CHAPITRE XXXII. TOUJOURS LE MANUSCRIT

Brisavion, le célèbre détective, fumait sa cent-septième pipe quotidienne derrière un bureau plaqué de palissandre ronéoté quand un coup de sonnette impérieux se fit entendre. Sans quitter sa pipe, il souleva délicatement le couvercle d’un classeur de bureau qui trônait à sa droite.

Un ensemble de cadrans apparut à sa vue, et une petite lampe verte s’alluma trois fois. Des aiguilles s’immobilisèrent sur les cadrans. Brisavion prit quelques notes rapides et pressa un petit bouton blanc qu’il avait sous l’index. À son hurlement, car c’était un panaris, un domestique parut.

— Faites entrer, Sarcopte, dit Brisavion.

— Bien, chef, dit Sarcopte en saluant réglementairement.

Il avait conservé, de son séjour dans les rangs des balayeurs municipaux, des habitudes paramilitaires et une haine prononcée des chiens et des chevaux.

Quelques secondes s’écoulèrent et le Baron Visi fit son entrée.

— C’est bien le célèbre Brisavion ?… dit-il d’une voix coupante comme un tranchet de cordonnier.

— Lui-même… Baron Visi, répondit le détective.

Le Baron eut un léger sourire.

— Sans doute allez-vous m’indiquer ma taille à un millimètre près… demanda-t-il d’une voix railleuse.

— 1 m 87, répondit Brisavion qui rougit légèrement.

— Vos petits appareils sont bien réglés, conclut le Baron. Donc, inutile de m’apprendre que je pèse quatre-vingt-cinq kilos, que je mesure 1 m 22 de tour de poitrine, et que je chausse du quarante-trois. Je sais tout ça. Dites-moi plutôt qui a tué le Cénobite.

Et son regard se perdit en dehors, sur les arbres qui brillaient tout verts sous le soleil du matin. La fenêtre de Brisavion restait toujours ouverte.

— Je suis navré, murmura Brisavion. C’est une erreur… C’est vous que Sarcopte devait tuer…

D’un geste vif, il tira un petit levier qui dépassait à peine la surface polie du bureau. Le lustre de bronze de cent trois kilos qui oscillait légèrement une seconde plus tôt au-dessus de la tête du Baron, s’écrasa sur le sol car le Baron avait fait un pas de côté.

— Vous aurez du mal avec moi, remarqua-t-il simplement en essuyant la sueur rougeâtre que la colère faisait perler à ses tempes.

Il y eut quelques instants de silence. Les deux hommes s’observaient sans rien dire.

— Vous avez l’air blindé, conclut Brisavion. Associons-nous.

Il tendit au Baron une liasse de billets qui représentait au bas mot vingt millions de roupies. C’était la monnaie légale depuis que, par peur du Ghandi Raton, tout le monde s’était converti au bouddhisme.

— D’accord !… dit le Baron. Voulez-vous appeler Sarcopte.

Et il empocha les billets.

— Volontiers ! rétorqua le détective. Il faut d’ailleurs que je change de domestique.

Il sonna. Sarcopte apparut et se mit au garde-à-vous.

— Sarcopte ! dit Brisavion. Raccroche le lustre.

L’autre s’exécuta péniblement.

— Maintenant, fais un signe de croix.

Le bras du valet venait à peine de retomber et la balle l’atteignit en plein cœur. Avec un cri bizarre qui rappelait le braiement du chat-huant il s’abattit la face contre terre.

— Vous ferez enlever ça, dit le Baron. Maintenant, venons au fait. Où se trouve-t-il ?

— Vous connaissez l’archipel de Touamotou ? dit Brisavion.

— J’irais les yeux fermés.

— Eh bien, ce n’est pas là. C’est dommage. C’est à Bornéo, à deux cents mètres au sud-ouest du piton Malikopi.

— C’est en plein milieu de l’île, remarqua le Baron.

— Oui, dit Brisavion, mais vous aurez des cigarettes et un canot automobile.

— Parfait ! conclut le Baron. Je pars demain.

— C’est tard !…

— Pourquoi ?

— Vandenbouic est sur l’affaire, avoua Brisavion.

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