuner, il s’engouffra dans un taxi et elle décida de rentrer à pied.

Tout se conjuguait pour nourrir sa tristesse. Elle souffrait de s’être donnée à Karsten mais aussi d’être loin de lui. Elle aurait voulu qu’Edgar soit tendre, l’accueille, torde ses sentiments dans l’autre sens, pour la faire revenir à lui. Au lieu de quoi, il s’était conduit comme un enfant égoïste, préoccupé de sa réussite, à laquelle elle prenait si peu de part. Ingrid l’avait croisée en partant en promenade avec sa gouvernante. Elle l’avait à peine embrassée. Le temps lui-même s’en mêlait, arrosant le sol de giboulées froides ; quand revenait le soleil, les rues déjà parées des couleurs du printemps avaient l’air d’être en larmes sous leur fard.

Un ouvrier, sur un échafaudage, la siffla. Elle lui jeta un regard si chargé de haine qu’il baissa les yeux.

Elle n’avait qu’une hâte, qu’un espoir : qu’arrive vite le jour de Rigoletto. Car Langerbein avait mis en branle en elle une étrange mécanique, une machine à concentrer le désespoir et la colère, la haine et l’amour tout ensemble, le désir frustré et le remords cuisant, pour en faire le carburant d’une passion qui ne pouvait s’exprimer que sur une scène.

Le soir de la première, Edgar l’avait tout de même rejointe à Milan. Il était placé dans une loge chargée de velours et d’ors près de la rampe. Ludmilla l’avait à peine vu les derniers jours tant il était occupé par ses affaires. Le résultat le plus tangible de sa réussite était qu’il avait acheté un nouvel appartement. Ils devaient déménager la semaine suivante. C’était un immense espace de neuf pièces, luxueux, près du Ranelagh et du bois de Boulogne. Ludmilla l’avait laissé le choisir, avec Ingrid.

L’orchestre était en place. La salle s’obscurcit. Le rideau se leva sur un décor particulièrement réussi. Edgar souriait en se souvenant d’Aïda et de ses acrobaties dans les cintres. Depuis, il avait souvent vu chanter Ludmilla mais c’était toujours avec une sorte de souffrance. Chacune de ses apparitions confirmait ce qu’ils savaient l’un et l’autre : sa carrière piétinait. Il était anxieux de savoir comment elle s’en sortirait dans ce grand rôle. Il était probable qu’une telle opportunité ne se reproduirait jamais. Il fallait qu’elle réussisse. Il en oubliait, pour la première fois depuis tant de jours, ses soucis et ses propres projets. Il était impatient de la voir paraître. Enfin, elle entra. Il se pencha, plissa les yeux. Il ne la reconnaissait pas : une démarche nouvelle, brusque, hautaine, violente. Puis, face au public, une posture de défi et presque de haine. Sa voix, quand elle jaillit, n’avait plus rien du phrasé élégant qu’il lui avait tant entendu travailler. C’était un cri de gorge, miraculeusement juste, quoiqu’il fût chargé des limons d’une colère torrentielle. Elle était en rage, en furie. Quand le livret exigeait de la douceur, c’était encore avec violence qu’elle l’exprimait – une violence dirigée contre elle-même et qui protégeait les auditeurs contre les fleuves d’émotion qui semblaient l’emporter.

Le public était sous le charme. Les autres chanteurs, mis au défi par l’énergie de Ludmilla, donnaient le meilleur d’eux-mêmes. Ils résistaient comme des marins dans la tempête et tentaient de puiser en eux une violence à l’égal de celle que Ludmilla leur lançait à la tête.

Quand le premier acte se termina, il y eut un long instant de sidération. Puis un tonnerre gronda dans la salle. La Scala n’avait pas connu un tel triomphe depuis longtemps.

Edgar se détendit, ferma les yeux. Un parfait bonheur l’envahit. Le succès de Ludmilla, sa réussite à lui, leur jeunesse encore, leur amour venu de si loin, tout se mêlait pour concourir à une félicité qu’il ne pensait pas possible d’atteindre un jour.

Il rouvrit les yeux. La salle se vidait doucement vers le foyer pour y profiter de l’entracte.

C’est alors que son regard se posa sur un personnage assis au premier rang de fauteuils d’orchestre. Tout le monde s’était levé mais lui restait au fond de son fauteuil, les mains croisées sous le menton, sans cesser de regarder la scène vide. Edgar avait remarqué que, pendant qu’elle chantait, Ludmilla s’approchait de la rampe, se campait au bord et abaissait les yeux comme si elle fixait un point devant elle dans la salle. Il eut un instant l’idée qu’elle regardait cet homme.

C’était absurde, ridicule. Il chassa cette pensée comme on éloigne un insecte importun. Il se leva à son tour. Sa première idée était d’aller embrasser Ludmilla dans sa loge. Mais il se dit que mieux valait ne pas la déconcentrer. Et, en cherchant de la monnaie dans sa poche, il se fraya un chemin jusqu’au buffet, pour boire une coupe de champagne.

Le public était élégant : hommes en smoking et même en frac, femmes couvertes de bijoux, coiffées comme des reines antiques. En Italie, personne ne connaissait Edgar dont la notoriété en France commençait du reste à diminuer depuis que s’éloignait dans le temps le reportage qui l’avait mis en avant.

Il se coula dans la foule, répondit à des sourires, accrocha quelques regards féminins prometteurs. Il aimait prodigieusement sa femme et, sans qu’il s’en rendît compte, ce sentiment lui faisait désirer toutes les autres.

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