CHAPITRE XLII. LA PISTE DU BARON REJOINT CELLE DU MAJOR

Ayant parcouru trois kilomètres à tâtons, Antioche fit halte et s’assit sur un bloc de schiste ras qui se trouva sous sa main. Il voulait réfléchir un peu à la situation.

Il tira son briquet, l’alluma en le frottant violemment sur un silex, et à la lueur fumeuse de l’amadou, reconnut les lieux.

Il se trouvait tout juste à l’orée d’une vaste caverne, où sa respiration soulevait des échos indistincts. Le sol, tapissé de stalagmites aussi resserrés que les poils d’un tapis de haute laine, produisait sous les pieds une curieuse impression, comme de marcher sur la barbe d’un landais qui ne s’est pas rasé depuis deux jours. La voûte mêlait le style caverne classique au néo paléolithique inventé par Duzob, le célèbre troglodyte, incompris de son temps, dont les œuvres, hautement décoratives, égaient les murs de Cro-Magnon. Le nom même de Duzob est oublié de nos jours, et c’est heureux, parce que c’est pas un nom pour être prononcé par des lèvres innocentes, comme celles des artisses.

Aux pieds d’Antioche brillait un lac noir dont les eaux, stagnantes comme une encre inerte, semblaient recouvrir on ne sait quelles horreurs putréfiées.

L’air sentait le musc et la casserole des Indes. Avisant un tronc d’arbre qui gisait, oublié, dans un recoin sombre, Antioche le précipita dans les eaux du lac et s’élança bravement à cheval dessus. Il se servait de ses mains en guise de rames et progressait rapidement. L’eau sous ses doigts, était chaude comme un sein de morte, et mobile comme de l’éther. Son cœur battait à grands coups dans sa poitrine invulnérable et un chant de guerre s’échappait de ses narines, tandis qu’il fredonnait à bouche fermée[3].

Le lac s’étendait toujours à perte de vue. Il est vrai qu’Antioche ne voyait guère à plus d’un mètre, car l’obscurité était grande et le briquet éteint.

Soudain, l’avant du tronc d’arbre heurta quelque chose qui flottait. Antioche s’arrêta pile et entendit une voix, celle du Major, souffler quelques mots qu’il ne comprit pas. Il arrêta sa mélodie et saisit alors le sens des paroles du Major…

— Attention !… Il y a du monde !…

Antioche étendit les bras, tâtonna quelques instants et saisit la chevelure du Major qui tenait toujours à son crâne. Il aida son ami à se hisser sur le tronc et lui tendit son mouchoir pour se sécher. Mais cette eau extraordinaire séchait instantanément.

— Tu es arrivé jusqu’ici à la nage ? demanda Antioche à voix basse.

— Oui ! chuchota le Major. Et j’ai vu ton père…

— Vrai ?… brama sourdement Antioche.

— Cette grotte communique avec ma cave. Sens !…

On commençait à percevoir l’odeur puissante du sang de rhizostomus.

— Les deux liquides ne se mélangent pas, dit le Major. Mais il m’est impossible de nager dans le sang du rhizo… Alors, je t’ai attendu…

— Allons chercher papa ! conclut Antioche.

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