CHAPITRE XXXVI. ENCORE HUIT PAGES

La terre rougeâtre s’élevait en monticules des deux côtés de la fosse. Le Baron creusait sans arrêt depuis deux jours, et il avait atteint la profondeur de trente-neuf mètres sans trouver ce qu’il cherchait.

La sueur ruisselait sur son front déjà hâlé par le soleil implacable des Tropiques. Ses bras musclés étaient enduits de terre rouge jusqu’à l’olécrane. Les gouttes roulaient de ses tempes à ses joues, puis tombaient sur le sol où elles formaient déjà une petite mare de boue. Avec un fragment de la coque de l’hydravion, le Baron s’était fait une bêche, car il avait oublié d’en mettre une dans ses valises. L’outil improvisé faisait merveille sous l’impulsion de ses biceps extravagants.

À la cote 45, le métal de l’engin sonna sec sur du roc. Dégageant prestement la surface de la pierre, le Baron fit apparaître un anneau d’acier jauni. Le saisissant à deux mains, il exerça un puissant effort et l’anneau lui resta dans la main. Par le trou ainsi formé dans la pierre, il passa son index et souleva le bloc massif, démasquant une ouverture béante où l’on entrevoyait des échelons de palétuvier verni menant vers on ne sait quelles profondeurs obscures.

— C’est un piège à gourdes, pensa le Baron. Ils ne m’auront pas comme ça.

Saisissant un fragment de roche, il le précipita dans le puits. Au bout d’un quart d’heure, le bruit d’un clapotis étouffé parvint à ses oreilles.

— Je me trompais, corrigea mentalement le Baron. Allons-y.

Il précipita ses deux valises dans l’étroite ouverture et, avant de s’engager sur le chemin de la descente, il alluma une mèche qu’il avait disposée quelques instants plus tôt au fond de l’excavation. Il referma vivement le puits sur sa tête avec la pierre et dans un fracas assourdissant, quinze à vingt tonnes de terre meuble s’écroulèrent sur la trappe à l’abri de laquelle il commençait à avancer vers les profondeurs.

Le Baron avait bouclé à sa ceinture une forte lampe à gazogène qui, sous un poids réduit, puisqu’elle ne pesait que dix-sept kilos, réussissait à produire une fumée capable de dérober un convoi de onze cargos de sept cents tonnes à la vue d’un observateur de sous-marin aveugle et mal entraîné. Le Baron eut tôt fait de la détacher et de la projeter en l’air d’où elle lui retomba sur la tête quelques instants plus tard.

En moins d’une heure, le Baron fut à l’extrémité de l’échelle, suspendu par les mains au-dessus du vide. Sans hésiter, il remonta, effectuant à la force des poignets un rétablissement complet, et se faufila par les pieds dans un étroit boyau qui s’amorçait deux mètres au-dessous du dernier barreau.

Poussant un ricanement satisfait, il bondit sur ses pieds, se précipita en avant et se cogna violemment la tête contre une cloison en briques pleines, car le boyau tournait brusquement à angle droit.

Le Baron frotta sa bosse avec un linge enduit de liniment Sloan, saupoudra la contusion de farine de moutarde et reprit sa marche reptilienne. Il n’était pas arrivé à l’âge de dix-neuf ans sans avoir cultivé ses facultés. Aussi, comme il avait plus de dix-neuf ans, il voyait dans le noir comme un chat dans un violon, ce qui lui permettait de progresser avec une grande rapidité.

Au bout de neuf kilomètres, il s’arrêta.

Sa main, tenue derrière lui pour tâter le terrain, rencontra un objet ligneux qu’il reconnut rapidement pour une torche faite du bois résineux du mata-hari. L’enflammant avec son briquet consulaire, il poursuivit sa route, précédé d’une vive lumière.

— J’approche… murmura-t-il, car un septième sens l’avertissait de la proximité du but. »

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