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Que savent-ils des massacres perpétrés en Pologne, les deux commandants de la Luftwaffe qui, à l’aube du mercredi 10 janvier 1940, descendent de la voiture qui les a conduits au bout de la piste de l’aérodrome de Münster, au pied de cet avion dont le moteur tourne maintenant à plein régime, l’hélice brassant la neige qui continue de tomber dru ?

Le plus grand des deux est le commandant Erich Hoenmanns qui doit piloter l’avion de Münster à Bonn, afin de conduire le commandant Helmut Reinberger, officier de liaison auprès de la IIe escadre aérienne stationnée sur les différents aérodromes proches du Rhin. Le général Student, commandant en chef des troupes aéroportées, a chargé Reinberger de préciser à l’état-major de la IIe escadre quelques points importants du plan d’invasion qui comporte des lâchers de parachutistes sur les forts hollandais et belges.

Reinberger serre contre lui une sacoche contenant le « plan opérationnel de l’offensive à l’ouest ». C’est un document de plusieurs pages, comportant de nombreuses cartes et donnant tous les axes de l’attaque et le moment de l’entrée en action des différentes unités. Il dresse la liste des objectifs des divisions blindées, des parachutistes et des attaques aériennes. Le déroulement de l’attaque est précisé, à partir de l’heure H, jusqu’à H + 24, soit vingt-quatre heures après la première action.

Seule la date du jour de déclenchement de l’offensive n’est pas indiquée.

Mais depuis la réunion des généraux et des officiers d’état-major à la Chancellerie, le jeudi 23 novembre 1939, toute l’armée allemande attend l’ordre d’attaquer.

Les attachés militaires auprès des ambassades de Belgique et de Hollande à Berlin ont recueilli des quelques officiers allemands hostiles à Hitler des informations inquiétantes. Les divisions blindées ont été transférées de Pologne au bord du Rhin, comme les escadrilles de la Luftwaffe ou les unités de parachutistes.

Puis Hitler a renoncé à fixer la date de l’offensive.


En ce mercredi 10 janvier 1940, Reinberger et Hoenmanns ont le sentiment que l’heure est proche.

L’un des mécaniciens les aide à monter dans l’avion cependant que l’autre se tient prêt à retirer les cales qui bloquent les roues de l’appareil.

Hoenmanns donne le signal.

L’avion commence à rouler, à s’enfoncer bien vite dans cette nuit dense que rayent les averses de neige et dans laquelle les projecteurs réussissent à peine à éclairer la piste.

Le vent déforme, étouffe le bruit du moteur.

L’avion a été englouti par la nuit d’hiver.


Ce même mercredi 10 janvier 1940, Hitler, dans son immense bureau de la Chancellerie du Reich, aux larges baies vitrées et aux énormes colonnes quadrangulaires, confère avec ses généraux du haut commandement de la Wehrmacht.

Il les interroge, écoute leurs réponses. C’est lui seul qui décidera.

Voilà des semaines qu’il hésite.

Il voulait lancer l’offensive au début décembre. Mais il a dû y renoncer tant les conditions météorologiques étaient mauvaises. Ce blizzard et ces bourrasques de neige rendaient impossibles toutes les opérations aériennes. Il a fallu attendre.

Et subir, n’avoir à opposer que des mots aux cris de triomphe des Anglais. Les croiseurs et destroyers de la Royal Navy ont traqué dans l’Atlantique Sud le cuirassé de poche Graf Spee. Ils l’ont acculé dans le Rio de la Plata et, le 18 décembre, le capitaine Langsdorff qui commande le navire a décidé de le saborder et de se suicider.



Hitler n’a que mépris pour cet officier qui n’a pas combattu jusqu’au bout, qui certes a sauvé son équipage et transbordé à bord d’un ravitailleur allemand, l’Altmark, les prisonniers anglais qui se trouvaient à bord du Graf Spee. L’Altmark, qui a pu échapper au blocus anglais, a rejoint l’Atlantique Nord, mais l’échec ne peut être dissimulé.


Hitler a le sentiment que l’inaction sur le front ouest lui fait perdre les bénéfices de l’écrasement de la Pologne.

Staline, Géorgien retors et tsar impitoyable, est rusé comme un renard, déterminé comme un grand carnassier. Il arrache dans les négociations commerciales avec le Reich avantage sur avantage, et sur le terrain pousse l’Armée rouge vers les pays Baltes, la Finlande. Il met en coupe réglée les territoires polonais qu’il a envahis en application des protocoles secrets joints au traité de non-agression germano-soviétique.

Et cependant, il faut le ménager, célébrer avec lui l’année quarante.

« Meilleurs vœux, télégraphie Hitler, pour votre bonheur personnel ainsi que pour la prospérité future des peuples de l’amicale Union soviétique. »

Et Staline répond :

« L’amitié des peuples d’Allemagne et d’Union soviétique, cimentée par le sang, a toutes raisons d’être durable et solide. »


Qui peut être dupe ?

Mais il faut, aussi longtemps que la France et l’Angleterre restent puissantes et donc menaçantes à l’ouest, donner des gages à ce barbare géorgien, plus tsar qu’un Russe. Alors, on lui vend ce qu’il réclame, du matériel de guerre, des machines pour fabriquer balles et obus, navires de combat. Et en échange, il cède le blé de l’Ukraine, le pétrole du Caucase, les minerais précieux de l’Oural.

Et ce commerce, cette apparente bonne entente indignent certains dignitaires nazis, des officiers de la Wehrmacht, ou ce Mussolini, qui n’a même pas osé entrer en guerre. Mais cet aveu de faiblesse n’empêche pas le Duce de faire la leçon, et même de menacer.

Hitler, furieux, a lu la lettre que Mussolini lui a adressée le 3 janvier :

« Sans un coup de feu, écrit le Duce, la Russie a tiré profit de la guerre en Pologne et dans les régions de la Baltique. Mais moi, un révolutionnaire-né, je vous dis que vous ne pouvez sacrifier en permanence les principes de votre révolution aux exigences tactiques d’une certaine période politique… C’est mon devoir d’ajouter qu’un pas de plus dans vos relations avec Moscou aurait des répercussions catastrophiques en Italie… »

Il faut agir à l’ouest, sous peine de s’enliser, de perdre l’élan qui a balayé la Pologne. Il faut conserver la même force. Et, dans un assaut fulgurant, briser la France et contraindre le Royaume-Uni à la négociation et à la paix. Que l’Angleterre se désintéresse de l’Europe continentale où le Reich doit seul régner.

Hitler, le jour de l’an, s’adresse au peuple allemand.

« Je n’ai pas voulu cette guerre, dit-il. Ce sont les Juifs et les profiteurs de guerre capitalistes qui l’ont déclenchée. Mais nous Allemands, unis à l’intérieur du pays, préparés économiquement et armés militairement au plus haut degré, nous entrons dans l’année la plus décisive de l’histoire de l’Allemagne… Que l’année 1940 apporte la décision. Elle sera, quoi qu’il arrive, notre victoire. »


Ce mercredi 10 janvier 1940, Hitler ordonne que les forces armées soient prêtes pour l’offensive à l’ouest, fixée au 17 janvier, quinze minutes avant le lever du soleil, soit à 8 h 16.

L’aviation doit commencer son attaque le 14 janvier, sa tâche étant de détruire les terrains d’envol ennemis en France, mais ni en Belgique ni en Hollande. Ces deux pays neutres doivent rester dans l’incertitude jusqu’à l’heure H.


Ce mercredi 10 janvier 1940, le commandant Hoenmanns, qui pilote l’avion à bord duquel se trouve le commandant Helmut Reinberger, vole au ras du sol. Hoenmanns cherche à suivre le Rhin, mais le fleuve a disparu et, à l’infini sous le ciel bas et sombre, se déroule seulement une vaste plaine enneigée.

« Le Rhin est gelé », murmure Hoenmanns, au moment où le moteur tousse, s’arrête, repart quelques secondes, puis cesse de nouveau. On n’entend plus que le bruit du vent, de la descente en vol plané vers cette étendue morne et blanche. Au loin, Reinberger distingue les toits d’un village et le clocher d’une église.

« Est-on en Allemagne ? » interroge Reinberger.

Le commandant Hoenmanns ne répond pas.

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