À peine le roadster électrique venait-il de stopper qu’un valet chamarré vêtu d’une sobre livrée noire que ne venait égayer aucune fantaisie déplacée ouvrit la porte aux deux amis qui descendirent de l’autre côté car ils n’aimaient pas que l’on se mêlât de leurs affaires. Ils gravirent un escalier aux nobles proportions que de grands pots de béri-béri en fleur rendaient pareil à l’entrée de quelque palais tropical. Adelphin, au passage, cueillit une gousse de béri-béri dont la forte senteur musquée lui monta à la tête, et de rouges images de luxure flambaient devant ses yeux, si bleus, si calmes, tandis qu’il gravissait les marches, parcourues d’effluves aphrodisiaques. Le béri-béri fait merveille sous nos latitudes pour donner à l’existence le goût pimenté que les explorateurs lui trouvent aux contrées lointaines où résonnent les lingas forestiers.
Au haut des marches, une servante bien stylisée vint débarrasser les deux amis de leurs vêtements de dessus. Blonde, de petite taille, les yeux peints et les hanches perverses, elle emporta la cape et la casquette de Beaumashin tandis que Sérafinio lui abandonnait son imperméable. Elle disparut dans un couloir éclairé en violet rose et les deux hommes firent leur entrée dans l’antichambre de la Baronne de Pyssenlied.
C’était un grand raout. Plus de onze personnes se pressaient autour du corps plantureux de la Pyssenlied, gainé par un fourreau de latex véritable, outrageusement décolletée et riant sans frein ni retenue. Les cheveux auburn, un face-à-main à la main, elle dévisageait avec une altière insolence les nouveaux arrivants. Ce n’était pas morgue, mais myopie. Elle sourit gracieusement à Adelphin, qu’elle avait reconnu, mais ignora Sérafinio. Et ce fut le point de départ de l’étrange aventure qui attendait les hommes sans tache dont nous avons entrepris de conter l’histoire…
Sérafinio, sous l’outrage, blêmit. Mais d’un geste, Adelphin lui rendit sa couleur naturelle. L’orchestre préludait. Un fox langoureux, joué à l’harmonica chromatique, dévida sa mélodie. Reconnaissant au passage une septième diminuée, Sérafinio enlaça une forte rousse et l’entraîna sans résistance dans le spasme giratoire qui était sa manière de danser. Adelphin saisit la Baronne et les couples se mirent à scander, de leurs déhanchements voluptuaires, le rythme scabreux qui faisait perler des gouttes hyalines aux aisselles de ces dames.