Le 7 janvier 1464, le petit village de Saint-Martin-de-Saignant fut attaqué par un parti de mercenaires révoltés. La troupe, composée d’un baron en banqueroute, d’un ancien chevalier de la Jarretière, de sept reîtres suisses et de onze godons coiffés du traditionnel plat à barbe, allait franchir le ponceau qui enjambe la rivière coquette, blanche en amont et rouge en aval, qui a donné son nom à l’endroit — le Saignant. Lorsqu’une manière de forban, vêtu de cuir et armé pour tout potage d’une queue de bœuf fraîchement abattu, surgit inopinément d’entre les arbres et se mit à vous abattre les soldats de si bon cœur que la débandade commença.
Il les poursuivit, et comme ils refluaient en désordre, les précipita dans la rivière un à un — sauf les cadavres — jusqu’à ce que tous y fussent passés.
— Il a j’té l’ost à l’eau ! disaient les paysans attroupés, quand tout était fini, pour dépouiller les morts.
Le nom lui resta. Déformé par la prononciation chantante de ces enfants du pays landais, il devint Loustaleau, puis Loustalot. Un ancêtre lointain du Major emporta ce nom aux Amériques, et devint Loostal O’Connor — Ça chantait plus. Le grand-père du Major était l’arrière-petit-fils de Loustal O’Connor.
Et, simplifié une fois de plus, son nom s’écrivait Loostalo.
Bref, le Major s’appelait Jacques. Jacques Loostalo, bien entendu. Il employait des cartes de visite au nom de Jean Dupont, mais il les avait volées. Saisies plutôt, puisqu’il appartenait à la police. Hors cadre, comme de juste. Une sorte de détective privé, muni des pouvoirs d’un commissaire multiplicationnaire de la Police Judiciaire.
Au physique, c’était un beau type de crétin, le front bas, le poil hirsute, l’œil torve et l’autre en verre, un rictus satanique déformant les lèvres minces. Il s’habillait long, portait toutes ses dents et professait un amour immodéré du gros rouge.
Quant au moral, nous oserons dire que la lave du feu central paraissait froide à côté du brasier bouillonnant de ses pensées géniales. Mais il disait rarement ce qu’il pensait.
Pour conclure, il était vierge et pratiquait le jiu-jitsu — le judo, comme on dit maintenant.