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Chaque jour de ces premiers mois de 1940, de février à avril, d’un hiver implacable à un printemps étincelant et souverain, confirme les intuitions et les analyses du colonel Charles de Gaulle et de sir Winston Churchill, Premier lord de l’Amirauté.

Hitler, comme un fauve qui, les yeux mi-clos, guette sa proie, continue de jouer avec l’esprit de ces millions d’hommes mobilisés, arrachés à leur vie que ronge l’inaction et que désoriente la propagande de Radio Stuttgart. Un journaliste français à la voix nasillarde – un certain Ferdonnet – connaît l’emplacement des unités françaises aussi bien – et mieux – que les officiers dont il cite les noms.

La rumeur se répand qu’une « cinquième colonne » désorganise, paralyse les armées alliées, qu’elle a partout des complices qui se dévoileront au moment de l’offensive, qui viendra sans doute avec le beau temps.

Mais que faire d’ici là ? Et pourquoi faudrait-il que cette guerre ait lieu ?


De Gaulle le dit et le répète.

« L’ennemi attendra, suivant moi, que l’actuelle stagnation énerve et mécontente l’armée et le peuple français. Il attaquera seulement quand cette passivité prolongée et l’effort de sa propre propagande auront entraîné chez nous un fléchissement moral. »

De Gaulle s’inquiète d’autant plus qu’il sait, par Paul Reynaud, que les renseignements confirment la préparation d’une grande offensive allemande dont l’axe principal a été modifié.

Les divisions de Panzers sont concentrées dans le Sud, et les positions qu’elles ont prises, comme celles occupées par les unités d’infanterie, indiquent qu’elles attaqueront entre Sedan et Namur, à la charnière du dispositif français.

Là, il n’y a que l’obstacle des Ardennes.

La ligne Maginot et ses casemates n’ont pas été prolongées jusque-là.


Des informations transmises par les services de renseignements belges sont encore plus précises.

Le général belge Van Overstraeten écrit :

« La principale poussée s’exerce sur les Ardennes en direction de Dinant, Saint-Quentin, dans le dessein de couper de Paris les armées alliées en Belgique et de les encercler dans le Pas-de-Calais. »


Le contre-espionnage français signale qu’il a appris que les services de renseignements de la Wehrmacht étudient les itinéraires de Sedan à Abbeville, à l’embouchure de la Somme.

Les Allemands déterminent les charges que les ponts peuvent supporter, la qualité des routes, l’importance des obstacles fluviaux.


Or la 9e armée française, qui devrait protéger la charnière et faire face à cette poussée puissante, est composée de réservistes âgés, mal pourvue en combattants de première ligne. Elle n’est dotée ni de blindés ni de canons antichars et antiaériens.

Elle a été placée là, derrière Sedan, parce que le généralissime Gamelin estime les Ardennes infranchissables.

Et rien ne le fait changer d’avis.

Il néglige l’information transmise par l’attaché militaire français à Berne qui annonce que l’offensive est prévue dans la période du 8 au 10 mai. Elle serait concentrée sur Sedan.

Gamelin ne réagit pas.

Il n’est pas ébranlé quand on lui transmet les photographies prises par le pilote Antoine de Saint-Exupéry.

L’écrivain, mobilisé, a repéré huit ponts de bateaux jetés sur le Rhin par le génie allemand, entre Bonn et Bingen.

On repère d’autres ponts sur la Moselle, à la frontière de l’Allemagne. Ils attestent que c’est dans cette direction que frapperont Panzers et troupes motorisées.

Mais Gamelin reste immobile.


De Gaulle rencontre le généralissime qui a installé son état-major au château de Vincennes.

Gamelin lui confirme, bien que de Gaulle ne soit que colonel, qu’on va lui attribuer le commandement de la 4e division cuirassée en formation, un poste qui aurait dû revenir à un général.

De Gaulle dit sa fierté.

Il sait que Paul Reynaud a pesé pour qu’on lui accorde ce commandement.

Il écoute Gamelin qui, dévoilant une carte, annonce qu’il s’attend à une attaque allemande dans les prochaines semaines. Il est prêt. Il fera entrer ses troupes en Belgique. Il est sûr de lui.

Et si l’attaque se portait sur la Meuse, à Sedan, interroge de Gaulle.

Gamelin le dévisage longuement.

« Je comprends votre satisfaction, dit-il. Quant à votre inquiétude, je ne la crois pas justifiée. »


De Gaulle salue, traverse les salles silencieuses.

Il a l’impression de se trouver dans un couvent. Il s’étonne.

Le général Gamelin a choisi de partager son quartier général en trois : au sien s’ajoute celui du général Georges à La Ferté-sous-Jouarre, le plus à l’est ; et celui du général Doumenc et les services administratifs sont à Montry.

Comment peut-on commander en chef dans ces conditions ?

De Gaulle s’éloigne, mal à l’aise.

Il respecte l’intelligence, l’esprit de finesse, l’estime de soi de ce grand chef, mais Gamelin s’apprête dans son « cloître à assumer tout à coup une responsabilité immense en jouant le tout pour le tout sur un plateau » que de Gaulle estime mauvais.


Mais alors qu’il regagne Wangenbourg, ses bataillons de chars, qu’il continue de commander dans l’attente de la constitution de cette 4e division cuirassée qu’on lui a attribuée, de Gaulle médite sur cette étrange période que traverse l’Europe.


Les Russes ont attaqué et envahi la Finlande, après avoir tenté de négocier avec elle l’attribution de bases afin de protéger Leningrad d’une offensive allemande… Et cependant la Russie et l’Allemagne sont liées par un pacte de non-agression.

Le monde entier s’est enflammé pour ces héroïques Finlandais. L’agresseur soviétique a été condamné par la Société des Nations. Et les états-majors français et anglais ont commencé à mettre sur pied des unités afin de porter secours aux Finlandais que soutiennent aussi les… Allemands et les Italiens, comme si s’esquissait là une grande alliance contre les « rouges ».

En même temps, cette intervention en Finlande n’est qu’un prétexte. Elle permettrait de contrôler la « route du fer », par où passent les minerais suédois vendus à… l’Allemagne. Mais la Suède, la Norvège ou le Danemark sont des États neutres qui refusent toute intervention franco-anglaise !

Or, voici que le 16 février 1940, un avion de la Royal Air Force repère le navire allemand l’Altmark, le ravitailleur du Graf Spee qui a donc réussi à parcourir tout l’Atlantique Nord.

Dans ses cales, croupissent 299 marins britanniques, prisonniers transférés du Graf Spee.

Churchill donne ordre à une flottille de destroyers britanniques de passer outre aux interdictions d’entrer dans les eaux territoriales de la Norvège, de donner assaut à l’Altmark réfugié dans le Jossingfjord.

Après l’abordage et un bref corps à corps, l’Altmark est capturé, les marins britanniques libérés, et la gloire de Churchill scintille, alors que le Premier Ministre Chamberlain n’est qu’une ombre, dont chacun sent bien qu’elle va s’effacer au profit du Premier lord de l’Amirauté.



Mais ce que visent Churchill et les Français, c’est bien le contrôle, à l’occasion de la guerre russo-finlandaise, des mines de fer. Or, le 12 mars, après une offensive soviétique, les deux pays signent la paix.

« Tout vient de s’écrouler, écrit Churchill. Maintenant la glace va fondre et les Allemands sont maîtres dans le Nord… J’ignore s’ils ont conçu leur propre plan d’action et si nous en verrons bientôt les effets, mais le contraire m’étonnerait. »

Churchill ne se trompe pas.

Hitler a hurlé, tempêté quand il a appris l’attaque contre l’Altmark. Il ne réussit pas à se maîtriser, se soûlant de paroles, répétant qu’il a pris sa décision : il faut envahir la Norvège. « L’abordage de l’Altmark dans les eaux territoriales norvégiennes a levé toute ambiguïté sur les ambitions britanniques, dit-il. Il faut les devancer, envahir la Norvège. » Et Hitler fixe la date de l’attaque : le 9 avril.


Des fjords de Norvège aux rives du Rhin et de la Meuse, le printemps de 1940 s’annonce comme une apocalypse.

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