CHAPITRE II. LE JAUNE EST UNE COULEUR

Platon, dans un pamphlet resté fameux paru vers 1792, formule en quelques phrases bien pensées sa conception de l’univers. Il se résume pour lui à l’écran d’une espèce de cinéma sur lequel se projettent des ombres animées que d’aucuns prennent pour réalité quand la réalité se trouve en réalité derrière eux. Partant d’une idée analogue, Adelphin s’était dit : pourquoi pas des souliers jaunes si je ne me montre qu’à contre-jour ? Il avait donc décidé de ne se montrer qu’à contre-jour, tâche relativement aisée si l’on réfléchit que, sous nos latitudes, elle est facilitée la moitié du temps par l’absence de jour, que l’on appelle communément la nuit, phénomène au cours duquel le jour et le contre-jour se rejoignent avec régularité. D’ailleurs les souliers, quoique jaunes, étaient parfaitement adéquats à l’ensemble de la tenue du Comte, qui posait sur sa chevelure rousse une casquette grise à pois mauves et s’enveloppait d’une ample cape de velours cramoisi (à l’intérieur) soutachée d’herminette et de besaiguë, et doublée extérieurement d’un banal drap noir que rien ne distinguait extérieurement des milliers de draps noirs formant la matière constitutive des milliers de capes noires, qui, le soir, voltigent à quelques pouces des omoplates de milliers d’hommes du monde. Sous sa cape de drap noir (et, à l’intérieur, de velours cramoisi) Adelphin portait beau. Ainsi, saisissant une canne à pommeau de bruyère culottée électriquement il se baissa d’un coup sec et ramena du fin fond d’un recoin sub-pajotique le bouton de col qui lui avait échappé comme il se déshabillait deux jours auparavant.

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