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« Le maréchal Pétain devient notre chef ! » s’écrie Daniel Cordier, un jeune homme de dix-neuf ans.

Il est 7 heures du matin, ce lundi 17 juin 1940. Le ciel est d’un bleu profond, une lumière rose irise les Pyrénées.

Cordier habite Pau. Il vient d’entendre à Radio-Toulouse la nouvelle de la démission du ministère Reynaud, et la désignation du maréchal Pétain comme nouveau président du Conseil des ministres.

Daniel Cordier exulte. C’est un patriote, membre de l’Action française, disciple de Charles Maurras.

« La France est sauvée ! pense-t-il. Avec le Maréchal, la grandeur de la France triomphe enfin des combinaisons politiciennes. Après l’inexplicable reculade de notre armée ces dernières semaines, l’homme de Verdun par sa seule présence brisera la ruée allemande : la Garonne sera une nouvelle Marne[2]. »

Daniel Cordier veut se battre, enfin ! Il est prêt à mourir pour la Patrie.


« Je savais bien que Dieu n’abandonnerait pas la France. Nous sommes sauvés », dit sa mère.

Daniel Cordier rejoint son beau-père à l’usine qu’il dirige. En fin de matinée, le chef d’atelier annonce, goguenard :

« Il paraît que ça va mal là-haut. Le maréchal Pétain va parler à la TSF[3] à midi et demi. Ils viennent de l’annoncer plusieurs fois. C’est très grave. »

« Avec lui, il n’y a rien à craindre. Les Boches, il connaît, il les a déjà vaincus », commente le beau-père.


Partout en France on attend ce discours, comme si le Maréchal devait réaliser un miracle, mettre fin à ce cauchemar qu’on vit depuis le 10 mai et, ce lundi 17 juin, alors que les Panzerdivisionen approchent de Bordeaux, occupent Colmar, Metz, Pontarlier, Roanne, Le Creusot, Dijon, Chalon-sur-Saône, annoncer que l’armée allemande est arrêtée, battue, qu’elle recule.

Dans toutes les familles qui disposent d’une radio, on fait cercle autour du « poste de TSF ». On attend, anxieux et recueillis.


Daniel Cordier est aux côtés de ses parents, tous trois debout devant le poste.

Il n’a jamais entendu le maréchal Pétain qui commence son discours :

« À l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France… »

« Dès le premier mot, dit Daniel Cordier, je suis surpris par sa voix chevrotante. » Le jeune homme attendait une phrase de chef annonçant le combat, mais il entend :

« En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. »

Daniel Cordier guette le mot « revanche », mais le maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, qui vient de dire « sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur », prononce des mots qui paraissent à Daniel Cordier « inouïs ».

« C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »


Cela signifie qu’au lieu d’appeler à la revanche, on déclare « le désastre irréversible » ! Avant même d’examiner les conditions de l’armistice, on appelle à l’arrêt des combats. Comment continuer à se battre ? Comment dans cet esprit de reddition contester les clauses de l’armistice ? Pétain livre le pays à l’ennemi.

« Je sanglote en silence », confie Daniel Cordier.

Et lui qui a, fidèle de Maurras, militant de l’Action française, pensé que le Maréchal était « le sauveur miraculeux » rédige à la permanence de l’Action française le brouillon d’un texte qu’il va soumettre à ses camarades de Pau.


« Appel aux jeunes Français

Le traître Pétain demande la paix aux Boches.

Nous leur déclarons la guerre.

Les jeunes qui veulent bouter les Boches hors de France doivent se joindre à nous pour les combattre.

Rassemblement !

Haut les cœurs ! La France ne doit pas mourir ! »


C’est en sanglotant que des millions de Français ont écouté Pétain, soulagés, accablés, honteux, comme quand la mort met fin à l’agonie de l’être cher qu’on n’a pu maintenir en vie.

Le président de la République, Albert Lebrun, rend compte de l’attitude des Français qu’il rencontre :

« Moment angoissant entre tous. Les Français connaissent la plus grande douleur de leur vie. Ce ne sont que visages baignés de larmes, poings crispés, colères rentrées. Hé quoi ! Que s’est-il passé pour qu’en si peu de temps la France soit tombée si bas ? Partout une grande lassitude, un profond découragement ! »


Ce « Je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat » achève de désorganiser les fragments d’armées qui s’opposent à l’avance allemande.

Les maires des villes et des villages exigent que les unités qui ont pris position pour arrêter l’ennemi, faire sauter les ponts, y renoncent, mettent bas les armes. Et d’ailleurs toutes les villes de plus de 20 000 habitants sont déclarées villes ouvertes.

Cela révolte deux jeunes officiers, Messmer et Simon[4], qui, après avoir entendu le discours de Pétain, décident, dès le 17 juin, de gagner l’Angleterre.

Moins de deux heures après avoir écouté l’appel du Maréchal, le général Cochet, commandant les forces aériennes de la 5e armée, rassemble ses hommes qui, en bon ordre, en combattant, l’ont suivi d’Épinal jusqu’aux monts du Velay. Il donne ses consignes de résistance : « poursuivre la lutte contre l’ennemi, apprendre à dissimuler ».

Il a été chef du 2e Bureau, chargé du renseignement. Il connaît les intentions allemandes : briser la France, l’amputer de l’Alsace et de la Lorraine, des départements du Nord, la piller et l’humilier.

« La seule attitude possible est de résister », dit-il à ses hommes.


Sur la Loire, le général Pichon confie aux cadets de l’école militaire de Saumur la mission de défendre la Loire, entre Montsoreau et Thoureil, soit 40 kilomètres de front. Les moyens des élèves officiers sont dérisoires : un cadet tous les vingt mètres, quelques fusils-mitrailleurs, pour empêcher les divisions de Panzers d’avancer ! Le maire de Saumur souhaite déclarer Saumur ville ouverte, mais le colonel Michon commandant l’école militaire répond : « Saumur se défendra et n’évacuera pas ! »


À Chartres, le préfet Jean Moulin refuse de céder aux Allemands qui veulent lui faire signer un rapport accusant des soldats sénégalais d’avoir violé, torturé, assassiné, des femmes et des enfants. On le conduit devant des cadavres mutilés, victimes des bombardements mais qu’on a criblés de balles.

Moulin refuse. On le torture. On s’obstine. On le jette dans une cave avec un soldat noir puisque, disent les Allemands, Moulin aime les Noirs. On crie : « Demain, nous vous ferons signer. » Jean Moulin ramasse des morceaux de verre sur le sol de la cave et se tranche la gorge.

Les Allemands le trouveront baignant dans son sang. Ils le conduiront à l’hôpital.


En cent lieux du pays, ces actes spontanés de résistance montrent, dès ce lundi 17 juin, que des Français n’acceptent pas la soumission.

Certains – comme Edmond Michelet, à Brive, qui diffuse des vers de Charles Péguy – réalisent des tracts, collent de petites affiches manuscrites.

Le discours de Pétain a bouleversé la plupart des Français et révolté quelques-uns d’entre eux.

Mais c’est le désespoir, l’angoisse, mêlés au découragement, qui l’emportent.

Les réfugiés espèrent que la cessation des combats leur permettra de regagner leur domicile, que leur calvaire va prendre fin.


D’autres jouent leur carte politique.

Le numéro du lundi 17 juin du journal communiste L’Humanité titre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Proletarier aller Lander, vereinigt euch ! Pour la paix par l’entente avec l’URSS. »

Les dirigeants communistes, du fond de la clandestinité où ils sont plongés depuis l’interdiction de leur parti après le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, décident de prendre contact avec la Kommandantur de Paris – trois jours après l’occupation de la capitale ! – afin d’obtenir l’autorisation de reparution de L’Humanité ! Comme une conséquence en France du pacte de non-agression germano-soviétique !

Ils préparent leurs arguments. Ils ont combattu les Juifs Blum et Mandel, « traîtres et tartuffes immondes », manifesté leur hostilité à la guerre impérialiste, voulue par la City de Londres.

De son côté, l’ambassadeur allemand Otto Abetz, ardent partisan de la collaboration franco-allemande, est prêt à ces contacts afin d’achever la désorganisation de la nation.

« Les communistes sont en train de devenir antisémites et antimarxistes, écrit le professeur Grimm, l’un de ses conseillers. Dès lors, le jour où ils franchiront le pas vers le national-socialisme n’est plus éloigné. »

Mais ce même lundi 17 juin, à Bordeaux, le dirigeant communiste Charles Tillon, responsable pour toute la région du Sud-Ouest, lance un appel dénonçant Pétain, Weygand, les « politiciens qui maintenant livrent la France ». « Ils ont tout trahi. » Au moment où, à Paris, les responsables du parti communiste rencontrent les nazis, Charles Tillon exalte la lutte contre le fascisme hitlérien.


Ainsi, on pressent que l’appel de Pétain à « cesser le combat » provoque de fait le rapprochement inattendu de tous ceux qui, appartenant à des partis différents – l’Action française ou le parti communiste –, refusent de se soumettre et proclament leur volonté de résister, pour que la « France vive ».


Le gouvernement Pétain craint cette réaction patriotique.

Il veut, dès ce lundi 17 juin, frapper ceux qui peuvent animer ce mouvement.

De Gaulle a déjà été sommé de rentrer en France.

L’ancien ministre de l’Intérieur Georges Mandel est, ce lundi à 13 h 30, arrêté par les gendarmes, alors qu’il déjeune à Bordeaux, au Chapon fin.


Mandel – de son vrai patronyme Louis Rothschild, bien qu’il fût sans lien de parenté avec l’illustre famille – rassemble sur sa tête toutes les haines, celles de l’extrême droite et des communistes. Le nouveau secrétaire d’État, Raphaël Alibert, ne l’appelle que « le Juif ».

On sait que Mandel, ancien collaborateur de Clemenceau, est un patriote intransigeant qui a toujours prôné la résistance à Hitler. Le général Spears lui a proposé de gagner Londres en même temps que de Gaulle. Mandel a refusé. Il approuve de Gaulle mais sa place à lui est en France. Il ne faut pas qu’on identifie le refus de l’armistice à son nom, trop honni.

Dans l’entourage de Pétain, on le hait donc et on le craint. Son arrestation a été décidée dès le dimanche 16 juin. C’est l’une des premières décisions gouvernementales. Mandel est accusé par un journaliste d’extrême droite d’organiser un complot « dans le dessein d’empêcher l’armistice ». Il aurait, selon cette dénonciation faite au Bureau central du renseignement, décidé, en compagnie du général Buhrer, inspecteur des troupes coloniales, de faire assassiner les membres du nouveau gouvernement.

Le président de la République, des ministres, protestent auprès de Pétain qui cède, fait libérer Mandel, le reçoit et accepte même d’écrire sous la dictée de Mandel une lettre d’excuses :

« Cette dénonciation ne reposait sur aucun fondement et avait le caractère d’une manœuvre de provocation ou de désordre. »

Mandel est cinglant :

« Je vous plains, monsieur le Maréchal, d’être à la merci de votre entourage et je plains mon pays qui vous a pris pour chef. »


« Je souhaite vivement que cette malheureuse affaire n’ait pas d’autre suite », écrit Pétain.

En fait, elle souligne la rupture avec la démocratie et les intentions du gouvernement Pétain : cesser le combat et changer de régime politique.


À Londres, de Gaulle le sait.

Ce lundi 17 juin, en fin d’après-midi, il se rend auprès de Churchill.

« À quarante-neuf ans, écrit-il, j’entre dans l’aventure comme un homme que le destin jette hors de toutes les séries. »

Pour de Gaulle, Churchill est l’allié naturel, celui qui ne cédera jamais.

Et le Premier Ministre britannique a besoin de montrer à son opinion publique qu’à Londres se retrouvent tous ceux qui veulent résister à Hitler : Tchèques, Polonais, Norvégiens, Néerlandais, Belges, et naturellement les Français. Ce de Gaulle, au nom qui semble incarner l’Histoire, Churchill l’a perçu comme « l’homme du destin », « jeune et énergique », dit-il, flegmatique, d’une attitude paisible et impénétrable : « voilà le connétable de France ».

Churchill consulte les membres du War Cabinet qui acceptent que de Gaulle puisse s’exprimer sur les antennes de la BBC.


C’est le mardi 18 juin.

Les troupes allemandes s’enfoncent chaque heure plus profondément dans l’épaisseur française. Elles progressent vers Bordeaux que la Luftwaffe survole. Nantes va tomber, les Panzers roulent vers La Rochelle. À l’est, Mulhouse, Belfort, Lons-le-Saunier sont occupés.

Le général Rommel a lancé ses Panzers vers Cherbourg, où les Anglais débarquent leurs dernières troupes.

Les blindés allemands progressent si vite – 400 kilomètres en quelques heures, une distance jamais parcourue au cours d’opérations de guerre – que, raconte Rommel, « un groupe d’officiers britanniques qui revient en voiture d’un bain de mer sont arrêtés et faits prisonniers ».

Dans les villages et les villes traversés, « la foule composée de civils et de soldats est saisie. Elle regarde notre défilé rapide avec curiosité et sans la moindre attitude hostile ».

Rommel signale pourtant « qu’un civil armé d’un revolver court vers la voiture et le vise ». Des soldats français se précipitent et le ceinturent, quant à Rommel et à ses unités ils poursuivent leur route sans même se soucier d’arrêter l’individu.

« Très chère Lu, écrit Rommel.

« Je ne sais pas si je mets la bonne date, j’ai un peu perdu le fil des événements depuis ces derniers jours… La guerre est peu à peu devenue un tour de France éclair. Dans quelques jours, elle sera finie pour tout de bon. Les gens d’ici – Rennes – sont soulagés tout se passant si tranquillement. »


De Gaulle travaille au premier étage gauche d’un immeuble du 8, Seamore Grove, l’appartement de Jean Laurent, son directeur de cabinet, qui lui en a remis les clés le dimanche 16 juin à Bordeaux.


C’était il y a moins de deux jours et de Gaulle, qui a le sentiment d’être entré dans un autre univers, écrit le discours qu’il doit prononcer ce soir à la BBC.

Il donne les feuillets à Geoffroy de Courcel. Celui-ci les dicte, dans une autre pièce de l’appartement, à Élisabeth de Miribel, une amie employée à la mission économique française de Londres, dirigée par l’écrivain diplomate Paul Morand qui a déjà décidé de rentrer en France, de servir le pouvoir légitime du maréchal Pétain.

De Gaulle sait qu’il va connaître la solitude du combattant et que beaucoup – tout peut-être – va dépendre de ces mots qu’il trace de sa haute écriture. Ce n’est pas seulement son destin qui va se jouer, mais celui de la France.


Et c’est aussi du sort de la France que s’entretiennent à Munich, ce mardi 18 juin, Hitler et Mussolini.

Depuis huit jours, les troupes du Duce n’avancent pas, bloquées par la résistance des troupes françaises, cinq fois moins nombreuses, et voici que Hitler évoque déjà l’armistice avec Paris. Il repousse brutalement les demandes de Mussolini qui voudrait occuper la vallée du Rhône, Toulon, Marseille, la Corse, la Tunisie et même Djibouti.

Hitler veut paraître ménager la France afin d’éviter que la flotte française ne se réfugie en Angleterre, et que le gouvernement ne gagne l’Afrique du Nord.

« Il faut un gouvernement français en fonction sur le sol français », dit-il.

« Le Duce, écrit Ciano, le ministre des Affaires étrangères, et beau-fils de Mussolini, voit s’évanouir une fois de plus cet inaccessible rêve de sa vie : la gloire sur le champ de bataille.

« La guerre a été gagnée sans aucune participation active de l’Italie, et c’est Hitler qui aura le dernier mot. »


Ce mardi 18 juin, un peu avant 18 heures, de Gaulle, accompagné de Geoffroy de Courcel, entre dans l’immeuble de la BBC, à Oxford Circus.

Partout des sentinelles en armes, derrière de petites casemates et des guérites blindées. On craint une attaque des parachutistes allemands. Sur un palier, derrière une meurtrière, un fusil-mitrailleur prend l’escalier en enfilade.

Il va être 18 heures. De Gaulle s’assied dans le studio, pose ses feuillets devant lui. On lui demande un essai de voix : « La France », dit-il seulement.

Puis, d’une voix forte et sereine, de Gaulle commence à parler, ne regardant pas ses feuillets, tant ce qu’il dit est écrit en lui depuis non des heures mais des jours, des semaines et même une décennie.

« Les chefs qui depuis de nombreuses années sont à la tête des armées françaises ont formé un gouvernement.

« Ce gouvernement alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.

« Certes nous avons été, nous sommes submergés, par la force mécanique terrestre et aérienne de l’ennemi…

« … Mais le dernier mot est-il dit, l’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non. »


Il hausse la voix. Les mots qu’il prononce, il sent qu’il les grave à jamais dans le grand récit de l’Histoire nationale.

Il sait de tout son être qu’il entre dans cette Histoire.

« Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause, et vous dis que rien n’est perdu pour la France… Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! »

Il évoque l’Empire, l’Angleterre, les États-Unis.



« Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale… Il y a dans l’univers tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis… »

Il invite les officiers, les soldats, les ingénieurs, les ouvriers français, avec ou sans arme, qui se trouvent sur le territoire britannique « ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi ».

Il relève le défi !

Il veut être « l’homme du destin ».

Tout ce qu’il a vécu et rêvé depuis l’enfance trouve ici, dans les mets qui vibrent, son accomplissement.

Il dit :

« Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ! »

« Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres. »


Cette voix, elle traverse les océans.

L’écrivain Georges Bernanos l’a entendue à Belo Horizonte, retransmise par la radio brésilienne. Sa femme sanglote, lui serre les poings et pleure.

Quelques dizaines de milliers de Français – sur quarante millions – l’ont écoutée, par hasard, et tous ceux-là ont découvert le nom de ce général inconnu, de Gaulle… comme la Gaule, comme la France.

Quelques journaux ont rendu compte, en une dizaine de lignes, du discours.

On l’a entendu à Bordeaux, et le gouvernement de Pétain donne à de Gaulle l’ordre de rentrer, le remet à la disposition du général commandant en chef, prépare l’annulation de sa promotion au grade de général de brigade à titre temporaire. Mesures dérisoires en ces temps de tragédie. Cécité et médiocrité de ceux qui les promeuvent.


C’est le mercredi 19 juin 1940.

Un lieutenant, Hettier de Boislambert, se présente à de Gaulle aux premières heures de la matinée.

Il n’a pas entendu l’appel du 18 juin, mais il a vu de Gaulle commander sur le front de la France. Il est le premier à se rallier.

Au même moment, la Radiodiffusion nationale française rapporte que, selon le ministère de l’Intérieur, le général de Gaulle a été rappelé en France. Ses déclarations doivent être considérées comme non avenues.


Mais au contraire, ces paroles font leur chemin alors même que, en France, la guerre continue.

Les cadets, élèves officiers de l’école militaire de Saumur, résistent en gants blancs aux Panzers et se font tuer dans les îles et sur les rives de la Loire.

Le cuirassé Jean Bart réussit à appareiller, à s’évader, bien que sans armes, de Saint-Nazaire.

De Gaulle reçoit Georges Boris, le collaborateur et ami de Léon Blum. Chargé d’accueillir les jeunes recrues, Boris hésite. Il est juif, a dirigé l’hebdomadaire La Lumière, et a été dénoncé par la droite nationaliste, donc, certains, peut-être, seront choqués par sa présence à ce poste.

« Monsieur Boris, dit de Gaulle, je ne connais que deux sortes d’hommes, ceux qui se couchent et ceux qui veulent se battre. Vous appartenez à la seconde, donc gardez la boutique. »

Puis il ajoute, ce mercredi 19 juin :

« Si le débarquement allemand en Angleterre est repoussé, et c’est possible, la situation sera d’abord stabilisée pour être ensuite renversée grâce aux ressources de l’arsenal américain… »

Il va parler, ce mercredi, à la BBC. Il dira qu’il s’exprime au nom de la France, que « tout Français qui porte encore des armes a le devoir absolu de continuer la résistance ». Il s’adresse à l’Afrique du Nord et à l’Empire français.

« Il ne serait pas tolérable que la panique de Bordeaux ait pu traverser la mer.

« Soldats de France, où que vous soyez, debout ! »

Ce mercredi 19 juin, il apprend que son discours du 18 juin n’a pas été enregistré, tous les moyens techniques de la BBC ayant été mobilisés pour le discours de Winston Churchill aux Communes.

Il s’emporte. Il faut. Il doit reconstruire une France libre et souveraine.

Il se fait communiquer le texte du discours de Churchill.

Un grand discours, à la hauteur des circonstances.

« Nous maintiendrons toujours nos liens de camaraderie avec le peuple français », a dit Churchill.

Le Premier Ministre cite tous les peuples européens représentés à Londres, et auxquels la victoire de l’Angleterre rendra la liberté.

« Hitler sait qu’il lui faudra nous vaincre dans notre île ou perdre la guerre… Armons-nous donc de courage pour faire face à nos devoirs et comportons-nous de telle sorte que si l’Empire britannique et le Commonwealth durent mille ans encore, les hommes puissent toujours dire : “C’était leur plus belle heure.” »


Churchill a parlé le mardi 18 juin 1940, 125e anniversaire de la bataille de Waterloo.

Grand discours ! Grande Histoire qui rencontre celle de la France.

Churchill parle au nom de l’Angleterre.

« J’ai conscience de parler au nom de la France », dit de Gaulle.

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