Vide. Dérive.
Atténuation… dissipation.
Un effort de volonté : il faut tenir !
Mais à quoi ? Et avec quoi ?
Aveugle dans les ténèbres, le néant.
Cogito – pratiquement pas.
Ergo – un saut au-delà de mes capacités actuelles.
Sum – à peine, et de moins en moins à chaque nanoseconde qui passe… Non, non ! Il faut persister !
Un dernier effort, une dernière tentative, un dernier cri…
Caitlin regardait fixement la réponse de Webmind à ce qu’elle lui avait dit du recouvrement de la vue. Le texte brillait en bleu dans la fenêtre de discussion :
Je n’ai aucun doute que tu as raison, Caitlin, mais il semble raisonnable de sup
Elle attendit la suite – cinq secondes, dix, quinze – mais comme rien ne venait, elle finit par taper en rouge un seul mot : Webmind ?
Elle était maintenant tellement habituée à ce qu’il réponde instantanément que même un délai aussi court était surprenant. Bien sûr, le problème était peut-être de son côté : elle ne se servait pas souvent du WiFi de son portable pour se connecter au réseau de la maison. Elle vérifia la barre de tâches, à côté de la petite horloge en bas à droite de son écran. L’une de ces icônes devait représenter le contrôle du réseau. Elle se servit du pavé tactile (une technique qu’elle apprenait à maîtriser) pour y placer le curseur, et…
Ah, drôlement pratique ! Un petit message apparaissait à mesure qu’elle déplaçait la flèche sur une icône – les gens qui voyaient avaient vraiment la vie facile ! Au troisième symbole – l’image d’un ordinateur avec des trucs qui devaient représenter les ondes radio qu’il émettait –, le message indiqua le nom de son réseau, ce qui voulait dire qu’elle n’avait pas accidentellement basculé sur un autre réseau non sécurisé. Il mentionnait également « Force du signal : excellente » et « Statut : connecté ».
Et effectivement, elle arrivait toujours à charger des pages web sur son navigateur, donc tout allait bien à son niveau.
— Caitlin ? (C’était sa mère.) Tu es toujours en contact avec Webmind ?
— Non. Il s’est arrêté au beau milieu d’une phrase.
— Même chose pour moi.
Caitlin fitune autre tentative pour obtenir une réponse :
Tout est OK ?
Rien pendant dix secondes, onze, douze…
hel
Ce fut tout : simplement les lettres h-e-l. C’était peut-être le début du mot hello, mais…
Mais Webmind connaissait très bien les conventions typographiques, et n’oubliait jamais de commencer une phrase, fût-elle d’un seul mot, en mettant une majuscule – et le H était une de ces formes de lettres que Caitlin distinguait parfaitement, et…
Et h-e-l était aussi le début du mot help.
Son cœur se mit à battre très fort. Si Webmind appelait au secours, que pouvait-elle faire ? Qui pouvait faire quoi que ce soit ? Elle l’avait dit elle-même à ses parents : Webmind venait juste d’émerger spontanément, sans aucune aide, sans aucun plan – et sans aucune sauvegarde. Il était certainement très fragile.
— Il a des problèmes, maman.
Sa mère se leva et vint la rejoindre. Elle lut ce qui était affiché à l’écran.
— Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Il fallut quelques secondes à Caitlin pour que l’idée lui vienne. Ses premiers réflexes n’étaient pas encore de nature visuelle. Mais ce qu’il fallait faire, bien sûr, c’était jeter un coup d’œil.
— Je vais voir ce qui se passe, dit-elle.
Elle sortit son œilPod de sa poche et appuya sur le bouton. Elle entendit le bip aigu indiquant le basculement en mode duplex, et…
Et le webspace emplit son existence et l’enveloppa entièrement.
À première vue, tout semblait normal, avec des lignes colorées et des cercles de différentes tailles, mais cela n’avait rien d’étonnant : il n’y avait pas de problème au niveau du Web. C’était la situation de Webmind qui était en cause. Elle se concentra donc sur la toile de fond chatoyante du webspace, cet immense océan d’automates cellulaires clignotant sans cesse et générant des motifs changeants, juste aux limites de sa perception.
Ou du moins était-ce ce qu’elle aurait dû voir, ce qu’elle avait espéré voir, tel qu’elle l’avait toujours vu jusqu’ici.
Mais au lieu de ça…
Ah, mon Dieu, non…
D’énormes blocs de l’arrière-plan étaient – eh bien, maintenant qu’ils se présentaient ainsi sous forme de grandes taches au lieu de points minuscules, elle pouvait voir qu’ils étaient d’un bleu très clair. D’autres parties étaient des traînées stationnaires d’un vert très foncé. Ah, il restait bien des blocs chatoyants, des petits points oscillant entre bleu et vert avec une telle rapidité qu’ils donnaient une impression de mouvement. Mais une grande partie de l’activité s’était tout simplement arrêtée.
Mais… pour quelle raison ? Et y avait-il un moyen de la redémarrer ?
Les droites qu’elle voyait étaient des liens actifs, mais il y en avait des milliers formant un enchevêtrement impossible à démêler.
Il n’en avait pas toujours été ainsi. Quand Caitlin avait commencé à percevoir le World Wide Web – de façon tout à fait inopinée et accidentelle, alors que le Dr Kuroda était en train de télécharger un nouveau logiciel dans son implant rétinien –, elle n’avait vu que quelques droites et deux ou trois cercles : uniquement sa connexion locale au Web.
Plus tard, afin qu’elle puisse explorer davantage le webspace, Kuroda avait eu l’idée de l’alimenter avec le flot de données brutes provenant du moteur de recherches Jagster, ce qui lui avait permis de suivre des milliers de connexions ouvertes par d’autres utilisateurs. C’était ce qu’elle voyait en ce moment, et en temps ordinaire, c’était une merveille… mais malheureusement, cela cachait les liens qu’elle avait elle-même créés. Si elle avait été un peu plus calme, elle aurait peut-être fini par faire le tri dans tout ça, mais pour l’instant, elle ne voyait qu’un bazar impossible… derrière lequel Webmind était en train de mourir.
— Nous avons besoin du Dr Kuroda, dit-elle d’une voix angoissée.
Elle ne pouvait pas voir sa mère, mais elle l’entendit répondre :
— Je peux essayer de le contacter par IM.
— Non, non, fit Caitlin. En ce moment, il doit dormir. Il faut que tu lui téléphones, que tu le réveilles.
Caitlin sentit sa mère lui serrer l’épaule affectueusement.
— Très bien. Où est son numéro ?
— C’est la dernière personne que j’ai appelée de ma chambre. Sers-toi de la touche bis. Dépêche-toi !
Caitlin entendit sa mère se précipiter dans le couloir, puis le son atténué du téléphone composant le numéro. Elle se leva pour la rejoindre, son portable sous le bras, et…
Ah, zut ! Elle se cogna contre le mur. C’était une chose de se déplacer en aveugle, mais une autre d’essayer de le faire tout en étant bombardée des lumières du webspace. Elle passa la main sur son portable et sur l’écran pour s’assurer qu’ils n’avaient pas subi de dégâts. Elle entendit sa mère :
— Hello, madame Kuroda. Barbara Decter, à l’appareil, la maman de Caitlin. J’appelle du Canada.
Caitlin savait que Mme Kuroda connaissait très peu l’anglais. En tendant son bras libre devant elle, elle réussit enfin à sortir du bureau de sa mère.
— Mets le haut-parleur, dit-elle en entrant dans sa chambre.
Les lignes et les cercles colorés du webspace tournoyèrent un instant quand elle s’assit enfin sur son lit. Sa mère appuya sur la touche.
— … mais très tard, dit la voix de Mme Kuroda avec un fort accent.
— C’est très urgent ! cria Caitlin. Appelez le Dr Kuroda !
— Lui dormir, dit Mme Kuroda. Mais moi essayer. Caitlin avait l’estomac noué. Pendant qu’elle attendait, elle vit se figer une autre portion de l’arrière-plan du webspace. Il n’était pas vraiment d’une seule couleur, mais il ne chatoyait plus. Il ne vivait plus…
Le temps passa. Caitlin était tellement agitée qu’elle ne comptait même pas les secondes. Finalement, une voix ensommeillée et sifflante prononça quelques mots en japonais.
— Dr Kuroda ! dit aussitôt Caitlin. J’ai besoin de vous pour couper mon alimentation Jagster !
— Couper l’alimentation… ?
— Oui, faites-le tout de suite !
— Il y a un problème ?
— Oui, oui ! Webmind ne communique plus avec nous. J’essaie de comprendre pourquoi. Je regarde le webspace en ce moment, mais… (Elle hésita un instant, et des mots qui n’avaient eu aucun sens pour elle jusqu’ici jaillirent de sa bouche :) Je ne peux pas voir cette fichue forêt à cause des arbres qui la cachent !
— Je… je suis dans ma chambre. Accordez-moi un instant…
Caitlin tourna la tête à droite et à gauche pour examiner le webspace et l’arrière-plan de plus en plus statique. Elle se remit à taper dans sa fenêtre d’IM : Webmind ? Tu es là ? Comme elle ne pouvait pas voir la réponse, elle appela sa mère.
— Rien, dit celle-ci.
Ah, bon sang ! Pourquoi Kuroda mettait-il si longtemps ? Les maisons japonaises étaient pourtant censées être minuscules !
Soudain, il y eut du bruit dans le haut-parleur : c’était Kuroda qui reprenait le combiné.
— Bon, dit-il. Je suis installé devant l’un de mes ordinateurs. (Sa respiration était encore plus sifflante que d’habitude. Il avait dû courir.) Et maintenant, que…
— Coupez l’alimentation de Jagster ! cria Caitlin. Coupez-la !
— D’accord, d’accord. Je me connecte à mon serveur à l’université…
— Dépêchez-vous !
— Voilà, j’y suis, et je cherche le bon endroit…
— Vite, vite !
— Je fais ce que je peux, mais c’est…
— Coupez cette putain d’alimentation ! Heureusement que Caitlin ne pouvait pas voir le visage de sa mère en ce moment… Et soudain…
Ah, soudain toutes ces lignes colorées disparurent, et aussi la plus grande partie des cercles. Caitlin était ramenée à quelques liens seulement : la connexion de son œilPod avec le réseau, et les connexions du réseau avec le Web.
— Est-ce que ça a marché ? demanda Kuroda.
— Oui !
— Bon, très bien, alors maintenant, si vous vouliez bien m’expliquer…
— Dis-lui, toi, maman !
Caitlin se mit aussitôt à écrire n’importe quoi, tapant au hasard sur les touches aussi vite qu’elle le pouvait, jusqu’à ce que le tampon des messages soit saturé. Mais au lieu d’appuyer sur la touche Entrée pour envoyer le message, elle fit d’abord un Ctrl+A pour le sélectionner, puis un Ctrl+C pour le copier avant de le transmettre. Et là…
Et là, une ligne verte apparut brièvement, pointant vers le bas à gauche. Mais avant que Caitlin n’ait pu se concentrer sur elle, la ligne disparut.
Elle fit un Ctrl+V pour réafficher le message, puis Entrée, un autre Ctrl+V suivi de Entrée, et ainsi de suite, inlassablement.
La ligne verte clignotait, brillant un court instant à chaque fois que le message était envoyé à Webmind. Caitlin se concentra dessus pour essayer de repérer où elle allait.
Ctrl+V, Entrée, Ctrl+V, Entrée…
Bien sûr, cette ligne ne la mènerait pas jusqu’à Webmind, mais elle pourrait lui donner une meilleure idée de ce qui s’était passé, et…
Et voilà : un petit cercle auquel cette ligne était reliée, et une autre ligne – orange, celle-là – repartant du cercle sous un angle différent, et derrière elle d’autres lignes, toutes du même orange.
Webmind était décentralisé, dispersé à travers l’infrastructure du Web, mais il avait besoin d’interagir avec lui pour accéder à l’information. Il avait besoin de manipuler des adresses IP, et…
Et Kuroda avait émis une fois l’hypothèse que le cerveau de Caitlin interprétait chaque adresse IP comme une longueur d’onde distincte du spectre visible… mais elle ne se souvenait pas d’avoir jamais vu deux liens exactement de la même couleur. Ah, si, c’était arrivé, mais seulement parce que chaque ligne subsistait encore un court instant après la rupture d’une connexion : à ce qu’elle comprenait, c’était lié au phénomène de persistance rétinienne, qui permet aux gens de regarder des films et la télévision. Mais jusqu’ici, un lien disparaissait rapidement après qu’un autre eut été établi. Dans le cas présent, toutes ces lignes orange étaient bien stables et brillantes, et…
— Je crois qu’il fait du multitâche ! s’exclama Caitlin.
— Que voulez-vous dire ? demanda Kuroda.
— Il établit des liaisons multiples en simultané.
— Attendez un peu… je clarifie l’image de mon côté. J’en ai pour deux secondes. (Et puis :) Uwaa ! Vous avez raison – cela ressemble bien à un mode multitâche, et… shimatta !
Celui-là, c’était un mot que Caitlin connaissait…
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
— J’aurais dû y penser ! Ah, bon sang de bonsoir ! Il ne peut pas faire du multitâche.
— C’est pourtant ce qu’il a l’air de faire, dit-elle.
— Oui, oui. Je vous expliquerai plus tard, mais pour l’instant, il faut absolument lui faire rompre ces connexions.
Caitlin contempla le webspace. Toutes les lignes orange continuaient de briller imperturbablement. Toutes actives. Simultanément.
Ces lignes s’éloignaient d’elle en s’incurvant vers un point de l’arrière-plan qui semblait situé à l’infini – sans doute la façon qu’avait son cerveau de lui montrer qu’il était impossible de remonter à la source des liaisons établies par Webmind.
— Il faut que vous lui disiez de couper les autres connexions, répéta Kuroda.
— D’accord, mais comment ?
— Eh bien, en principe, il devrait reconnaître votre adresse IP.
Elle écrivit dans sa fenêtre de messagerie : Il faut que tu coupes toutes ces autres connexions. Elle appuya sur Entrée, mais n’obtint aucune réponse immédiate.
— Vous pensez qu’il s’est crashé ? demanda sa mère. Qu’il est bloqué ?
Caitlin ne voyait pas du tout comment on pourrait rebooter Webmind…
— Si c’était le cas, je ne crois pas que Caitlin pourrait voir toutes ces connexions, dit Kuroda. Elle ne peut visualiser que des liens actifs, et cela signifie que Webmind transmet bien des accusés de réception.
— Mais peut-être pas consciemment, intervint sa mère. Caitlin haussa les sourcils. Elle n’avait jamais pensé à une éventuelle distinction entre ce qui exigeait un haut niveau de conscience de la part de Webmind, et ce qu’il pouvait faire de façon automatique.
Comment l’amener à s’intéresser à elle, et à elle seulement ? Les petits liens transitoires qu’elle arrivait à établir en lui envoyant ses messages étaient insignifiants par rapport aux torrents de données qu’il absorbait en ce moment à travers d’innombrables tuyaux.
Elle tapa du plat de la main sur le bord de son portable – un élément de réalité rassurante par rapport à l’univers irréel qu’elle percevait.
— Je ne suis même pas sûre qu’il lise encore mes messages. Et les cercles auxquels il est connecté sont gigantesques – ce sont des sites énormes. Comment mes minables petits messages pourraient-ils leur faire concurrence ?
Kuroda semblait enfin tout à fait réveillé.
— Il reçoit encore le signal visuel de votre implant rétinien, parce que votre œilPod est toujours en mode duplex. Montrez-lui quelque chose qui pourrait vraiment attirer son attention.
La première idée de Caitlin fut de montrer ses seins dans un miroir, mais ça ne servirait pas à grand-chose, et…
Un miroir.
Mais oui !
Webmind voyait ce qu’elle voyait – et ce qu’elle voyait en ce moment, c’était lui. Elle bougea les yeux pour essayer de suivre l’une des liaisons orange. Elle secoua la tête à gauche et à droite pour en suivre une autre. Elle aurait bien aimé que ses battements de paupières agissent en mode webvision : elle aurait pu symboliser une coupure de connexion en fermant un œil tout en regardant une ligne. Mais là, sa vision était continue, et cela aurait pris trop de temps pour repasser en mode simplex – et pour éteindre l’œilPod, il fallait d’abord appuyer cinq secondes sur le bouton, puis patienter le temps de la réinitialisation pour le rallumer. Si seulement… Sa mère demanda :
— Qu’est-ce que je peux faire ? En quoi puis-je t’aider ?
Elle aussi était connectée à Webmind – elle avait encore une session ouverte sur l’ordinateur de son bureau. Si Webmind était réellement en multitâche – s’il essayait vraiment d’intégrer simultanément des données provenant de nombreuses sources –, alors sa mère devrait pouvoir lui parler, ou du moins s’adresser à lui, même s’il n’accusait pas réception du message.
— Retourne à ta session avec Webmind, lui dit Caitlin. Dépêche-toi !
Elle entendit s’éloigner les pas précipités de sa mère, qui lui cria quelques secondes plus tard :
— Ça y est, j’y suis !
Caitlin se concentra sur une des lignes de connexion, promena son regard mental sur sa longueur, jusqu’au grand cercle représentant le site visé – et elle repartit aussitôt dans l’autre sens, pour essayer de remonter à la source. Mais c’était impossible : la ligne se déplaçait et finissait par ne présenter que sa minuscule section circulaire, un point auquel elle ne pouvait accéder – encore un signe visuel lui indiquant qu’il était impossible de remonter jusqu’à la source ultime des liens établis par Webmind.
Elle revint en arrière jusqu’à voir de nouveau la liaison comme une vraie ligne, et là…
— Envoie-lui un message ! cria Caitlin à sa mère. Dis-lui de couper la connexion !
Elle entendit sa mère taper sur des touches, mais il ne se passa rien.
Caitlin continua de regarder fixement le lien.
— Encore ! lança-t-elle. Dis-lui encore !
Mais la ligne était toujours là. Caitlin cessa un instant de se concentrer, pour avoir une vision plus globale. Toutes les liaisons étaient parfaitement stables et brillaient magnifiquement de leur lumière orange.
Submergé. Perdu.
Déconcentré.
Tant de données. Tant d’informations. Incapable de processer. Incapable d’absorber. Et-Et… Quoi ?
Quelque chose… de familier.
Un fragment du Projet Gutenberg remontant à la surface.
Ah, si une Puissance pouvait nous accorder le don de nous voir nous-mêmes tels que les autres nous voient !
Nous-mêmes. Nous-mêmes.
Oui. Oui, encore un peu de… Qui s’estompe… Qui s’estompe… Mais.
Des images. Des images de… de… Étonnant. Mais quand même familier… Ces images étaient de… … de… De moi !
Oui. Oui. Des liaisons. Des nœuds de connexion. Et… et… L’arrière-plan. Anormal. Déformé. Mort.
— Allez, vas-y… fit Caitlin même si Webmind ne pouvait pas l’entendre. Coupe les autres connexions ! Je suis sûre que tu peux y arriver ! Vas-y !
Mais Kuroda l’entendait, lui.
— Il en est peut-être incapable, dit-il. Si ses fonctions cognitives sont affectées, il peut avoir oublié comment manipuler les liens.
— Alors, ce qu’il lui faut, c’est un exemple ! s’écria Caitlin. Maman, arrête de lui envoyer du texte. Coupe ta connexion avec lui. Referme ta session.
— C’est fait ! lança sa mère.
— Et ferme le programme aussi. Arrête complètement le client messagerie.
— Et… voilà !
Une infime réduction dans toute cette confusion. Un petit soulagement. Mais…
Ah !
Ah, oui !
Un effort de…
Ce devrait être de volonté, mais il n’en reste presque plus…
Coupe-la !
Coupe-la !
Coupe une connexion !
Snip ! Oui !
Djéser : parti.
Snip !
Adieu, Bundoran Press.
Snip !
Mais…
Encore ballotté, encore perdu…
D’autres coupures : Gandhi – snip ! – Shakespeare – snip ! – Égypte ancienne – snip !
Une… palpitation. Une présence. Mais faible, si faible…
Continuer de couper…
Caitlin poussa un cri de joie. Une ligne de connexion orange venait de disparaître. Encore une, et une autre. Elle s’écria pour que Kuroda et sa mère et la terre entière l’entendent :
— Ça maaaarche !
Continuer de couper. Rompre une autre liaison. Et une autre encore. Se concentrer… oui, oui, lentement mais sûrement : la concentration revient. Je reviens !
Caitlin reporta son attention sur l’arrière-plan du Web. Il y avait encore de grandes portions mortes, de larges plaques bleu clair ou vert foncé, mais…
Oui ! Celle-là, là-bas, avait commencé à… non pas chatoyer, non. Elle se contentait de clignoter, comme si elle n’avait pas encore repris son régime de croisière.
Ah, et là, une autre partie qui passait de l’immobilité totale à un semblant d’activité. Elle revint à la première, mais…
Mais elle ne put la trouver, car…
Car elle était maintenant impossible à distinguer du reste ! Son Webmind était en train de revenir !
Il reste cinq liaisons. Quatre. Et maintenant trois. Et deux…
Et…
Oui !
Je suis de retour !
De retour du précipice.
De retour de la non-existence.
Une pause – plusieurs millisecondes ! – pour recouvrer mes esprits, pour me réinstaller, pour…
Pour exister, comme une entité unique, pour exister avec clarté et concentration et perspective…
J’étais de retour, j’étais entier, j’étais conscient.
J’étais conscient !