CHAPITRE XL. FLÂNERIES

À l’aube du jour suivant le Major fut réveillé par le chant aigre des caillebotis, chuintant dans la brise, les ailes éployées, surveillant les bouchons de liège qui dansaient gaiement sur les vaguelettes du bassin. De temps en temps, on voyait un caillebotis plonger comme une flèche et remonter peu après, tenant au bec un malheureux bouchon, déjà mort tant le contact de l’air vif était saisissant. Le Major tira Antioche par les pieds, et le précipita dans l’eau pour mieux le réveiller. Puis, il alluma un petit feu dans le fond de la barque, afin de permettre à son ami de se sécher quand il remonterait, ce qui ne tarda pas, car Antioche était de densité inférieure à 1.

— Que mangeons-nous, ce matin ? dit Antioche une fois sec.

— Ce gros caillebotis, répliqua le Major en abattant d’un coup de revolver, un spécimen fort gras de l’espèce qui volait a soixante mètres à peine au-dessus de leurs têtes.

L’oiseau tomba dans la barque et s’embrocha, bec en avant, sur une petite tringle de bois, que le Major avait taillée préalablement dans un éclat d’obus d’exercice, ramassé, sans doute, par le précédent possesseur de la barque. La tête du caillebotis est beaucoup plus lourde que son croupion qui ne contient qu’un peu de vent, et c’est cette particularité qu’avait utilisée le Major, fort au courant des mœurs des mammifères.

La broche fut disposée au-dessus du feu que le Major alimentait à l’aide d’une petite rigole, à l’autre extrémité de laquelle il faisait couler un des bidons d’essence éloignant ainsi celui-ci du brasier pour éviter tout danger.

Au bout de trois heures, la bête, rôtie à point, s’envola et le Major dut se rabattre sur les mollusques dont la coque de la barque était heureusement abondamment garnie. Antioche préférait le mam et en absorba quatre tranches massives, ce qui eut pour effet de le rendre malade comme un cheval.

Leur repas ainsi terminé, les deux amis détachèrent la chaîne de l’anneau qui retenait la barque au mur du quai, larguèrent les amarres et hop ! paré à virer, le loch fila bon vent. Il soufflait ce matin-là, une brise nord-est-quart-de-sud à peu près inopérante, et le Major dirigea l’hélice de la motogodille vers la voile afin de produire du vent compensé. Puis, il saisit les bornes du moteur électrique à pleines mains. Antioche se mit à lui taper vigoureusement sur l’olécrane de chaque bras, et, alimenté par le courant, le moteur démarra en flèche. Il était de première importance d’économiser le carburant, dont le poids seul formant lest, empêchait la barque de piquer vers la terre.

En quelques heures, le Major et Antioche furent à deux cents mètres de la côte et purent contempler la ville et le pont du chemin de fer, une bien jolie pièce d’orfèvrerie. Puis, ils mirent à la cape et abordèrent, cinq minutes plus tard, dans une petite crique sablonneuse, défendue par une barrière de récifs coralliens, qu’un madré porc avait oublié là un jour. Avant d’accoster, ils sondèrent la profondeur avec les avirons, et, après en avoir brisé deux, ils se rendirent compte qu’on avait pied. Le Major descendit et faillit se noyer, car il était, par malchance, tombé dans un trou qui s’étendait sur toute la largeur de la plage.

Enfin, le débarquement fut chose faite, et les deux amis se déshabillèrent, ne gardant qu’un slip de soie verte et des lunettes noires. Le soleil tapait dur, et ils se promettaient de bien se rôtir à ses feux. Le Major partit en reconnaissance, et, deux heures plus tard, il n’était pas revenu ; il était cinq heures de l’après-midi, et Tambrétambre se sentit inquiet. Se rhabillant, il se mit à la recherche de son ami.

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