Comme l’autobus arrivait devant chez Adelphin, Sérafinio agrippa un pavé qui dépassait et laissa filer sa monture. Il se baissa légèrement pour éviter une voiture des quatre-saisons qui suivait l’autobus à quelques décimètres, se mit enfin debout et, d’un air parfaitement naturel, sonna à la grille de l’hôtel du Comte.
Dunœud lui-même vint ouvrir et le conduisit dans la bibliothèque où son maître, ayant enfilé une robe de chambre d’un rose saumon délicat, bordée d’un galon vert bouteille, fumait une pipe de navy-cut arrosé d’huile de colza.
Un carafon de whisky aux trois quarts plein, deux verres, un seau de glace retinrent les regards de Sérafinio.
— Peux-tu me faire donner un verre d’eau ? dit-il en essuyant discrètement son nez sur sa manche.
— Assieds-toi donc, dit le Comte, et fais comme chez toi.
Sérafinio s’assit, se masturba quelques instants, et se releva pour boire d’un trait le verre d’eau glacée que lui tendait Dunœud.
— Parle ! dit-il enfin tourné vers Adelphin.
Adelphin ne dit pas un mot. Il fouilla dans sa poche droite et tendit un petit objet à Sérafinio.
— Sacré nom de Dieu ! haleta Sérafinio. Tu l’as enfin ? Qu’est-ce que c’est ?
— Foutu con ! dit Adelphin. C’est le…
Une détonation retentit et la balle lui coupa la parole au ras des lèvres.
— Vite !… cria-t-il. La fenêtre…
Une nuit opaque s’appesantissait sur toutes choses. Penchés à la fenêtre, ils virent vaguement une ombre disparaître, escalader le mur et se perdre dans la rue…
— C’est le barbarin… termina Adelphin en se rasseyant tandis que le jour illuminait à nouveau la pièce.
— Où était-il ?
— Dans la poche de mon costume de tous les jours.
— Ce que je n’arrive pas à comprendre, dit Sérafinio, c’est comment le voleur a eu le temps de te le prendre là-bas, et de revenir avant nous pour le mettre dans ta poche de tous les jours…
— Moi non plus, dit Adelphin.
— Alors, peut-être l’avais-tu laissé dans ta poche ici ?
— Quelle importance ? soupira Adelphin. Le fait subsiste : on m’a volé le barbarin.
— Mais, puisque tu l’as !…
— J’ai dit : on m’a volé. C’est un subjonctif, ricana Adelphin.
— Excuse-moi. Et Sérafinio rougit.
— Rends-moi le barbarin, dit Adelphin.
— Voilà ! dit Sérafinio en le lui tendant… et sa main était vide !…
— Tu vois bien qu’on l’a volé, crétin ! dit froidement le Comte en déchargeant un revolver sur Sérafinio. Comme il tirait mal, l’autre ne s’en aperçut pas, et le Comte se calma.
— On me l’a volé… murmura Sérafinio. Et il s’évanouit.
— Tu deviens trop nerveux, marmotta le Comte en ramassant le barbarin sur le fauteuil de son ami, où il avait glissé pendant que l’inconnu tirait.